Un livre de Lahcen El Ameli: Système bancaire marocain, genèse et métamorphose
Lahcen El Ameli est docteur en Sciences économiques, professeur d’Université, ex-directeur au Crédit Agricole au Maroc ( CAM), chargé des Etudes du même group. titulaire également du Prix de la meilleure thèse en économie, il est aussi auteur de plusieurs ouvrages , considéré comme l’un des meilleurs spécialistes du secteur bancaire. Il nous a accordé un entretien que nous publions ci-dessous.
MAROC DIPLOMATIQUE : Lahcen El Ameli, vous êtes un banquier, notamment ex directeur du Crédit Agricole que vous avez loyalement servi depuis des années, et vous venez de publier un livre remarquable sur le système bancaire marocain : « Le système bancaire marocain » aux éditions Handala, de pas moins de 500 pages. Quelles sont à votre avis les grandes étapes de l’histoire du système bancaire marocain ?
Lahcen El Ameli : Historiquement, la banque a été introduite dans la Formation Economique et Sociale marocaine par les grands groupes financiers européens et particulièrement français à la fin du 19ième siècle et de façon active et accélérée à partir du début du 20ième siècle, en rapport avec le processus de pénétration coloniale. La lutte entre les différents groupes financiers européens pour la conquête du Maroc a duré jusqu’à la Conférence d’Algesiras en 1906 qui a consacré la suprématie des groupes français. A la suite de cette conférence internationale, fut créée en 1907 la Banque d’Etat du Maroc (BEM) qui va constituer la pièce maitresse et le socle sur lequel va reposer tout le système bancaire colonial. Après l’établissement du ‘’Protectorat’’ (2012), le capital de la BEM avait fait l’objet de réaménagements en faveur des groupes français, notamment à travers l’achat de parts des banques d’autres pays.
La signature du traité du « protectorat » français sur le Maroc en mars 1912 avait donné un coup d’accélération au processus d’implantation de nouvelles filiales et succursales françaises. A côté des banques privées, les autorités coloniales avaient créé plusieurs établissements de crédit à caractère public ou mutualiste. A la veille de l’indépendance politique du Maroc (1956), le système bancaire comptait environ 70 établissements, succursales ou filiales de groupes financiers étrangers. Le grand capital financier français a introduit dans la société marocaine les techniques modernes de la finance et de l’industrie bancaire. L’utilisation de ces techniques a servi essentiellement les intérêts de ce capital et a participé dans une large mesure à structurer l’économie marocaine de manière à en faire une économie dépendante, une économie « satellite » par rapport au « Centre ».
Dans le sillage de la BNDE…
Au lendemain de l’indépendance, le capital bancaire hérité de la période coloniale était composé de la Banque d’Etat du Maroc et de 26 établissements bancaires dont la très grande partie était constituée de banques françaises. A partir de 1959, les pouvoirs publics avaient entrepris un certain nombre de mesures allant dans deux directions principales : i- concrétiser l’autonomie monétaire et réussir à encadrer effectivement les banques. Pour cela, l’Etat post-colonial a créé la Banque du Maroc (1959) en « nationalisant » la Banque d’Etat du Maroc et en créant sa propre monnaie : le dirham ;. Il fallait combler la défaillance de la politique coloniale de crédit particulièrement dans les secteurs de « sous-investissement » (industrie, agriculture, équipement social, …). Les actions prises dans ce cadre ont porté sur la création de nouveaux organismes bancaires (la Banque nationale de Développement Economique (BNDE), la Banque Marocaine du Commerce Extérieur (BMCE) spécialisée dans le financement des échanges extérieurs et le Fonds de Développement Communal (FEC), banque des collectivités territoriales] d’une part, et la restructuration/réorganisation d’anciens établissements (le Crédit Populaire en créant la Banque Centrale Populaire et les Banques Régionales Populaires en 1961, le Crédit Agricole en créant la Caisse Nationale du Crédit Agricole en 1961 et la Caisse des Prêts immobiliers du Maroc en créant le Crédit Immobilier et Hôtelier) , d’autre part. Au cours de la période 1956-1990, plusieurs banques ont cessé leurs activités et des opérations de fusions/absorptions ont eu lieu.
