La Province d’Ifrane et le Mondial 2030

«Quand le football redéfinit les règles de la régionalisation élargie»

Ahmed Serghini (*)

La dernière édition des Jeux Olympiques Paris 2024 fut une occasion en or, pour des organismes sportifs, des personnes physiques et morales voire des Etats, de réajuster leurs stratégies, digérer leurs déboires ou fructifier leurs espoirs en matière de gestion sportive. Dans la logique de ces perspectives, le cas de notre pays est très éloquent : en dépit de la piètre performance (à quelques exceptions près) de notre délégation olympique , la version Paris 2024 des Jeux de l’olympe fut riche en enseignements notamment sur le plan organisationnel étant donné que le Maroc est  désigné pour abriter la 24ème  édition de la Coupe du monde de football.

 En plus des attributs, requis à cet effet, que le Maroc s’est évertué à faire siennes depuis belle lurette, et compte tenu de l’expérience qu’il a acquise au fil des différentes manifestations sportives qu’il a organisées, force est de constater que notre pays dispose dans la dernière édition des Jeux Olympiques d’une belle démonstration qui pourrait lui servir de base de départ pour perfectionner ses stratégies et magnifier son savoir faire en la matière.

Certes, notre pays a beaucoup à gagner s’il tire les enseignements convenables des Jeux Olympiques Paris 2024, mais ouvrons ici une parenthèse pour signaler que prendre exemple sur autrui ne signifie aucunement reproduire ses expériences telles quelles ni le prendre pour modèle, loin de là, car nous estimons que notre pays a toujours su engager ses ressources propres de manière originale et efficiente pour s’acquitter des tâches que les instances internationales n’hésitent plus à lui confier. Je ferme ici cette parenthèse et je reviens aux J.O Paris 2024  pour m’interroger sur un  fait qui a attiré l’attention et attisé l’ire du public marocain : pourquoi a-t-on programmé les matchs de notre équipe olympique de  football dans cinq villes différentes, lui occasionnant ainsi, de même qu’à ses supporters, des déplacements coûteux et incommodants ? Les raisons de cette initiative sont multiples mais je tiens à mettre le doigt sur un indicateur simple, mais édifiant, qui pourrait être instructif pour  Maroc 2030 : les organisateurs de Paris 2024 ont agi conformément à des principes de bonne gouvernance qui consistent non seulement à atténuer la pression qui pèse sur la capitale de l’Hexagone lors des Jeux Olympiques comme ce fut le cas pour Pékin en 2008 mais aussi (et surtout) à assurer un degré élevé d’équité territoriale en intégrant le maximum de villes à la carte géographique olympique leur donnant ainsi l’occasion de profiter des retombées financières et touristiques de cette manifestation planétaire.

Les grandes métropoles du Royaume sont déjà relativement assez bien nanties en matière d’infrastructures sur tous les plans, puisqu’elles constituent le noyau dur du dossier qui a corroboré la candidature et le succès de notre pays pour l’organisation du Mondial. Cependant, il faut mentionner que les organisateurs devaient songer à faire interagir   les six villes-hôtes élues pour le Mondial avec leur   biotope en leur associant de manière mûrement réfléchie, proactive et conséquente les villes de leurs voisinages immédiats.

Lire aussi : Infrastructures sportives : Mission britannique au Maroc pour la Coupe du Monde 2030

 La dernière version des Jeux Olympiques a démontré que, pour allouer le maximum de chances de réussite à une grande manifestation sportive, il est judicieux d’envisager l’hébergement de certaines délégations participantes   ( équipes et supporters ) dans les villes voisines pour  assurer  non seulement une gouvernance de qualité à l’événement en répartissant les responsabilités , les tâches et les ressources, mais  également pour augmenter les chances de succès de la manifestation en allégeant les pressions, les congestions, les embouteillages et les saturations tous azimuts   qui constituent d’ores et déjà un véritable supplice  dans nos grandes métropoles, qui accumulent et superposent une concentration des services au même titre que les encombrements qu’ils engendrent.

