(Documents) Mibladen : le musée de Mohamed Mouhib, un espoir prématurément dissipé
Dans une région marquée par un riche passé minier, un projet passionné voit le jour avant de s’effondrer sous les coups des autorités locales. Mohamed Mouhib, médecin, écrivain, collectionneur, et acteur associatif, évoque son musée à Mibladen, une localité empreinte d’histoire minière dans la province de Midelt. Aujourd’hui détruit, le musée du Dr Mouhab, a néanmoins marqué l’histoire de Midelt. Les messages d’encouragement et de reconnaissance ont sans doute remplacé la tristesse qui a entouré la destruction de ce qui a, tant soit peu, donné vie à la localité.
Le jeudi 6 juin dernier, les autorités locales ont procédé à la destruction du chantier du musée que Mohamed Mouhib était en train d’aménager dans une villa en ruine, située dans l’ancien village minier de Mibladen, à environ 18 kilomètres au nord-est de Midelt. Mohamed Mouhib, médecin, écrivain, collectionneur, acteur associatif et érudit emblématique de la région de Jbel El-Ayachi, avait entrepris de transférer sa précieuse collection de pièces rares dans ce nouvel espace, initialement située dans sa résidence à Midelt.
L’investissement total dans ce projet s’élevait à environ 300 000 dirhams, une somme considérable ayant permis d’acquérir des trésors d’une inestimable valeur scientifique et culturelle. Parmi ceux-ci figuraient un stromatolithe vieux de trois milliards d’années, des fossiles préhistoriques ainsi qu’une variété de cristaux rares tels que la vanadinite et la cérusite, tous découverts sur le sol marocain. Néanmoins, ces pièces exceptionnelles ne constituaient qu’une fraction des trésors que renfermait la collection de Mohamed Mouhib, laquelle incluait également une abondante source d’informations documentaires sur des découvertes similaires à travers le royaume.
La destruction du chantier a provoqué non seulement la perte matérielle de ces précieux artefacts, mais a également suscité une profonde indignation au sein de la communauté locale et au-delà. Les motivations exactes derrière cette action des autorités locales demeurent floues, plongeant Mohamed Mouhib et ses partisans dans une incertitude quant aux démarches à entreprendre pour récupérer et préserver ce patrimoine unique.
En 1981, Dr Mouhib, alors récemment nommé médecin dans la région, découvre une passion ardente pour les fossiles et les minéraux. Cette fascination l’amène à accumuler une collection de plus de 700 pièces, soigneusement gardées chez lui.
« Le musée de fossiles et minéraux de Mibladen, situé dans un ancien village minier, est le fruit de ma passion et de mon dévouement, » confie-t-il. Son dessein : transformer cette passion en un véritable sanctuaire dédié à la minéralogie de la région, offrant ainsi une vitrine éducative et touristique à un village en proie au marasme économique depuis la fermeture des mines.
La destruction, une cloque sur le projet
Hélas, le rêve de Mouhib est brutalement contrarié par les autorités locales, qui, invoquant un défaut d’autorisation, ordonnent la destruction du musée à peine en construction. Cette décision, selon Mouhib, dépasse le simple cadre administratif et pointe vers un favoritisme dissimulé. « Il est frappant de constater qu’un voisin, important vendeur de minéraux, a pu bâtir sans autorisation, sans jamais être inquiété par les autorités, » déclare-t-il.
Préalablement à l’entame des travaux, Mouhib avait scrupuleusement préparé et présenté un dossier au gouverneur, sollicitant son soutien pour ce projet culturel. « La lettre est restée sans réponse, autant que celle où je lui demandais de surseoir à la démolition, » déplore-t-il. L’indifférence administrative et la rapidité intransigeante de la démolition laissent Mouhib désemparé, après un ultimatum de 24 heures imposé par les autorités locales, durant lequel ses appels sont demeurés sans écho.
Lire aussi : Énergie électrique : hausse de 3% de la production à fin avril
Les répercussions financières de cette destruction sont colossales. Mohamed Mouhib attend le rapport d’un expert pour quantifier précisément l’ampleur des pertes, mais l’impact est déjà profondément ressenti. En février 2024, une demande formelle pour la construction du musée avait été soumise au gouverneur, restée sans réponse formelle. Malgré tout, les travaux débutent en mai, mus par l’espoir et le désir de préserver une part essentielle du patrimoine régional.