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Au cours de la période postérieure à 1990, le système bancaire a connu de grands changements dont la disparition de la BNDE , la réforme institutionnelle de la CNCA (qui est nommée désormais Crédit Agricole du Maroc) et du CIH, réforme à travers laquelle ces deux établissements deviennent des banques universelles à statuts de sociétés anonymes ; la privatisation des deux banques commerciales sous contrôle public : la BMCE et la BCP ; la méga-fusion à travers laquelle une grande banque, l’ancienne BCM avait absorbé une autre grande banque, Wafabank, et qui a donné naissance au plus grand groupe bancaire privé Attijariwafa Bank ; la création de nouvelles banques , notamment Banco Sabadell et Caïxa qui sont espagnoles, Al Barid Bank et CFG Bank, la marocanisation du Crédit du Maroc à travers son acquisition par le groupe Holmarcom de la famille Bensalah.
Le capital privé marocain consolide sa position dans secteur des banques
A fin 2022, le paysage bancaire compte 25 banques : 19 banques conventionnelles et 5 banques participatives. Le capital privé marocain consolide de plus en plus sa position dans l’actionnariat bancaire. Les trois premières banques (AWB, BCP et BOA) ont plusieurs filiales en Afrique. Ces trois banques concentrent la grande partie du capital et de l’activité bancaire.
- Pourriez-vous nous relater les points forts et points faibles du système bancaire marocain
Au cours des trois dernières décennies, le système bancaire a enregistré des avancées sur différents plans dont la diversification des produits (d’épargne, de placements, …) particulièrement avec l’entrée et l’accélération de la digitalisation ; la fluidité des opérations et le gain en temps où le développement des systèmes informatiques a joué un grand rôle ; enfin la dématérialisation des valeurs ( les opérations portant sur les virements, les remises de chèques, les remises d’effets de commerce (ex : lettre de change), ..…) qui n’impliquent pas désormais de mouvements « physiques » des valeurs ; a compensation des valeurs entre les banques se fait depuis plusieurs années déjà à travers des échanges électroniques de données (télé-compensation) . Il y a aussi le renforcement des assises financières des banques (conséquence du renforcement du dispositif prudentiel (accords de Bâle) bancaire imposé par la réglementation bancaire) se traduisant par le renforcement et la consolidation des fonds propres prudentiels des banques et par une amélioration du ratio de solvabilité de ces dernières ; l’exportation du capital : Les investissements directs effectués par les grandes banques marocaines à l’étranger permettent à ces dernières d’accéder au statut de firmes multinationales à pouvoir économique de plus en plus important ; ils devraient constituer un support important pour le gain de devises (réserves de change) pour l’économie nationale. Ils peuvent être des vecteurs solides pour le développement des échanges commerciaux avec les pays d’accueil et en même temps pour le renforcement des liens diplomatiques et politiques avec ces pays.
Mais le système bancaire national a des points faibles aussi, parmi lesquels on peut citer un financement encore trop sélectif, autrement dit si l’activité des crédits a connu un développement considérable, la sélectivité continue d’être une des caractéristiques principales du financement bancaire. Une grande proportion de TPME sont ou bien exclues du financement ou bien ne bénéficient que de peu de financements. L’agriculture et l’artisanat continuent toujours de souffrir d’un grand déficit de financement ; ii–le coût relativement élevé du financement : certes, les taux débiteurs (taux d’intérêts des crédits offerts à la clientèle) ont connu une décrue au cours des deux dernières décennies, mais les taux créditeurs (taux d’intérêts servis aux clients déposants) ont connu, eux, une baisse beaucoup plus importante que celle des taux débiteurs. De plus, il faut savoir qu’une très grande partie des dépôts des banques est constituée par les dépôts à vue, donc non rémunérés (ressources gratuites) ; enfin, outre le taux d’intérêt, le client supporte une multitude de commissions bancaires qui viennent augmenter le coût du financement ; les expositions des banques sur un petit nombre de gros débiteurs, ce qui menace la stabilité financière du système bancaire avec ses implications sur l’économie nationale.
