Akhannouch et la politique réservée aux seniors

CE QUE JE PENSE

Il y a des moments où le vernis du pouvoir craque, où les masques tombent et révèlent une réalité crue, sans fard. Il y a des instants où le silence en dit long, où les non-dits deviennent plus assourdissants que les mots prononcés. La session d’octobre du Conseil communal d’Agadir en a été l’illustration flagrante.

Un événement qui, s’il était resté un simple incident, pourrait passer inaperçu dans le tumulte des affaires publiques. Mais non, il ne s’agissait pas simplement d’un micro coupé deux fois, mais d’une claque infligée au visage de la participation citoyenne, d’un acte hautement symbolique : celui d’une démocratie réduite au mutisme. Derrière cet acte se cache un homme, Aziz Akhannouch, qui, fort de ses multiples casquettes – maire d’Agadir, président du RNI, chef de gouvernement – a jugé bon de museler une élue communale. Deux fois, avec mépris, il l’a réduite au silence en lui coupant le micro, comme si son intervention n’avait pas sa place dans ce débat. Il n’a pas seulement coupé la parole à une conseillère communale, il a envoyé un message brutal.

Cette conseillère, lucide et courageuse, s’est retrouvée face à un mur de mépris pour la simple raison que dans l’exercice de son mandat, pose des questions cruciales, pertinentes et nécessaires sur la gestion de la ville, en mettant en lumière l’absence de transparence et de responsabilité dans l’utilisation des ressources destinées au développement d’Agadir. Une démarche démocratique, dirait-on si le président de la session ne nous a pas démontré ce qu’il pensait du débat politique : une nuisance qu’il peut éteindre à sa guise. Mais au lieu d’une réponse argumentée ou, à tout le moins, respectueuse, Akhannouch a choisi de l’éteindre. Son tort ? Oser défier un homme qui semble croire que la politique n’est réservée qu’à une élite triée sur le volet.

Et puis, le comble, la réponse assassine, délivrée avec un mépris à peine voilé : « Pour la politique, on sait la faire avec les seniors et on sait comment se disputer entre nous ». En une simple phrase, Akhannouch a réduit le débat à une cour de récréation où seuls les « grands » ont le droit de jouer. Il a préféré clore la discussion par une sentence cruelle, réaffirmant que la politique, la vraie, se fait entre initiés, reléguant une élue communale – et par extension, le peuple qu’elle représente – à l’arrière-cour de la politique, là où la vraie joute se joue entre « seniors ». Et ainsi, il a dressé une barrière invisible mais bien réelle entre ceux qui gouvernent et ceux qui subissent. Les deux casquettes qui s’entremêlent puisque celle du chef de gouvernement prend le dessus en brandissant non sans fierté « nous avons fait en trois ans ce que d’autres n’ont pas pu faire en trente ans ». Voilà donc la conception qu’a notre chef de gouvernement du débat démocratique : une arène réservée à une poignée de privilégiés.

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Mais ce qui est peut-être le plus alarmant, c’est l’indifférence qui a suivi cet incident. Comme si tout cela était normal. On a accusé le coup, à quoi bon en parler ? Comme si le fait qu’un maire, chef de gouvernement de surcroît, puisse ainsi mépriser une élue communale n’était qu’un détail sans importance. Ce qui est encore plus aberrant, c’est que ce comportement provienne d’un chef de gouvernement.

Pourtant Sa Majesté le Roi Mohammed VI, lui, n’a jamais cessé de promouvoir la place de la femme dans notre société, de lui accorder la place et la reconnaissance qu’elle mérite en tant qu’actrice essentielle du développement du pays.

