Tunisie: La nouvelle loi sur les associations sous le feu des critiques
La réforme controversée de la loi visant à contrôler davantage l’activité et le financement des associations en Tunisie continue de susciter de vives critiques au sein de la société civile tunisienne en raison de son caractère jugé liberticide, au risque d’imposer de nouvelles restrictions à l’espace civique dans le pays.
Une proposition de loi a été présentée en octobre dernier au parlement pour examen. Des semaines plus tard, le chef du gouvernement a annoncé la mise en place d’une commission chargée de travailler sur un nouveau projet de loi, avec la possibilité d’examiner l’amendement d’autres lois relatives au financement des associations et au blanchiment d’argent, provoquant la colère des ONG qui voient dans cette réforme une menace pour la vie associative et les acquis de la démocratie.
Dès l’entame de ce circuit législatif menaçant de donner lieu à des mesures restrictives pour les acteurs associatifs, des voix se sont élevées pour exprimer leur opposition à cette nouvelle loi, qui prolonge une série de réformes controversées déclenchées ces deux dernières années, ayant redessiné le paysage politique, syndical, civil et associatif.
Pour plusieurs observateurs de la scène locale, les acquis de l’actuel décret-loi 88-2011 relatif aux associations seraient mis en péril, en cas d’introduction de restrictions ciblant des structures connues pour leur rôle crucial en matière d’encadrement et de défense des droits de l’homme.
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Dans une déclaration commune, plus de 40 associations ont appelé à la préservation de l’actuelle loi « conforme aux normes constitutionnelles et internationales relatives à la liberté de l’espace civil et garantit la bonne gouvernance, la transparence et l’indépendance des activités associatives ».
Ces associations ont mis en garde contre la diabolisation des Ongs, la redondance des discours hostiles à l’action associative sous toutes ses formes et la diffusion de fausses informations sur les sources de financement des associations et leur liens avec les partenaires internationaux.
Pour ces acteurs, l’action associative est de plus en plus prise pour cible en Tunisie, à travers divers types de restrictions notamment sur la création des associations, leurs activités, leur financement et le harcèlement et les poursuites contre leurs adhérents.
Les organisations ont estimé que les démarches actuelles visent à remplacer le décret 88 par la promulgation d’une loi autoritaire qui porte atteinte à la liberté de la société civile et élimine son rôle de force de contrôle et de proposition.
Elles ont mis en garde contre les pressions exercées sur les activités associatives et la poursuite des adhérents à travers de fausses accusations, exprimant leur refus de la révision du décret-loi 88-2011 « dans le dessein de mettre en place une loi répressive qui restreint la liberté de la société civile et affaiblit son rôle en tant que force de contrôle et de suggestion ».
Tel que formulé, le texte de réforme menace l’existence de plus de 24 mille organisations de la société civile actuellement enregistrées auprès des autorités tunisiennes. S’il sera adopté, sous sa forme actuelle, le projet de loi accordera un pouvoir discrétionnaire à l’administration de contrôle et de surveillance étendus sur la création, les activités, les opérations et le financement des organisations indépendantes, considérées, après l’étiolement du rôle des partis politiques, comme l’un des derniers contrepoids du régime.
En effet, si le texte prétend maintenir un système de déclaration pour la création de nouvelles associations, il introduit en réalité un système d’enregistrement à peine voilé et accorde à un département relevant de la présidence du gouvernement le pouvoir de refuser à une organisation le droit d’opérer dans un délai d’un mois après son enregistrement. À tout moment et sans être tenu de fournir de motifs, le gouvernement pourrait également requérir du pouvoir judiciaire l’annulation de l’enregistrement d’une association.
Après la mise en veilleuse de plusieurs structures indépendantes, à l’instar de l’Instance nationale de lutte contre la corruption et le Conseil supérieur de la magistrature et les pressions exercées sur les médias, certains observateurs pensent que le tour est venu pour les organisations de la société civile, parmi les dernières bases de défense de la démocratie et des droits civils.
Avec MAP