Mibladen, internationalement reconnaissable pour ses minéraux rares et prisés, voit son héritage culturel et scientifique en péril. « Mon objectif était de conserver ce patrimoine national et de stimuler le tourisme dans cette localité négligée, » explique Mouhib. La destruction de cet espace muséal potentiel représente une perte incommensurable pour la région, privant les générations futures d’un lieu éducatif précieux et d’une attraction touristique de taille.
Le patrimoine culturel au Maroc, une sauvegarde en demi-teinte
La vision de Mohamed Mouhib s’étend au-delà de Mibladen, embrassant la réalité du patrimoine culturel au Maroc dans son ensemble. Il souligne les efforts considérables de Sa Majesté pour la valorisation des musées à travers la création d’organismes dédiés. « Il y a un véritable enthousiasme pour la préservation de notre patrimoine national, » reconnaît-il. Pourtant, Mouhib observe avec regret que cette volonté peine à pénétrer les strates locales, particulièrement dans les zones reculées du pays. « Les autorités locales, surtout dans le Maroc profond, montrent peu, voire aucun intérêt pour ce secteur, » conclut-il avec une note d’amertume.
Pour donner plus d’importance aux musées marocains et véritablement préserver le patrimoine culturel, Mohamed Mouhib appelle à une sensibilisation accrue et à une implication plus marquée des autorités locales. Il milite pour des réformes administratives qui faciliteraient les initiatives privées tout en garantissant une protection rigoureuse et équitable des trésors culturels et historiques du pays.
La destruction du musée de Mohamed Mouhib à Mibladen soulève des questions cruciales sur la préservation du patrimoine et l’adaptation des politiques culturelles dans les régions moins développées. Malgré cet obstacle, Mouhib reste animé par la flamme de la passion et un engagement indéfectible envers la culture et l’histoire de Midelt.
Reconnaissances unanimes au fils de Midelt
Suite à la destruction de son musée, Mohamed Mouhib a livré un poignant témoignage revenant sur les débuts de son projet. Il souligne le triste dénouement en ces termes : « En pleine célébration de la nuit des musées à Rabat, un projet visant à insuffler une nouvelle vie au village minier de Mibladen (Midelt) a été anéanti par les autorités. Cette décision vient obscurcir davantage le futur d’une communauté déjà affaiblie par la cessation de l’activité minière dans les années 1980. » Il met en évidence le manque d’intérêt des autorités locales envers l’héritage de cette ancienne mine, soulignant que c’est la première et unique démolition opérée par les autorités dans ce village depuis la fermeture de la mine. Les travaux de restauration effectués sans autorisation illustrent la situation ambiguë de cette ancienne mine, semble-t-il toujours sous l’emprise de l’ancienne société étrangère exploitante, Pena Roya.
Des commentaires sur les sociaux ont été le théâtre de nombreux messages empreints d’empathie à l’attention de Mohamed Mouhib. Anouar adresse une interpellation cinglante aux autorités, déplorant que « cette démolition met en lumière les lacunes structurelles en matière de gouvernance et d’autorité dans cette contrée, où les initiatives constructives et admirables émanant de particuliers ou d’organisations luttant contre la médiocrité et le chaos sont entravées et réprimées… une illustration patente de l’ignorance et du mépris à l’égard de l’héritage culturel et de son rôle crucial dans l’élaboration des projets territoriaux et des territoires futurs… des territoires qui favorisent la liberté d’expression, la mise en valeur des ressources territoriales, la démocratie et un développement socio-économique concret plutôt que les discours stériles et la rente… »
Hassan Mamoun enfonce le clou en soulignant que « plutôt que de faire obstacle à cette initiative bénévole à forte valeur ajoutée pour la communauté de Mibladen et la région entière, les décideurs auraient dû faciliter et soutenir ce projet, en mettant en place toute mesure nécessaire pour en assurer le succès. Ainsi aurait pu émerger un musée apportant un souffle nouveau à ce site déclinant mais riche en potentiel socio-économique et culturel, en hommage à son passé glorieux sur ces mêmes plans. » Il conclut par un message de soutien sans faille envers le Dr. Mouhib : « Docteur, vous avez toute notre considération et notre solidarité inconditionnelle. »
Enfin, Salah adresse des mots poignants à l’enfant de Midelt, le Dr. Mouhib : « Tu as embelli et éclairé Midelt, le petit Paris. Il est désormais temps pour Midelt de te rendre la pareille. »