Nisrine Iouzzi : « Faire de Dakhla Atlantique un port capable de répondre aux exigences des opérateurs économiques »

Par Souad Mekkaoui

Dans le cadre du «Grand entretien» avec Maroc Diplomatique, Nisrine Iouzzi, Directrice de l’aménagement du nouveau port Dakhla Atlantique, nous livre une analyse approfondie sur les perspectives d’innovation technologique qui feront de cette infrastructure stratégique un modèle portuaire de nouvelle génération. En s’appuyant sur les meilleures pratiques mondiales, ce projet ambitieux vise à répondre aux exigences écologiques actuelles tout en intégrant les principes du développement durable. Situé à 40 km au nord de Dakhla, ce port devrait transformer la connectivité du Maroc avec l’Afrique de l’Ouest et le Sahel, en faisant de la route nationale RN1 un corridor logistique majeur.

Depuis sa prise de fonction au ministère de l’Équipement et de l’Eau en 2015, Mme Iouzzi s’est imposée comme un pilier de la stratégie portuaire marocaine. Avec un investissement total de 12,5 milliards de dirhams, le port Dakhla Atlantique est une pièce maîtresse du Modèle de Développement des provinces du sud et s’inscrit dans la Stratégie portuaire nationale à l’horizon 2030.

Dakhla

l Maroc Diplomatique : Le port de Dakhla Atlantique est destiné à devenir un hub de commerce entre l’Europe, l’Afrique et les Amériques. Quelles sont les étapes essentielles pour concrétiser cette ambition et positionner le port comme un acteur incontournable sur la scène internationale ?

Nisrine Iouzzi : Repositionner le Maroc sur la scène portuaire internationale est l’une des ambitions centrales de la stratégie portuaire nationale à l’horizon 2030 bâtie par le Ministère de l’Equipement et de l’Eau. Au cœur de cette dynamique se trouve le port de Dakhla Atlantique, un projet royal visionnaire à la fois géostratégique et inclusif, destiné à devenir un véritable levier de développement régional et continental.

Notre approche pour concrétiser cette ambition repose sur plusieurs axes stratégiques. Tout d’abord, (i) la construction d’une infrastructure de haute qualité, en phase avec les standards internationaux en matière de construction portuaire. Chaque partie de cet ouvrage portuaire est conçue pour répondre aux exigences des opérateurs logistiques internationaux.

Ensuite, (ii) la connectivité et la multimodalité à travers une liaison au réseau routier national, renforçant ainsi son rôle comme clef dans les corridors logistiques africains reliant le Maroc aux pays de l’Afrique, et reliant les pays du Sahel à la façade atlantique. A travers cet écosystème portuaire, nous aspirons à mettre en place un écosystème industriel dynamique autour du port, notamment dans la zone d’activités économiques adjacente. Cela favorisera l’émergence de nouveaux pôles de compétitivité dans des secteurs de production traditionnels et aussi émergents, tels que la transformation des produits de la mer, l’agriculture, l’industrie, les énergies renouvelables, ….

Enfin, (iii) et pour que cette infrastructure puisse jouer pleinement son rôle, nous concentrons également nos efforts, auprès des services concernés,  sur l’attractivité du port auprès des investisseurs, par la mise en place de solutions de partenariat public privé offrant un climat favorable pour le partenariat, et la coopération à l’échelle régionale et internationale.

l Quels axes d’innovation technologique priorisez-vous pour transformer le port de Dakhla en un modèle de nouvelle génération, en phase avec les meilleures pratiques mondiales, tout en répondant aux préoccupations écologiques croissantes et en assurant un développement durable ?

– Notre ambition est de faire de Dakhla Atlantique un port intelligent et respectueux de l’environnement, en intégrant les technologies les plus avancées. Dès la conception du projet, l’accent a été mis sur le respect de l’environnement. Nous avons adopté une approche globale, intégrant des outils de modélisation numérique, des systèmes de gestion des ressources et de suivi environnemental, ainsi que des technologies de contrôle de la qualité des travaux. Nous avons aussi opté pour l’installation de panneaux solaires afin de couvrir une partie des besoins énergétiques du chantier.

Une fois opérationnel, le port adoptera des pratiques écoresponsables visant la réduction de son empreinte carbone. L’objectif est clair : faire de Dakhla Atlantique un port à la fois performant et vert, capable de répondre aux exigences des opérateurs économiques tout en protégeant notre environnement.

