Santé : une crise multidimensionnelle confrontée aux enjeux des réformes
Le secteur de la santé au Maroc traverse une période critique marquée par des revendications sociales sans précédent, une série de grèves paralysantes et des défis structurels majeurs. Les efforts du nouveau ministre de la Santé, Amine Tahraoui, pour réformer le système et répondre aux besoins pressants, suscitent à la fois espoirs et scepticismes. Entre pénurie de médecins, exode des talents et tensions sur le prix des médicaments, les initiatives annoncées devront surmonter de nombreux obstacles pour restaurer la confiance des citoyens et des professionnels de la santé.
Depuis plusieurs mois, le secteur de la santé est secoué par une vague de mécontentements émanant de divers acteurs. Étudiants en médecine, internes, pharmaciens et infirmiers multiplient les grèves, dénonçant des conditions de travail précaires, des infrastructures inadaptées et une gestion perçue comme inefficace.
Le cas des étudiants en médecine et en pharmacie est emblématique. Leurs revendications, allant de la révision des modalités de formation à une meilleure prise en charge des stages pratiques, ont culminé dans une grève générale qui a paralysé l’ensemble du cursus universitaire pendant plusieurs semaines. Cette situation a non seulement retardé la formation des futurs professionnels, mais également accentué la pénurie de personnel médical dans un contexte déjà tendu.
Parallèlement, les syndicats des médecins hospitaliers réclament une revalorisation salariale, une réduction des heures supplémentaires non rémunérées et des garanties sur l’accès à des équipements médicaux de qualité.
Face à la pénurie criante de médecins, qui se chiffre à près de 32 000 postes vacants selon les dernières estimations, le gouvernement d’Aziz Akhannouch a envisagé une solution audacieuse : le recrutement de praticiens en provenance d’Afrique subsaharienne. Cette proposition, bien qu’annoncée comme temporaire, a suscité un tollé au sein du corps médical marocain.
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Pour beaucoup, cette mesure est perçue comme un aveu d’échec, révélant l’incapacité du gouvernement à fidéliser ses propres talents. Certains professionnels y voient également une menace pour les normes de qualité des soins, estimant que l’intégration de médecins étrangers nécessitera un temps d’adaptation et une harmonisation des pratiques.
Les réformes entre ambitions et scepticismes
Dans ce contexte tendu, le ministre de la Santé, Amine Tahraoui, a présenté une feuille de route visant à redresser le secteur. Les principales mesures s’articulent autour de trois axes : l’amélioration des conditions de travail, la modernisation des infrastructures et la régulation des prix des médicaments.
Le gouvernement a promis des investissements massifs pour moderniser les hôpitaux et centres de santé publics, citant en exemple des établissements de pointe comme le CHU Mohammed VI à Tanger et le nouvel hôpital d’Agadir. Ces projets, censés répondre aux standards internationaux, visent à offrir un environnement de travail attractif pour dissuader les professionnels de partir à l’étranger.
Par ailleurs, des réformes juridiques sont en préparation pour garantir aux médecins et infirmiers des perspectives de carrière plus claires et des avantages sociaux renforcés. Toutefois, la concrétisation de ces promesses reste incertaine, les syndicats dénonçant un manque de calendrier précis et de financement clairement alloué.
Un autre enjeu central est la régulation des prix des médicaments, souvent jugés exorbitants par les ménages marocains. La suppression de la TVA sur les produits pharmaceutiques et les matières premières en 2024 a permis une baisse de prix sur plus de 4 500 médicaments, mais cela ne semble pas suffire à soulager les foyers les plus modestes.
Pour réduire encore les coûts, le ministère mise sur la production locale de médicaments génériques. Cette stratégie vise non seulement à diminuer la dépendance aux importations, mais aussi à dynamiser l’industrie pharmaceutique nationale. Cependant, la capacité des usines marocaines à répondre à une demande croissante reste un point d’interrogation majeur.
Gestion des pénuries
Les pénuries de médicaments, fréquentes dans les hôpitaux publics, sont également une priorité. Le ministre a annoncé une stratégie nationale de gestion et de distribution des stocks, incluant l’utilisation de systèmes numériques pour garantir un approvisionnement équilibré dans tout le pays.
Si les réformes annoncées par Amine Tahraoui suscitent un certain optimisme, leur mise en œuvre s’annonce complexe. Les défis sont multiples : convaincre un corps médical en colère, assurer des financements pérennes et surmonter les obstacles bureaucratiques qui freinent souvent les initiatives gouvernementales.
En outre, le ministre devra composer avec un contexte social explosif, où la moindre hésitation peut relancer les mouvements de grève et compromettre la stabilité du secteur.
Enfin, se pose la question de savoir si ces réformes suffiront à restaurer la confiance des citoyens, dont beaucoup se tournent de plus en plus vers le secteur privé ou vers des soins à l’étranger, faute d’alternatives satisfaisantes.