L’hébergement des équipes dans les villes voisines lors d’une grande manifestation sportive doit être perçu sous l’angle d’une  stratégie avantageuse pour toutes les parties prenantes, permettant un partage des responsabilités et des bénéfices dont le but doit être d’étendre  l’impact positif de l’événement sur l’ensemble de la région et de renforcer simultanément l’idée que la régionalisation élargie est un choix stratégique effectif  pour une gouvernance juste et démocratique et non  pas un verbiage démagogique postiche.

De plus, en intégrant les villes environnantes dans l’organisation de cette manifestation, on leur offre l’occasion de bénéficier des retombées positives du Mondial sur divers plans dont l’aspect infrastructurel constitue sans aucun doute la cheville ouvrière : l’organisation d’un événement de cette envergure pourrait accélérer la modernisation des infrastructures locales, qu’il s’agisse des transports, des installations sportives, ou des services de base, offrant  ainsi des opportunités favorables au développement durable à  la Région entière  et pas seulement à son chef-lieu. Sur le plan socioéconomique, cela dynamise les commerces locaux, crée des emplois temporaires ou permanents comme il peut attirer de nouveaux investissements. Urbanistiquement, ces localités pourraient voir s’améliorer certaines infrastructures, telles que la rénovation des places publiques la création des parkings et des squares, la construction de nouvelles routes, de nouvelles structures hôtelières et autres installations nécessaires pour accueillir convenablement les équipes et les supporters.

Touristiquement, ces villes peuvent connaître une augmentation du flux touristique en attirant, bien entendu, les supporters et les participants à l’événement, mais aussi en bénéficiant, à long terme,  d’une visibilité et une fréquentation accrues qui se traduiraient par une augmentation du tourisme de masse , pendant et même après le Mondial.

Nous nous réjouissons que la capitale spirituelle, siège de la Préfecture de notre région, soit retenue pour accueillir des séquences de cet événement tant attendu par la totalité du peuple marocain, toujours est-il que nous jugeons injuste, voire contradictoire avec le bon sens et le principe de la décentralisation et de la justice territoriale, qu’elle sous-entend et préconise, qu’une ville comme Ifrane ne soit pas retenue, ne serait-ce que partiellement, pour faire partie de ce festival footballistique. Disons-le tout de suite et bien nettement, notre but n’est pas de plaider pour faire jouer des matchs du Mondial à Ifrane, ce qui est d’ailleurs logiquement inconcevable, toutefois l’hébergement d’une équipe, éventuellement avec ses supporters et ses staffs techniques, médicaux, médiatiques…, est très envisageable étant donné que la Perle de l’Atlas possède les conditions sine qua non qui la qualifient à faire partie de ce festival sportif, d’une part en raison des infrastructures hôtelières, touristiques et sportives de haut niveau dont elle dispose et qui font d’Ifrane un pôle touristique et sportif très appréciable. D’autre part  vu le cadre environnemental propice au sport, à la distraction , à la concentration , à la convivialité  et à la villégiature que la ville d’Ifrane peut offrir à ses hôtes.

En effet, Ifrane dispose d’une panoplie d’atouts qu’on ne saurait énumérer et  qui font  de cette  Province une valeur ajoutée et un agrément tellement évident pour cette coupe du monde qu’il serait bien regrettable si les décideurs ne tiennent pas compte de cette réalité pourtant très probante. D’autant plus qu’Ifrane jouit d’une tradition sportive attitrée : elle a fait ses preuves en accueillant des manifestations sportives, culturelles, universitaires… de notoriété internationale : championnat scolaire, jeux de la paix , sports d’hiver sans oublier le fait que les athlètes du monde entier y affluent en permanence pour effectuer des stages et des concentrations en préparation aux grands meetings d’athlétisme. En un mot,  la ville d’Ifrane possède toutes les potentialités que la délégation marocaine a fait prévaloir lors de la présentation du dossier de candidature du Maroc  pour accueillir cette coupe du monde.