Un port vert, à l’image de la région Dakhla Oued Edahab, qui recèle de potentiel naturel pour la production des énergies renouvelables. Il est donc très évident que ce port a été sélectionné comme étant un pilier majeur pour l’offre Maroc pour l’hydrogène vert. Une offre ambitieuse et au diapason des tendances mondiales en terme de transition énergétique et de décarbonation.

l Avec déjà 2500 emplois créés, quels sont vos objectifs à long terme pour maximiser l’impact socio-économique du port sur la région, et comment envisagez-vous de contribuer au développement des secteurs clés tels que le tourisme, l’agriculture et les énergies renouvelables ? 

– La dynamique socio-économique que le port de Dakhla Atlantique apporte à la région est palpable.

En phase de construction, ce sont plus de 2500 emplois (Directs et indirects) qui sont prévus principalement dans les secteurs du bâtiment et des travaux publics. Le chantier accueille aujourd’hui environ 1700 personnes : ingénieurs, techniciens, agents de maitrise, et ouvriers. Comme étant des emplois directs.

Mais notre ambition va bien au-delà. En phase d’exploitation, le port, adossé à la zone industrielle et logistique, sera un catalyseur pour la création d’emplois dans divers secteurs.

Ce projet s’inscrit dans une vision plus large, celle de faire de Dakhla un centre d’attraction économique et une vraie plaque à induction pour le développement social.

Les PME locales, quant à elles, bénéficieront d’un écosystème favorable grâce aux différents mécanismes offerts par la profession. Et elles profiteront par la suite des chaînes de valeur créées par le port et ses installations.

Par ailleurs, la production des énergies renouvelables dans nos provinces du Sud, notamment l’hydrogène vert, renforcera le rôle de hub logistique et industriel du port de Dakhla Atlantique. Cette industrie constituera un levier majeur pour le développement économique de la région et pour l’avenir énergétique du Royaume.

Dans cette démarche, notre objectif ultime est de faire de Dakhla Atlantique non seulement un moteur de croissance économique, mais aussi un vecteur de développement social intégré et inclusif pour toute la région.

lLe port de Dakhla Atlantique, en lien avec la RN1, deviendra un corridor essentiel entre le Maroc, l’Afrique de l’Ouest, et le Sahel. Comment cette infrastructure renforcera-t-elle la connectivité régionale et quels avantages économiques en attendez-vous ?

Le port de Dakhla Atlantique, par sa position géographique, se situe à la croisée des chemins des grands axes commerciaux reliant l’Europe, l’Afrique et les Amériques. Sa connexion directe au réseau routier national, facilitera les échanges entre le Maroc, la région du Sahel et l’Afrique de l’Ouest. Grâce à cette infrastructure, les matières premières et les produits manufacturés africains pourront transiter plus facilement vers les marchés d’Europe et d’Amérique.

L’avantage économique majeur réside dans la réduction des coûts logistiques et des délais de transport, et cela à travers la massification et la diversification des flux logistiques. Les échanges commerciaux en seront dynamisés, ouvrant la voie à de nouvelles opportunités pour les entreprises marocaines et africaines. Le port deviendra ainsi un point de passage stratégique, offrant un accès privilégié aux pays enclavés du Sahel, et contribuant aux efforts de l’intégration économique africaine.

lSi vous deviez projeter le port de Dakhla Atlantique dans 20 ans, quels changements majeurs espérez-vous en termes d’innovation technologique, de compétitivité, et d’impact global sur le commerce international et le développement durable ?

Dans 20 ans, nous imaginons le port de Dakhla Atlantique comme une infrastructure pionnière, à la fois digitale et durable « SMART PORT ». Sur le plan technologique, le port sera un modèle de port intelligent, intégrant des systèmes d’automatisation avancés, des processus logistiques entièrement digitalisés et une gestion prédictive des flux grâce à l’intelligence artificielle.

Sur le plan compétitif, le port Dakhla Atlantique a tout le potentiel pour se hisser parmi les ports les plus performants de l’Afrique, avec une capacité de gestion accrue et des services de soutage en carburants verts pour les navires.

En termes d’impact global, le port aura consolidé le rôle du Maroc en tant que hub stratégique pour les flux commerciaux entre l’Afrique, l’Europe et les Amériques, tout en assurant un développement harmonieux et respectueux de l’environnement.

l La zone industrielle adossée au port, incluant la zone logistique West Africa, jouera un rôle crucial. Comment ces infrastructures renforceront-elles la compétitivité du Maroc à l’international, et quels secteurs industriels en bénéficieront le plus ?