- De par votre formation et votre cursus professionnel en tant qu’ancien Directeur des Etudes au Groupe Crédit Agricole du Maroc, pouvez-vous nous dire si le modèle de cette banque répond toujours aux transformations du secteur agricole qui fait face aux bouleversements du climat ? Quelles réformes faut-il faire pour en faire une banque plus performante et plus inclusive?
En introduction de la réponse à cette question, reconnaissons tout d’abord que cette banque publique supporte l’essentiel du financement bancaire à l’agriculture. Du fait du risque qui est lié à l’activité agricole, les autres banques, qui sont, faut-il le rappeler, des banques universelles pouvant financer tous les secteurs d’activité économique, ne participent que dans une proportion très faible voire insignifiante au financement de l’agriculture ; elles ne financement que les exploitations très modernes, à haut degré de mécanisation et qui sont rentables. Le CAM est la seule banque qui finance les micro et les petites exploitations agricoles à travers ses deux filiales Ardi (microcrédit) et Tamwil El Fellah dédiée au financement des exploitations qui ne peuvent pas accéder au financement bancaire classique. Le financement de l’agriculture par le CAM concerne pratiquement toutes les activités agricoles et une liste très longue d’objets d’activité concernant aussi bien la production végétale que la production animale, des crédits dits de campagne comme des crédits à l’investissement. Le CAM est la banque qui participe pour l’essentiel au soutien financier de la stratégie de développement agricole de l’Etat (Plan Maroc Vert, Green Generation) et la seule qui finance les activités et les projets rentrant dans le cadre du Pilier 2 de la Stratégie de l’Etat qui concerne l’agriculture solidaire.
Ceci étant, l’examen des performances du CAM sur une longue période montrent que cette banque publique peine à se reproduire de façon élargie. Nous avons montré que cette situation est liée avant tout à l’absence d’un véritable modèle économique, clair, devant tenir compte d’un certain nombre de contraintes (impact des conditions climatiques, les structures foncières, etc…) et répondre à plusieurs questions centrales dont celles de la mission précise de la banque, les ressources nécessaires pour remplir cette mission.
Transformée en banque universelle, cette banque a été jetée dans l’arène de la concurrence avec des banques très solides s’adossant sur de puissants groupes économiques et financiers qui ont une grande capacité de compensation des pertes et des bénéfices des entreprises qui en dépendent. Il doit procéder, conformément aux règles prudentielles, au provisionnement des créances en souffrance qui portent sur des sommes considérables du fait d’abord des difficultés de recouvrement des créances (sécheresse, calamités agricoles….), ce qui vient augmenter les charges de la Banque et affecter par la suite ses résultats. Enfin, l’Etat lui a confié la mission de « service public » qui signifie en gros, le financement des agriculteurs qui ne peuvent accéder au financement bancaire classique. Avec la succession des années de sécheresse et les calamités naturelles qui affectent sérieusement la production et les revenus agricoles et partant, la capacité des agriculteurs à honorer leurs engagements vis-à-vis du CAM (remboursements des crédits), cette mission de « service public » a eu des conséquences très lourdes sur les équilibres financiers du CAM ; l’Etat n’apporte pas souvent l’appui nécessaire à sa banque en termes de capitalisation et laisse le CAM puiser dans le peu de valeur qui est créée et aller emprunter sur le marché des capitaux pour être en règle avec la réglementation prudentielle et pouvoir développer son activité. Le CAM va être structurellement prêteur net sur le marché interbancaire et recourir de plus en plus aux emprunts obligataires et aux dettes subordonnées pour pouvoir développer son activité.