Par ailleurs, rappelons que lors du Mondial 2030 les supporters européens se déplaceront en foule chez nous en raison de la proximité de notre pays du vieux continent sans oublier que les ressortissants marocains à l’étranger ne voudront en aucun cas rater cette occasion. En outre, si on tient compte de la ferveur  des marocains pour le sport le plus populaire au monde, on réalise l’ampleur de la pression qui pèsera sur les villes hôtes du mondial , ce qui implique qu’il va  falloir  prendre impérativement  des mesures à la fois sages et draconiennes pour résorber  certaines contraintes  en confiant à certaines villes voisines aux villes hôtes (telles que El Jadida, Tétouan, Mohammedia, Kénitra, Safi Taroudant, Meknès,  Ifrane….) des tâches secondaires comme l’hébergement, l’entraînement…

Le triomphe de la proximité – communément connu sous l’expression la mort de la distance induite par le progrès des moyens de transport ( autoroutes, TGV, aéroports, tramways…) est le meilleur garant pour favoriser le confort et la fluidité du trafic durant le Mondial.

Dans cet ordre d’idées, nous estimons qu’il va falloir accentuer toutes les dispositions, mettre en œuvre tout savoir-faire, ne négliger aucun détail  pour que ce grand rendez-vous sportif ne soit pas un événement conjoncturel mais une véritable aubaine pour l’actualisation effective du développement durable comme ce fut le cas pour l’Espagne en 1982, ce sacré développement durable dont notre Souverain fait la clé de voûte et  la philosophie qui sous-tendent son projet sociétal moderniste , dont l’équité territoriale constitue  la pierre angulaire.

Nous tenons à émettre une réflexion en guise de récapitulation pour affirmer que seule une approche fédératrice du sport , conforme à une vision intègre et intégrée, loin des calculs électoralistes étriqués  peut aboutir à une intégration judicieuse de la chose sportive dans l’esprit du temps pour faire de cette coupe du monde non seulement un spectacle, à l’image de tant d’autres, mais un levier socio-économique et un vecteur à la fois sociétal, éducatif, touristique voire politique pour notre pays déjà foncièrement engagé dans ce défi durable qu’est le développement durable.

Rappelons que lorsqu’il s’agit de réaliser de grands projets, de relever de grands défis, l’élément déterminant n’est pas forcément l’argent, n’est pas toujours le rapport de forces ni la profusion des moyens mais  plutôt l’état d’esprit inclusif, empathique et  franchement citoyen qui règne au sein d’une communauté avec ses mérites et ses élites, ses compétences et ses appétences….. Autrement dit pour réussir ce pari, notre Nation est appelée à mettre en œuvre les alois qu’elle a toujours  assignés à ses valeurs sûres, ses valeurs propres,  qu’elle a acquises et ne cesse de magnifier à travers les âges et qu’elle a toujours su faire  prévaloir chaque fois que l’Histoire la place devant de grands challenges.

Si on tient cette option en considération dès aujourd’hui et qu’on s’attèle sérieusement à son accomplissement , on peut gager que les préparatifs au Mondial partiront sereinement de bon pied, tant il est vrai que notre intelligence collective, ce génie marocain qui s’est illustré à travers les siècles ne peut se développer et s’épanouir que dans l’équité et l’égalité des chances, conformément aux valeurs universelles que le Maroc n’a de cesse de déclarer solennellement siennes entre autres la démocratie participative et la décentralisation.

Concluons que ce sont les décisions audacieuses et judicieuses, intelligentes et intelligibles qui laissent des traces lumineuses dans l’Histoire des Nations comme dans les mémoires des peuples, c’est pourquoi nous estimons que l’organisation de ce  Mondial qui fut, depuis une quarantaine d’années,  le rêve d’un peuple est désormais le défi de toute une Nation.

Et si on compte vraiment faire du sport un paramètre et un vecteur de progrès, la Coupe du Monde 2030 est une opportunité réelle pour la cohésion sociale et la mise à niveau d’une justice territoriale  réaliste  et réalisable  ni sélective ni exclusive,  il faut la concevoir sous l’angle  d’une  forme de régionalisation totalisante, inclusive, juste et prometteuse.

Avec l’organisation de cette Coupe du Monde, le Maroc persévère certes dans la voie de la mondialité et de la modernité, mais pour y accéder d’une manière bienséante et conforme à ses principes majeurs, une régionalisation équitablement  élargie est certainement un bon sésame.

(*) Ahmed Serghini , Enseignant, chercheur et acteur social

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