– La création de la zone industrielle et logistique adossée au port de Dakhla Atlantique est une composante essentielle du projet. Cette zone, avec ses 1000 hectares dédiés à des activités industrielles et commerciales, deviendra un moteur de compétitivité pour le Maroc. Elle est conçue pour attirer les investissements locaux et internationaux en offrant des conditions optimales de développement pour les entreprises.

La West Africa Free Zone offrira des espaces de stockage, des services logistiques de pointe et des plateformes industrielles, permettant ainsi de réduire les coûts de production et d’optimiser les chaînes d’approvisionnement.

La West Africa Free Zone facilitera également les échanges commerciaux interafricains tout en renforçant l’offre exportable du Maroc vers l’Europe, les Amériques et au-delà. Le port et sa zone industrielle deviendront ainsi un pôle d’attractivité incontournable pour les investisseurs, consolidant la place du Maroc comme hub logistique et commercial de référence en Afrique.

l Le port Dakhla Atlantique facilitera l’accès des pays du Sahel à l’Atlantique. Pouvez-vous nous détailler comment ce projet contribuera à désenclaver des nations comme le Mali, le Niger et le Tchad, et quels impacts économiques sont attendus pour ces régions ?              

– Le projet Dakhla Atlantique reliera les pays enclavés du Sahel à l’océan Atlantique. Grâce à son emplacement stratégique et à son intégration dans les grands corridors de transport, ce projet offrira aux pays comme le Mali, le Niger ou encore le Tchad un accès direct aux routes commerciales maritimes internationales.

Ce désenclavement ouvrira la voie à une nouvelle dynamique économique pour ces nations en leur offrant la possibilité d’exporter plus facilement leurs matières premières et d’importer à moindre coût des biens de consommation ou des intrants industriels. Le port de Dakhla Atlantique deviendra ainsi un point d’entrée et de sortie privilégié pour les marchandises en transit, permettant aux économies du Sahel de se diversifier et de se connecter aux marchés mondiaux.

Les impacts attendus sont multiples : une réduction des coûts logistiques, une augmentation des échanges commerciaux, la création d’emplois locaux liés au transport et à la logistique, et, in fine, une amélioration des conditions de vie des populations de ces pays. En s’appuyant sur le port de Dakhla, le Maroc renforce ainsi son rôle de partenaire stratégique pour le développement économique du Sahel et du continent africain dans son ensemble.

l Le port Dakhla Atlantique accueillera diverses industries, y compris l’industrie halieutique, les mines et le trafic de conteneurs. Comment cette approche multimodale va-t-elle transformer la chaîne logistique au Maroc et en Afrique subsaharienne et quels avantages compétitifs cela apportera-t-il à la région ?

– Cette vocation plurielle adoptée pour le port de Dakhla Atlantique est un atout majeur pour redéfinir intelligemment les chaînes logistiques dans la région. Avec ses infrastructures spécialisées, le port est capable de répondre aux besoins variés des opérateurs économiques.

Cette diversité d’activités permettra de mutualiser les coûts de manutention et de stockage, tout en offrant une flexibilité opérationnelle très compétitive.

Le port ambitionne de devenir un centre névralgique pour la distribution des marchandises au niveau continental, créant des synergies entre les différentes industries présentes. Cela renforcera la compétitivité de la région en attirant des flux commerciaux de l’Europe, des Amériques et de l’Afrique subsaharienne. Avec cette complémentarité, Dakhla Atlantique positionnera le Maroc comme un acteur clé dans la logistique internationale, favorisant l’intégration des économies africaines.

l Avec un peu plus de 26% du chantier déjà réalisé, quelles sont les prochaines étapes critiques pour garantir que le port sera livré dans les délais prévus à savoir fin 2028, tout en respectant les standards internationaux de performance et les attentes des acteurs économiques mondiaux ? 

– Nous avons franchi un cap important avec plus un taux d’avancement des travaux dépassant les 25%. Les prochaines étapes se concentreront sur la finalisation des ouvrages maritimes, notamment le pont maritime de 1330 mètres, les digues et les quais. Cette phase sera suivie par l’aménagement des bassins et des terre-pleins pour accueillir les terminaux dédiés.

