Les Russes continuent de conserver leur épargne en billets verts
Alors que le dollar et l’euro ont perdu de leur poids dans l’économie russe, dans le sillage de la conjoncture mondiale actuelle, les Russes continuent de conserver leur épargne en billets verts.
Face à cette situation paradoxale, les analystes sont divisés. Certains estiment que l’épargne en devises étrangères peut être un moyen de se prémunir contre l’inflation et les fluctuations du rouble. D’autres, cependant, mettent en garde contre les risques liés à cette pratique.
La valeur des devises étrangères détenues par les ménages russes a atteint l’équivalent de 8.721 milliards de roubles en janvier 2024 contre 6.868 milliards de roubles une année auparavant, selon la Banque de Russie (BCR).
Hors réévaluation des devises, leur volume, au contraire, diminue. En décembre 2023, il a été réduit de 8,1 milliards en équivalent rouble, alors que la baisse pour l’ensemble de 2023 a atteint 81,6 milliards de roubles, précise le régulateur du secteur bancaire russe dans son dernier “Indicateur d’épargne du secteur des ménages”.
Le volume des prêts en devises des Russes a également chuté, passant, pour la première fois depuis le début de la série statistique de la BCR, sous la barre des 50 milliards de roubles. En décembre 2023, le chiffre est tombé à 47,4 milliards en équivalent rouble. Entre janvier et novembre 2023, les dettes de la population envers les banques en devises étrangères ont diminué de 12 %, ajoute-t-on.
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La part des liquidités en devises étrangères dans l’épargne totale des Russes a été estimée de manière indépendante à environ 35% à la fin de 2023. Un chiffre inférieur au minimum historique de 2022 (38%), mais supérieur à la moyenne à long terme de 33%.
‘’Bien que les statistiques officielles ne révèlent pas la structure exacte de l’épargne en devises des citoyens, on peut supposer qu’une part importante de cette épargne est constituée en dollars et en euros, qui sont les monnaies de réserve les plus courantes’’, explique Ilya Rousyaev, directeur de l’arbitrage au sein du groupe Ilyumzhinov, Rusyaev & Partners.
La réduction de l’épargne sous forme de liquidités en devises étrangères indique que cet actif devient moins accessible à la population, relève, pour sa part, Alexander Potavin, analyste chez FG Finam, l’un des plus grands groupes d’investissement en Russie.
« Tout d’abord, le système financier russe n’est plus officiellement approvisionné en nouvelles devises, alors que les sorties d’argent liquide restent très stables. Deuxièmement, au cours des deux dernières années, le tourisme sortant de Russie a chuté de manière spectaculaire, ce qui signifie que les Russes n’ont pas besoin d’acheter des dollars ou des euros en espèces« , souligne-t-il.
La réduction des offres des banques pour placer des dépôts en devises étrangères joue également un rôle, tout comme les restrictions à l’exportation des devises hors de la Fédération de Russie.
De nombreux Russes continuent de penser qu’il est plus sûr de conserver son épargne en dollars. La demande pour le billet vert est largement liée à sa position sur la scène mondiale, souligne Denis Astafiev, fondateur de la société d’investissement SharesPro.
Selon lui, « la crainte d’une forte dépréciation du rouble en cas de défaut et l’inflation » alimentent l’intérêt des ménages russes pour les devises étrangères comme le dollar.
Toutefois, l’épargne en devises n’est pas sans danger, avertit Potavin, notant que l’un des principaux risques est la suspension des opérations de change de dollar au niveau de la Bourse de Moscou, si la place boursière était visée par des sanctions internationales.
Pour Rusyaev, garder des fonds dans les monnaies de pays « inamicaux » est un risque en soi. « Il est impossible de prédire les sanctions qui pourraient être imposées à l’avenir, de sorte que ce type d’épargne se trouve toujours dans la zone de risque« , résume l’expert, soulignant la nécessité de diversifier son épargne en devises pour réduire les risques de pertes financières.
Malgré les contraintes économiques actuelles, il semble toujours difficile pour les Russes de se départir d’une habitude qui n’est pas récente. Elle remonte en fait aux années 1990, à une époque où des dollars sous le matelas étaient une assurance contre l’instabilité du taux de change du rouble et le manque de fiabilité des banques.
Avec MAP