FCFA en Afrique : le débat avant l’heure ?
Aucun autre sujet n’aura autant déchaîné les passions, ces dernières décennies, en Afrique. La question du Franc CFA divise, toujours, autant dans les 15 pays utilisateurs de cette monnaie, et même au-delà. D’une part, ses détracteurs, principalement, une frange significative d’une jeunesse africaine, en quête d’affirmation et de souveraineté vis-à-vis de l’ex-colonisateur, et d’autre part, ses défenseurs parmi lesquels des chefs d’états et plusieurs cadres africains. Si remettre en cause la dernière monnaie coloniale, encore en activité, semble légitime, des questions encore plus importantes mériteraient d’être débattues en amont.
Le FCFA n’est peut-être pas le plus grand frein au développement des pays qui l’utilisent, comme pourraient le penser les Africains qui souhaitent, ardemment, tourner la page de la monnaie de la zone franc. Au-delà de la question de la monnaie, la pauvreté du continent trouve son explication dans plusieurs maux, que le seul changement de devise ne suffirait pas à éradiquer.
La corruption et l’inégale répartition des richesses
L’Afrique fait partie des régions les plus corrompues du monde. Le classement de l’année 2017, de Transparency International, une ONG allemande de lutte contre la corruption des gouvernements et institutions gouvernementales mondiaux, est aussi alarmant que les précédents, en ce qui concerne le continent africain. Les signaux sont au rouge, en termes d’indices de perception de la corruption, l’organisation s’appuyant sur « l’abus d’une fonction publique à des fins d’enrichissement personnel ». L’une des conséquences directes de cette corruption est l’instauration d’une inégalité des chances qui permet à une petite élite de s’octroyer la plus grande part des richesses produites, et maintient une partie conséquente de la population dans la pauvreté en la privant de toute possibilité de réussite.
« Dans de trop nombreux pays, les besoins les plus élémentaires des citoyens ne sont pas satisfaits et ces derniers se couchent, tous les soirs, le ventre vide à cause de la corruption, alors que les puissants et les corrompus jouissent d’un mode de vie somptueux en toute impunité », a déclaré José Ugaz, président de Transparency International. Plusieurs pays africains connaissent un fort taux de croissance depuis plusieurs années, mais paradoxalement, la pauvreté s’accentue pour les populations, faute d’une croissance inclusive et de réelles politiques sociales. Et si de légères améliorations ont été observées au niveau de quelques pays africains dans la lutte contre la corruption, le continent reste très marqué par les disparités financières.
La mauvaise gouvernance
Le népotisme est une forme de gouvernance très répandue en Afrique, mais bien plus encore dans les démocraties du sud du Sahara. Il consiste, pour les classes au pouvoir, à favoriser l’ascension des membres de leurs familles dans la hiérarchie qu’ils dirigent, en faisant fi du mérite, du processus de sélection ordinaire et de l’intérêt général. Comme la corruption, elle réduit, considérablement, les chances de réussite des jeunes africains issus de familles pauvres. Car pour émerger, il faut faire partie des familles dirigeantes ou à défaut, y avoir de très bonnes relations. Les compétences, à elles seules, ne suffisent plus. Cela est de notoriété publique sur le continent et tout le monde semble s’en accommoder. C’est même désormais un fait banal dont plus grand monde ne se plaint plus. Les pouvoirs se succèdent mais le système reste le même.
‘‘L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, mais de fortes institutions’’
Ce qui manque, cruellement, au développement de l’Afrique, ce sont surtout des institutions fortes. Barack Obama, l’ex-président américain l’a signifié, au Ghana, dans son allocution du 11 juillet devant le Parlement : « L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, mais de fortes institutions », déclarait-il. Aujourd’hui encore, les chefs d’états africains restent tout-puissants et cumulent les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Car même si, officiellement et en apparence, ils semblent distincts, la séparation des pouvoirs, principe fondamental des démocraties représentatives, n’est pas une réalité sur le continent, d’où la « démocratie africaine ».
Dans des pays très marqués par le népotisme et la mauvaise gouvernance et où les détournements de fonds publics sont très fréquents, mais très peu punis, des pouvoirs législatifs et judiciaires forts, pourraient faire contrepoids à l’exécutif et être le garant d’une société plus équitable. Mais ce n’est pas demain la veille d’un tel changement, du moins, si ces questions ne sont pas remises à l’ordre du jour et sérieusement débattues. Pour l’heure, nous observons, de plus en plus, un recul des libertés publiques. Les populations africaines sont, généralement, représentées par des parlements, plus au moins, monochromes et plus représentatives des dirigeants que du peuple, et une justice aux ordres du pouvoir.
Dans de telles conditions de mauvaise gouvernance avérée, le changement de devise pourrait-il être la solution tant attendue au sous-développement du continent ? La monnaie, à elle seule, suffirait-elle à donner une nouvelle dynamique de développement ou à accélérer l’industrialisation des pays concernés ? Qui serait le garant de cette nouvelle monnaie aux mains d’hommes forts comme l’est le FCFA, aujourd’hui ? La richesse deviendra-t-elle plus inclusive? Les préoccupations fussent-elles légitimes sur l’abandon de la monnaie de la zone franc, la mise en place d’institutions fortes en Afrique, comme dans les démocraties occidentales, pourrait l’être davantage. Quoi qu’il en soit, les chefs d’Etats de la CEDEAO mûrissent l’idée d’une monnaie commune (Eco) qui pourrait voir le jour, vers les années 2020-2025. Une solution probable à la question du FCFA, qui ne résoudrait pas pour autant les questions de fond.