Nous considérons qu’il est possible de faire de cette institution une banque solide qui va apporter une large contribution au financement et au développement du monde agricole et rural ainsi qu’au secteur industriel. Partant d’une analyse sérieuse des contraintes du secteur, d’une étude approfondie des rapports entre l’agriculture et le reste de l’économie et la mise en place d’un modèle clair qui précise les missions de la Banque et qui règle de façon transparente la question des ressources, de la participation des agriculteurs et leurs organisations ainsi que les chercheurs dans les débats sur le modèle à mettre en place, on peut bien réaliser un saut qualitatif en matière de financement de ce grand secteur économique et concevoir un nouveau modèle économique sur lequel doit reposer le CAM. Ce modèle doit prendre en compte les contraintes qui pèsent lourdement sur l’agriculture et pour lesquelles l’Etat doit déployer tout l’effort nécessaire visant à au moins atténuer leur impact et d’un autre côté apporter des solutions à un certain nombre de problèmes. Un certain nombre de propositions en relation avec cette question ont été présentées dans l’ouvrage.
- Les banques marocaines jouent un rôle de levier diplomatique en Afrique. Comment analysez-vous cette présence ?
L’un des faits majeurs qui caractérisent la dynamique du système bancaire marocain au cours des deux dernières décennies est l’accélération de l’exportation du capital sous forme d’investissements directs en Afrique. Ces investissements sont le fait des trois premières banques à savoir Attijariwafa Bank (AWB), la Banque Centrale Populaire (BCP) et Bank Of Africa (BOA). Les investissements massifs en Afrique de ces trois banques ont lieu dans un contexte que caractérisent les 3 éléments suivants : i-la grande taille et le stade de maturité atteint par ces trois groupes bancaires : le niveau du capital bancaire (Actif total), l’expérience et la maitrise du métier de la finance et leur appartenance à de grands groupes financiers sont autant de facteurs qui constituent des avantages spécifiques dont disposent ces trois banques comparativement aux banques locales des pays d’implantation ; ii- les limites que pose le marché domestique (marocain) pour le développement du capital bancaire (faible croissance économique et faiblesse du marché intérieur, degré élevé de concentration, etc…) ; iii- l’interférence politique ou l’implication de ces banques dans la stratégie africaine de l’Etat : Ces banques ont pratiquement toujours fait partie des délégations qui accompagnaient le Roi dans les multiples voyages effectués dans les pays africains et qui visaient le renforcement de la coopération entre ces pays et le Maroc dans le cadre de partenariats qualifiés de Win-Win.
Plusieurs conventions ont été signés lors de ces voyages et où les trois banques ont apporté leur contribution à travers le financement de grands projets de développement au profit des Etats africains visités (projets d’infrastructures, projets immobiliers, l’industrie,….) et l’implantation de leurs filiales pour contribuer au financement des économies de ces pays. En plus des avantages économiques attendus de cette stratégie de « conquête » de l’Afrique dans le cadre d’une coopération bénéfique aussi bien pour le Maroc que pour les pays cibles, le Maroc souhaite en retirer des avantages ou gains sur le plan diplomatique et politique ; l’existence d’un grand potentiel de croissance en Afrique. Les banques marocaines vont y chercher des relais de croissance et des espaces d’accumulation et de profit à travers des investissements directs d’une part, et l’accompagnement des entreprises marocaines, d’autre part.
