Dynamiques démographiques au Maroc : Analyse de la fécondité et ses implications
La fécondité, indicateur clé des transformations sociales et économiques, se trouve au centre des dynamiques démographiques du Maroc. Les données des recensements et enquêtes, menées par des institutions renommées telles que le Haut-Commissariat au Plan (HCP), le ministère de la Santé, et l’Observatoire national du développement humain (ONDH), ont été méticuleusement analysées par Aziz Ajbilou et Karim El Aynaoui. Leur rapport pour le Policy Center offre un décryptage approfondi des fluctuations temporelles de la fécondité au sein du royaume.
Depuis 2010, une stagnation, voire une légère reprise de la fécondité, a été observée. Cette tendance est particulièrement marquée en milieu urbain où la fécondité chez les femmes citadines est passée de 1,8 enfant par femme en 2010 à 2,2 en 2019. En milieu rural, après une baisse continue jusqu’en 2014 à 2,5 enfants par femme, une légère reprise a également été notée, avec un taux de 2,7 enfants par femme en 2019.
L’indice synthétique de fécondité, entre 2010 et aujourd’hui, montre une augmentation modeste du nombre d’enfants par femme, passant de 2,2 en 2009 à 2,4 en 2018, puis redescendant à 2,3 en 2019, selon l’ONDH. Cette tendance est plus prononcée en milieu urbain, où la fécondité avait atteint le seuil de remplacement en 2004, avant de redescendre à 1,8 enfant par femme en 2010, puis d’augmenter à nouveau lors du recensement de 2014 et des enquêtes subséquentes. En 2019, l’indice s’élevait à 2,3 enfants par femme (2,7 en milieu rural et 2,2 en milieu urbain).
L’analyse par groupe d’âge confirme ces tendances. Après une chute rapide et soutenue des taux de fécondité avant 2010, une stagnation, voire une augmentation, a été constatée après cette date. Les taux de fécondité par âge ont légèrement augmenté en 2014, une tendance qui s’est affirmée en 2018, surtout chez les femmes de plus de 35 ans.
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En comparaison avec d’autres pays arabes, la reprise de la fécondité au Maroc semble relativement modérée. Des pays comme l’Égypte, l’Algérie et la Tunisie ont connu une hausse significative de leur indice synthétique de fécondité ces dernières années. Néanmoins, le modèle de transition de la fécondité en Tunisie reste similaire à celui du Maroc. L’Égypte et l’Algérie présentent un modèle de transition original, avec une augmentation du nombre moyen d’enfants par femme avant même d’atteindre ou de descendre sous le seuil de remplacement.
Il ressort clairement de l’examen des données que le nombre moyen d’enfants par femme au Maroc a connu une légère reprise depuis 2010, observée tant en milieu urbain qu’en milieu rural. Cette reprise s’accompagne d’une baisse de l’âge au premier mariage chez les femmes. Surprenant, cette reprise se fait parallèlement à une expansion de la scolarisation chez les filles.
Cependant, cette expansion se heurte aux obstacles liés à l’accès des femmes à l’activité économique hors de la sphère familiale. Cette situation pourrait expliquer la baisse de l’âge au premier mariage et, par conséquent, la reprise de la fécondité. Les jeunes filles, instruites et diplômées mais sans emploi, pourraient être incitées à privilégier le mariage et à avoir des enfants à un âge précoce. Bien qu’il soit trop tôt pour déterminer le caractère permanent ou temporaire de cette évolution, elle ne signifie pas nécessairement un retour à des modèles plus traditionnels.
L’ascension éducative des femmes, un levier de changement
Dans un contexte où les femmes rencontrent des obstacles croissants pour intégrer le marché du travail, on observe une augmentation notable de la fécondité. Cette tendance s’accompagne d’un report de l’âge au premier mariage et d’une progression constante de l’accès à l’éducation pour les jeunes filles, phénomène que Marie-France Lange a qualifié de « révolution silencieuse » en 2018. Cette dynamique concerne tous les échelons éducatifs, du primaire au supérieur.
En se focalisant sur l’enseignement supérieur, les statistiques du ministère de l’Enseignement supérieur révèlent qu’au cours de l’année universitaire 2022-2023, le taux de participation des étudiantes a surpassé celui des étudiants, avec un taux de féminisation de 53,6 %. Plus précisément, ce taux atteint 54,1 % dans le cycle normal et 51,7 % au niveau Master. La répartition par discipline montre des variations, allant de 51,2 % en Sciences juridiques et économiques à 69,3 % en Sciences de l’éducation. Les Sciences de l’ingénieur affichent un taux de 51,4 %, tandis que les Lettres et sciences humaines enregistrent 55,1 %, la Médecine dentaire 56,1 %, et les Sciences et Techniques 58,1 %.
Concernant les diplômés, les chiffres indiquent une meilleure réussite académique chez les femmes que chez les hommes. En effet, le taux de féminisation des diplômés pour l’année académique 2021/2022 s’élève à 57,0 %, tous domaines confondus, contre seulement 49 % en 2007-2008. Certaines disciplines ont connu des évolutions marquantes entre 2007/2008 et 2021/2022, notamment les Sciences et Techniques qui sont passées de 45,2 % à 60,9 %. Le domaine du Commerce et Gestion a vu son taux de féminisation augmenter de 64,5 % à 67,5 %. En Sciences juridiques et économiques, la présence féminine s’est renforcée, passant de 51 % à 56,3 %. Ces données illustrent la détermination des jeunes filles à poursuivre leurs études supérieures afin d’obtenir un diplôme et de s’assurer une place sur le marché du travail.