Vers une approche afro-africaine de l’intelligence artificielle : le rôle du Maroc
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Par Hachem Ben Essalah (*)
L’intelligence artificielle (IA) façonne l’avenir des économies du monde entier. Cependant, une grande partie de l’innovation en matière d’IA a été menée par des institutions du Nord, négligeant souvent les besoins et les défis auxquels sont confrontés les pays du Sud, en particulier l’Afrique. Dans cet article nous nous proposons d’expliquer pourquoi l’Afrique doit développer sa propre stratégie d’IA, en tirant parti de l’expertise de sa diaspora et en soulignant le rôle essentiel que pourra jouer le Maroc dans cette transformation.
Les systèmes d’IA développés dans les pays du Nord sont souvent élaborés à l’aide d’ensembles de données qui reflètent les contextes culturels, économiques et sociaux des pays développés. Lorsque ces systèmes sont appliqués en Afrique, ils passent souvent à côté de la cible, en raison de biais dans les données et d’une déconnexion avec les cultures et les réalités locales. Par exemple, les algorithmes d’IA sont généralement formés sur des ensembles de données qui ne représentent pas la démographie africaine, ce qui les rend moins efficaces dans les contextes africains. De plus, les cadres éthiques utilisés dans le Nord peuvent ne pas correspondre aux valeurs communautaires et aux pratiques de prise de décision dans de nombreuses sociétés africaines, ce qui conduit à des solutions d’IA inappropriées ou inefficaces.
Une façon de surmonter ces défis est de tirer parti des connaissances et de l’expertise de la diaspora africaine travaillant dans l’IA et les domaines connexes dans les pays du Nord. Ce groupe a accès à des technologies, à des recherches et à des réseaux de pointe qui peuvent être exploités pour renforcer les capacités d’IA de l’Afrique. Les professionnels africains dans les pays développés peuvent plaider pour l’inclusion de données et de perspectives africaines dans les projets mondiaux d’IA, en poussant à la création d’ensembles de données qui reflètent les diverses langues, cultures et démographies de l’Afrique, ou pour la recherche axée sur les défis africains. En outre, ils peuvent jouer un rôle crucial dans l’avancement de l’IA en Afrique en encadrant des chercheurs locaux, en s’engageant dans des recherches collaboratives et en organisant des ateliers pour autonomiser les étudiants et les professionnels africains.
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En combinant leur expérience mondiale avec une compréhension approfondie des besoins africains, les professionnels de la diaspora peuvent développer des solutions d’IA qui répondent à des défis uniques, tels que l’amélioration des pratiques agricoles, la gestion de l’eau ou la prestation de soins de santé dans les régions mal desservies. Ces efforts peuvent aider à faire progresser l’IA et la technologie en Afrique. Mais pour de réels progrès, l’Afrique doit ouvrir sa propre voie plutôt que de compter sur le Nord pour partager sa technologie. C’est là que le Maroc pourrait entrer en jeu : il est particulièrement bien placé pour mener le développement de l’IA en Afrique.
La situation géographique du Maroc, sa croissance économique et ses liens culturels avec l’Afrique et le Nord lui confèrent des avantages importants. Le pays a déjà fait d’importants investissements dans la technologie, y compris dans des domaines tels que les énergies renouvelables, les villes intelligentes et les infrastructures numériques. Avec un écosystème technologique émergent et des initiatives soutenant l’innovation et l’entrepreneuriat, le Maroc peut servir de plaque tournante pour le développement de l’IA et de pont pour la collaboration entre l’Afrique et l’Europe, voir l’Amérique du Nord.
Grâce à ses liens étroits avec les deux continents, le Maroc peut faciliter des partenariats qui profitent à toute la région. Il peut diriger des initiatives de recherche en IA qui rassemblent des pays africains et des institutions aussi bien européennes que nord-américaines, assurant ainsi le transfert de connaissances et de ressources. La riche diversité culturelle et linguistique du Maroc lui donne également un avantage dans le développement de systèmes d’IA qui reflètent la complexité de l’Afrique. Par exemple, les institutions marocaines pourraient diriger les efforts visant à créer des modèles linguistiques et des ensembles de données pour les langues africaines, en veillant à ce que les outils d’IA respectent la diversité culturelle du continent.
Avec tous ces avantages, le Maroc est en mesure de conduire le développement des infrastructures d’IA en Afrique. Il peut établir des centres de recherche sur l’IA axés sur les défis uniques de l’Afrique, tels que l’agriculture durable, les énergies renouvelables, la gestion de l’eau et la prestation de soins de santé. Ces centres peuvent travailler aux côtés d’universités, d’entreprises et de gouvernements à travers le continent pour développer des solutions pratiques et évolutives qui s’adaptent aux contextes locaux.
La diaspora marocaine très instruite et comprenant de nombreux professionnels de l’IA et de la technologie en Europe et en Amérique du Nord, est également une ressource précieuse. Le pays peut créer des initiatives pour attirer ces experts, grâce à des subventions de recherche, des partenariats et des stratégies nationales d’IA. La construction d’un écosystème d’IA solide et basé en Afrique aidera à remédier aux biais des systèmes d’IA du Nord, et en tirant parti de l’expertise des marocains du monde et de la position stratégique du Maroc, l’Afrique peut alors renforcer son rôle dans le paysage mondial de l’IA.
En fin de compte, s’attaquer aux biais de l’IA du Nord et utiliser l’expertise de la diaspora africaine sont des étapes cruciales dans ce parcours. Avec sa position unique, ses avancées technologiques et ses liens étroits avec l’Afrique et le Nord, le Maroc peut jouer un rôle central. En dirigeant des collaborations régionales, en promouvant l’IA éthique et en renforçant les capacités, le Maroc peut contribuer à façonner un écosystème d’IA qui non seulement profite à l’Afrique, mais enrichit également la communauté mondiale de l’IA.
(*) Hachem Ben Essalah , ancien Directeur général et Chief Information Officer (CIO) au gouvernement fédéral du Canada