Chaque étape est planifiée pour garantir le respect des standards internationaux de construction et de sécurité. La mise en place des infrastructures de support, telles que les routes d’accès, les réseaux d’énergie et les systèmes de gestion des eaux usées, sera également planifié au bon moment pour assurer le bon fonctionnement du port.

Notre objectif est de respecter les délais tout en maintenant une qualité de réalisation à la hauteur des attentes des opérateurs de classe mondiale. La livraison du port dans les délais impartis est un engagement que nous prenons avec rigueur et détermination.

Le port Dakhla Atlantique repose sur un partenariat public-privé solide. Quels ont été les principaux défis techniques rencontrés, notamment dans les travaux en mer et l’approvisionnement, et comment avez-vous surmonté ces obstacles tout en respectant les délais et les budgets ?

Sur le plan technique, et à l’instar des grands projets d’infrastructures portuaires, le projet Dakhla Atlantique est un projet de génie civil complexe et ambitieux comprenant à la fois un port maritime d’une longueur dépassant 1,3 Km réalisé sur des pieux métalliques battus, des digues maritimes de plus de 6Km avec une carapace de protection totalisant plus de 200.000 blocs cubiques, des quais d’accostage de différent type totalisant un linéaire dépassant 2Km, des terres pleins d’une surface de 60 hectares. Pour réaliser ce méga-projet selon les standards internationaux, une installation de chantier a été mise en place composée de plusieurs ateliers techniques comportant du matériel équipé par une technologie de pointe. Notons également une surface de plus de 5000 Ha en termes de carrières ouvertes pour l’approvisionnement en matériaux.

La réussite de la réalisation de ce projet nécessite une planification rigoureuse et participative afin de répondre d’assurer sa livraison en terme, de coût, délai et qualité, tout en s’inscrivant dans les exigences environnementales et de résilience requises. L’équipe en charge de l’exécution du projet est principalement marocaine, composée des services du Ministère de l’Equipement et de l’Eau, les bureaux d’études, les experts, les sociétés des travaux, les laboratoires de contrôle, …

Nous avons ainsi mis en place un plan de management rigoureux et collaboratif de type matriciel où le critère relatif à la qualité constitue l’élément central de sa réalisation, et cela selon les trois niveaux, exécution, vérification validation, dans les différents domaines liés à sa réalisation, tels que le (i) l’intégration (ii) le contenu, (iii) les délais, (iv) les coûts, (v) la qualité, (vi) les ressources humaines, (vii) la communications, (viii) les risques du projet, (ix) les approvisionnements du projet.

Aussi, et dans le cadre de l’exécution des travaux, et dans le cadre de notre engagement sociétal, nous veillons de manière rigoureuse au strict respect du Plan de surveillance et de suivi environnemental, ainsi que l’intégration économique et social du projet.

l Le financement de projets aussi ambitieux que le port Dakhla Atlantique et le Gazoduc Maroc-Nigeria est crucial. Quel rôle voyez-vous pour le marché des capitaux dans la réalisation de ces infrastructures, et comment ces projets contribueront-ils au développement économique et à l’intégration régionale de l’Afrique de l’Ouest ?

– Les projets d’infrastructure de cette envergure nécessitent des financements très importants, qui dépassent pour certains, les capacités de financement des pays concernés. Pour le projet du port Dakhla Atlantique, l’Etat marocain a pris en charge la totalité du financement.

En tant que projet stratégique, le port de Dakhla Atlantique servira de catalyseur pour l’intégration régionale. Il renforcera les liens commerciaux entre les pays de l’Afrique de l’Ouest. La combinaison du port et du gazoduc positionnera le Maroc comme un acteur clé dans la dynamique de coopération économique africaine.

Le recours aux marchés des capitaux pour financer les infrastructures de l’État à long terme fait partie des solutions les meilleures adaptées, vu les avantages qu’ils offrent, en termes de diversification des sources de financement, réduction des coûts à des niveaux très compétitifs, et bien évidemment en réduisant la dépendance aux emprunts traditionnels.

Légendes :

  • Nisrine Iouzzi : « Dans 20 ans, nous imaginons le port de Dakhla Atlantique comme une infrastructure pionnière, à la fois digitale et durable « SMART PORT ».
  • Grâce à son emplacement stratégique et à son intégration dans les grands corridors de transport, le port offrira aux pays comme le Mali, le Niger ou encore le Tchad un accès direct aux routes commerciales maritimes internationales.
  • Une fois opérationnel, le port adoptera des pratiques écoresponsables visant la réduction de son empreinte carbone.

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