Les trois groupes bancaires marocains interviennent en Afrique à travers leurs filiales bancaires mais aussi leurs filiales spécialisées dans différents autres métiers. Par ailleurs, ils participent au financement de grands projets de développement au profit de plusieurs secteurs économiques dans le cadre de partenariats avec les Etats africains. Mieux, ils sont associés avec l’Etat dans plusieurs pays africains dans le capital social de leurs filiales. L’impact de tous ces investissements se situe à différents niveaux. Mis à part les revenus générés (dividendes, intérêts…) dont bénéficient ces 3 banques et qui profitent à l’économie marocaine (réserves de change…), ces engagements qui jouent un rôle important dans le développement des pays d’implantation constituent un support consistant pour la promotion des échanges commerciaux et d’investissement entre le Maroc et les pays africains. Par ailleurs, par leurs interventions multiformes (financement direct des entreprises et des ménages des pays d’implantation, financement des projets de développement…) les trois banques participent à la croissance et au développement de ces pays. Elles sont à l’origine du renforcement des liens économiques et diplomatiques avec le Maroc.
- Dans ce secteur se joue une très forte concurrence en Europe. Actuellement, une directive européenne est à l’étude pour interdire l’intermédiation des banques marocaines en Europe auprès de la diaspora marocaine. Qu’en pensez-vous ?
Pour répondre à cette question, il faut rappeler d’abord que depuis plusieurs années déjà, les secteurs bancaires en Europe et plus particulièrement dans les pays à haut niveau de développement économique et financier, se trouvent confrontés à une pression sur les marges qui est à l’origine d’un repli drastique sur les performances des banques (ROE et ROA), aux exigences de la régulation prudentielle bancaire qui se traduisent, rappelons-le, par l’obligation faite aux établissements bancaires de respecter les ratios prudentiels et plus particulièrement les ratios de solvabilité qui imposent aux banques d’assurer un minimum de capitaux propres, et à un contexte d’inflation qui n’est pas sans impact sur leurs résultats.
Face à cette situation, la concurrence au sein du système bancaire européen et à au niveau des systèmes bancaires nationaux de l’Europe, est de plus en plus exacerbée. Les différentes banques vont utiliser tous les moyens possibles pour d’abord, défendre leurs positions et ensuite poursuivre leur croissance et leur accumulation ; la lutte va être engagée en premier lieu au niveau de chaque système bancaire national.
Dans ce contexte que caractérise la pression sur les marges et l’exacerbation de la concurrence en Europe, l’Union Européenne a décidé récemment, après le Brexit, de durcir la législation envers les banques des pays tiers dont le Maroc. Plus précisément, la directive européenne connue sous l’appellation CRD VI (Capital Requirements Directive VI) prévoit l’interdiction aux banques étrangères non établies sur le territoire de l’UE de proposer des services bancaires (création d’un compte bancaire, transferts d’argent, crédits, placements…) du pays d’origine à leurs clients résidant dans un pays de l’Union. Cette fois-ci, c’est tout le collectif bancaire européen qui se défend contre la concurrence des banques des pays tiers, d’où la préparation de cette Directive.
En application de cette Directive, les filiales de banques marocaines implantées en Europe (Attijariwafa Bank et Banque Centrale Populaire, surtout), se trouvent pénalisés par un texte qui leur interdit d’offrir des services bancaires du pays d’origine (le Maroc) directement à leurs clients résidant dans un pays de l’UE. La première activité qui va être touchée est le transfert des fonds au Maroc, transferts qui portent, il est fort utile de le rappeler, sur des montants importants (106 milliards DH en 2022).
Il semble que les premières (banques européennes) sont sensibles aux résultats réalisés par les filiales marocaines dans le cadre de leurs relations avec la diaspora et au succès de leurs produits financiers auprès de cette dernière. Les activités des filiales marocaines en Europe sont interprétées comme étant de la collecte d’épargne dans un territoire (l’Europe) sur lequel les maisons-mères des filiales marocaines (AWB, BCP) ne sont pas agréées. En d’autres termes, ce sont leurs filiales qui sont agréées et non les maisons-mères ! Par ailleurs, pour l’UE, des masses colossales d’argent passent par les filiales des banques étrangères sans créer de la valeur sur le territoire européen.
