Ramadan, miroir cruel des inégalités au Maroc

CE QUE JE PENSE

Le croissant lunaire s’est élevé doucement dans le ciel, annonçant le début du mois sacré. Depuis plusieurs jours déjà, le Maroc se prépare à cette période où ferveur spirituelle et épreuves du quotidien s’entrelacent. Ramadan devrait être un temps de partage et de solidarité, une trêve où l’humilité guide les cœurs. Pourtant, chaque année, il met en lumière une fracture sociale de plus en plus béante, exposant crûment les inégalités qui rongent le pays.

Mais derrière l’apparente quiétude de ce mois de piété, les contrastes se creusent. Tandis que certains s’apprêtent à rompre le jeûne avec faste, dans l’abondance de tables débordantes de mets raffinés, d’autres luttent pour réunir un repas modeste. Entre opulence et dénuement, le jeûne ne revêt pas la même signification pour tous. En effet, dans les quartiers huppés de Casablanca, Rabat ou Marrakech, le Ramadan prend des allures de festival gastronomique. Les grandes surfaces rivalisent d’offres promotionnelles, les hôtels transforment le ftour en une expérience luxueuse, et les restaurants dévoilent des menus exclusifs. Ici, l’esprit d’ascèse et de partage semble avoir cédé la place à une frénésie de consommation.

En revanche, à quelques rues de ces banquets, une tout autre réalité s’impose. Dans les quartiers populaires et les campagnes, la précarité dicte sa loi. Pour de nombreuses familles, rompre le jeûne se résume à un morceau de pain, un verre de thé, quelques olives. La flambée des prix des produits alimentaires de base – huile, farine, légumes – transforme ainsi ce mois de spiritualité en une épreuve économique douloureuse. Dans les souks et les marchés, l’exaspération est palpable. Les associations caritatives, bien que mobilisées, peinent à soulager la détresse d’une population asphyxiée par l’inflation. Tout devient luxe, même l’essentiel.

Pire encore, la spéculation gangrène les circuits de distribution. Alors que certains profitent de la demande accrue pour gonfler leurs marges, les ménages les plus modestes s’enfoncent dans une précarité toujours plus profonde. L’économie informelle, autrefois un refuge, ne suffit plus à combler ce gouffre grandissant entre les classes sociales. Ramadan devient alors le révélateur brutal d’une inégalité galopante, où la ferveur religieuse se heurte à l’âpreté d’une réalité économique implacable. Le paradoxe est criant : alors que le ministre du Commerce révèle que seuls « dix-huit gros spéculateurs » contrôlent l’économie des denrées alimentaires du pays, des millions de Marocains peinent à nourrir leur famille.

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Ainsi, chaque année, Ramadan met le Maroc face à son propre miroir : celui d’un pays où la foi unit mais où l’injustice sociale divise, où la solidarité est prônée mais où l’inégalité s’installe, implacable. D’ailleurs les chiffres sont sans appel. Selon le Haut-Commissariat au Plan, entre 2019 et 2022, le niveau de vie des 20 % les plus pauvres a chuté de 4,6 % par an, contre seulement 1,7 % pour les plus riches. Une spirale inquiétante, amplifiée par les crises successives – pandémie, inflation, sécheresse – qui ont laminé le pouvoir d’achat et creusé un fossé toujours plus profond entre les classes sociales. Une tendance inquiétante qui révèle une réalité amère : la croissance ne profite pas à tous.

Rappelons que les crises successives – pandémie, inflation, sécheresse – ont fragilisé des millions de ménages, amplifiant des disparités déjà alarmantes. À cela s’ajoute un système fiscal déséquilibré qui épargne les plus privilégiés tout en accablant les classes moyennes. Et dans ce contexte, la classe moyenne, autrefois moteur de l’économie marocaine, s’effondre sous le poids des taxes, de la vie chère et des salaires stagnants. Chaque mois, des familles basculent dans la précarité, réduisant à néant des années d’efforts pour une vie meilleure. Et lorsque la classe moyenne s’effrite, c’est tout l’équilibre d’un pays qui vacille.

Il faut bien le dire : les signaux d’alerte se multiplient. Une grève générale de 48 heures a paralysé le pays. Le dialogue social est à l’agonie. Une majorité politique qui ne tient plus que par des fils effilochés. Le ministre Nizar Baraka, brise le silence et pointe du doigt les spéculateurs pendant que d’autres détournent le regard. Et, en toile de fond, un Parlement et un gouvernement qui refusent obstinément de légiférer sur l’enrichissement illicite, comme si exiger un minimum d’éthique relevait d’une hérésie. Tout cela ne relève plus du simple dysfonctionnement, mais d’un dérèglement structurel. Une fracture qui s’élargit et une confiance qui se délite. Ce ne sont plus des faits isolés, mais les pièces d’un même puzzle qui composent une réalité implacable : celle d’un système qui protège les intérêts de quelques-uns au détriment de tous les autres et d’un gouvernement qui est déconnecté de cette réalité.

Ainsi, ce Ramadan, au-delà des prières et des traditions, met en lumière une vérité implacable : la solidarité s’érode sous le poids des inégalités. Le Maroc, terre de générosité, voit pourtant sa cohésion sociale menacée. Plus qu’un mois de spiritualité, ce devrait être un moment de prise de conscience. Un appel à construire une société où chacun a droit à une existence digne, où le jeûne ne soit plus, pour certains, une épreuve subie faute de moyens. Car si la foi éclaire les âmes, elle ne peut briller dans l’injustice sociale qui s’épaissit d’année en année.

Or Sa Majesté a toujours appelé à ce que les gouvernements qui se sont succédé mettent l’humain au centre de leurs préoccupations. Il a toujours insisté sur la nécessité de mettre le Marocain au cœur des politiques publiques. Mais pendant que certains transforment le ftour en un rendez-vous mondain dans des restaurants privatisés, d’autres comptent sur l’aide des associations pour rompre le jeûne. Cette fracture sociale, qui ne cesse de se creuser, pose une question fondamentale : que reste-t-il de l’esprit de Ramadan dans une société où la solidarité se dilue dans le luxe d’une minorité et la souffrance d’une majorité ?

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