Or on aurait pu espérer qu’avec Akhannouch aux commandes, nous allions enfin franchir le cap de la modernité, avancer avec assurance vers un avenir radieux sur tous les fronts. Mais ce genre de comportement ne fait que raviver de sombres souvenirs. Des souvenirs de ces discours rétrogrades, où la femme n’était qu’une figure de l’ombre, confinée à un rôle secondaire. Comment ne pas se remémorer les paroles de Benkirane, comparant la femme à un lustre, un objet de décoration destiné à rester à la maison ? Aujourd’hui, Aziz Akhannouch ne fait guère mieux. En coupant la parole à une élue, avec ce regard condescendant et ce geste plein de mépris, il nous montre, tristement, qu’une certaine classe politique n’a toujours pas dépassé ces archaïsmes. La femme, aux yeux de ces hommes, n’est qu’une simple figurante sur la scène du pouvoir.

Parce que oui, le pire, le véritable coup de grâce, est venu avec cette phrase assassine : « La politique se fait entre seniors ». Une déclaration qui, sous des airs de banalité, trahit un mépris profond. Comme si cette élue, cette femme, n’était là que pour remplir les quotas, pour décorer la façade. Akhannouch, par ces mots, a révélé une vérité douloureuse : malgré les avancées, malgré les lois, malgré les discours enflammés, le chemin vers la reconnaissance pleine et entière de la femme dans les sphères de pouvoir est encore semé d’embûches.

Que reste-t-il alors des engagements en faveur de la parité, de l’égalité des sexes, de l’implication des jeunes dans la vie publique ? Sa Majesté le Roi Mohammed VI n’a cessé de marteler l’importance de ces principes, de rappeler que le Maroc ne pourra véritablement avancer que si toutes ses forces vives – hommes, femmes, jeunes – sont pleinement intégrées dans la gestion de la chose publique. L’autonomisation des femmes, leur participation active, l’implication des jeunes : voilà des priorités nationales que le Souverain a toujours défendues avec ardeur.

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Faut-il rappeler que le Maroc a été salué, en 2022, par le Comité pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes de l’ONU pour ses avancées remarquables en matière de droits des femmes ? Que les réformes entreprises pour garantir l’égalité des sexes et protéger les femmes contre les discriminations ont fait la fierté du Royaume ? Et qu’en est-il des jeunes, cette génération qui attend, patiemment, que l’on daigne enfin lui offrir sa juste place dans la gestion publique ? Mais à l’évidence, malgré ces progrès, le chemin est encore long, très long.

En tout cas, merci Monsieur le chef de gouvernement, de nous rappeler, une fois de plus, que sous vos airs de modernité, se cache un décalage flagrant entre les promesses et la réalité. Malgré les discours enflammés sur l’égalité, chaque fois qu’une élue est réduite au silence et qu’on fait comprendre à la jeunesse qu’elle n’a pas sa place dans le débat, c’est toute la démocratie qui chancelle. Car ne vous y trompez pas : la femme n’est ni un lustre ni un ornement de la scène politique, et les jeunes ne sont pas de simples spectateurs ou des outils à brandir à notre guise. Tous sont des acteurs essentiels, des piliers du changement et du développement.

Bien entendu, la réponse habituelle ne se fait jamais attendre : on crie au complot, au populisme. C’est si commode, n’est-ce pas ? Dès que l’on soulève des dérives évidentes, on brandit l’accusation de complot pour éluder les responsabilités. On détourne le débat, on crie à l’attaque populiste pour étouffer la moindre voix qui exige transparence, respect et égalité. Mais bon, ce stratagème est usé. Ce qui nous exaspère, c’est ce double discours insupportable. D’un côté, on parade avec de grands mots sur une gouvernance moderne, ouverte, qui respecterait les femmes et intégrerait les jeunes. Et de l’autre, on les réduit au silence, on les méprise, dès qu’ils osent poser des questions gênantes. On prétend œuvrer pour une société plus juste, mais il s’avère difficile de la construire.

Alors oui, merci encore, Monsieur le chef de gouvernement, pour nous rappeler que le chemin vers une véritable égalité et une démocratie inclusive est encore bien long.

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