Pour le Maroc, l’enjeu que représente la présence des filiales bancaires marocaines en Europe est important (bancarisation de la diaspora, transferts de fonds, maintien et resserrement des liens avec les migrants ….). Il doit mener, de concert avec les pays africains, une action de grande envergure notamment sur le plan diplomatique pour préserver les acquis relatifs à l’activité bancaire des filiales en Europe. Dans le cas du Maroc spécialement, on peut faire l’idée selon laquelle il est difficile de concilier cette Directive européenne avec l’esprit et le contenu des dispositions des différents accords et partenariats avec l’Union Européenne, accords à travers lesquels l’UE tire des gains colossaux.
- En conclusion, pourriez-vous nous dire si le système bancaire actuel répond aux besoins de l’économie nationale ?
S’agissant de l’offre de produits et services bancaires, nous avons déjà mentionné que sur ce terrain, d’importants progrès ont été réalisés. L’avènement des banques participatives a renforcé le mouvement de diversification des produits bancaires en proposant des produits spécifiques à leurs clientèles. Parallèlement au développement des guichets automatiques, nous avons assisté à un développement important en matière d’émission de cartes bancaires et des opérations réalisées à distance. Sur le plan de la bancarisation, les statiques sur les comptes bancaires de Bank Al Maghrib (Banque Centrale) montrent une croissante importante du nombre de comptes ouverts sur les livres bancaires au cours des deux dernières décennies. Sur la période 2015-2021, ce nombre est passé de 23 à 31,2 millions.
Au cours de l’année 2021, le nombre de personnes détenant au moins un compte bancaire s’élève à 17,5 millions et 2,3 millions nouveaux comptes ont été ouverts, contre 2,1 millions en 2020 et 2,7 millions en 2019. Le nombre de cartes bancaires en circulation qui était de 5,2 millions en 2008 est passé à 17,9 millions en 2021.
Au sujet du financement bancaire, le volume des crédits à la clientèle a connu une croissance régulière. Sur la période 2004-2020, l’encours des crédits est passé de 417 à 1491 millions DH. Si la part de ces derniers dans le PIB a crû de 46% à 80% au cours de la période considérée, son poids dans l’actif total des banques s’est inscrit dans une tendance à la baisse à partir de 2012. Le crédit au secteur privé en 2020 équivaut à 86,5% du PIB. En 2019, ce ratio, selon la Banque Mondiale, était de 88%, un rapport nettement plus élevé que dans les autres pays d’Afrique du Nord à l’exception de la Tunisie ou que la moyenne concernant le monde arabe qui était de 54,7% ou enfin, que la moyenne des pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure que la BM évalue à 45%.
Mais l’examen de la structure du financement bancaire nous a permis de dégager un certain nombre de conclusions qui montrent qu’il y a encore un long chemin à parcourir par le système bancaire pour bien répondre aux besoins de l’économie et jouer de façon meilleure son rôle d’acteur de développement. Bien que différentes mesures et programmes étatiques visant l’amélioration du financement des Très Petites, Pettes et Moyennes Entreprises (TPME) aient été adoptées, une bonne proportion de cette catégorie d’entreprises qui constituent l’essentiel du tissu productif national n’accèdent pas ou très peu au financement bancaire. L’agriculture qui représente 15 à 20% du PIB ne bénéficie que de 5% des crédits bancaires. Les crédits à l’équipement que l’on considère comme étant la composante fondamentale de l’investissement qui contribue dans une large mesure à la création de la valeur ajoutée occupe la troisième position dans la répartition des crédits par objets économiques, après les crédits immobiliers et les crédits à la trésorerie. Leurs parts respectives dans le total des crédits bancaires s’élèvent 20%, 30% et 22%. En tenant compte du poids des ressources gratuites des banques (dépôts à vue) d’une part et de la décrue qu’ont enregistré les taux intérêts créditeurs, les niveaux des taux d’intérêt débiteur que paient les clients sont élevés. A cela viennent s’ajouter une multitude de commissions bancaires et au final, les clients, et plus particulièrement les TPME supportent des coûts de financement qui pèsent lourdement sur leurs résultats et revenus.