La qualité, maillon faible des télévisions nationales marocaines?
Dossier du mois
Des experts nous livrent leur avis
Abdelhak Najib, Ecrivain, journaliste, présentateur-télé
La télévision, depuis sa création, a toujours été un excellent outil d’information et de communication. À travers les décennies, elle a indéniablement rempli un rôle majeur dans la société. Il ne faut pas se leurrer, la télévision est une immense révolution dans le monde, à son apparition. Puis, très vite, elle est devenue indispensable, plus que la radio, à un moment de l’histoire où le petit écran est devenu une réelle fenêtre sur le monde. Ce rôle s’est maintenu, avec plus ou moins de sérieux et de professionnalisme, jusqu’à il y a quinze ans. Puis la télé-réalité a fait son apparition. Et là, on a versé dans le voyeurisme le plus plat. Reste que de très nombreuses chaînes offrent encore une programmation sérieuse: des films de très bonne facture, des documentaires, des enquêtes approfondies, des reportages bien ficelés. Pour les pôles publics, partout dans le monde, la télévision est en baisse de régime. Les chaînes à thèmes, les chaînes spécialisées ont repris le relais pour l’éducation, la formation, la connaissance et la diffusion du savoir. Aujourd’hui, le constat que je fais, en tant que téléphage, avant d’être présentateur-télé, est que le petit écran traverse sa période la plus floue, la plus insipide pour ainsi dire. Mais il y a des éclaircies, il y a beaucoup d’espoir. D’ailleurs, le monde est un petit village aujourd’hui. N’importe quel citoyen marocain a aujourd’hui accès à presque toutes les chaînes de télévision qu’il veut regarder. Forcément, il compare. Evidemment, le téléspectateur n’est pas stupide ou dupe. Il sait ce qui l’amuse, ce qui lui plaît, ce qui correspond à ses attentes d’amateur du petit écran. Il a toujours le dernier mot et le dernier choix.
Je pense qu’aujourd’hui, aucun pôle audiovisuel au monde ne peut faire l’impasse sur cette ouverture sur les autres télévisions quelles que puissent être leurs origines, via les satellites.
Alors, il faut connaître les différents publics, faire des études approfondies sur ce qui les touche vraiment, ce qui nourrit leurs curiosités, tout en gardant à l’esprit que la télévision doit d’abord élever les goûts, éduquer, apporter du savoir tout en remplissant son rôle de divertissement. L’un n’empêche pas l’autre. Tout est question de bon équilibre, de bon dosage, entre fictions, documentaires, divertissements, jeux… On peut être très nostalgique et dire que la télévision et la radio d’antan étaient meilleures. On peut aussi constater que beaucoup de chemin a été fait et que ce n’est pas si mal que cela, malgré le fait qu’il reste une bonne marge de progression. Vous savez, il y a du bon et du moins bon sur les télévisions et les radios marocaines. Il y a aussi des programmes qui méritent qu’on les applaudisse parce qu’il y a un réel travail de recherche, un traitement sérieux et beaucoup d’interaction avec les différents publics. Je ne peux pas balayer d’un revers de la main tout le travail accompli par les hommes et les femmes à la télé ou dans les différentes radios. Encore une fois, je crois que c’est une affaire d’audience et de choix de cible. Est-ce que c’est suffisant? Bien sûr que non. Est-ce que nous sommes satisfaits des programmes? Bien sûr que non. Mais je pense pour ma part, qu’il y a une grande volonté de donner aux télévisions et aux radios du Maroc plus de clarté, plus de sérieux, plus de professionnalisme. On y arrivera sûrement. Pour moi, la télévision peut remplir le meilleur des rôles. Elle a une mission éducative et pédagogique importante. Dans le monde où l’on vit, avec les différents clivages, la culture de partage et de tolérance, l’élan d’ouverture vers les autres, tous les autres, est une urgence. La télévision peut être un excellent allié culturel et humain pour faire véhiculer d’autres idées sur l’humain, sur la paix, sur le rapprochement des cultures du monde. Le Maroc, à ce niveau, a toujours été respectueux des autres cultures. C’est indéniable. Mais comment peut-on ressentir l’apparition et le développement vertigineux du Net et de la presse numérique par rapport à une télévision qui demeure « verrouillée » et encadrée dans ses libertés, alors que les sites commencent à mettre en ligne un contenu concurrentiel en images? C’est l’inconnue de l’équation. Pourtant celle-ci est au premier degré. Le Net, les réseaux sociaux et l’ouverture satellitaire ont fait que tout le monde a accès à tout. Plus rien ne peut se cacher. Aucun verrouillage n’est plus efficace. Je suis pour cette ouverture contre toutes les censures et tous les verrouillages. Je suis pour la liberté des uns et des autres à accéder à toutes les informations, à donner leurs opinions, mais dans le respect des autres, sans faire dans les provocations primaires, le prosélytisme béat et autres dérapages de la toile. On le voit tous les jours, le Net n’est pas une balade de santé. Loin de là, il y a là aussi de tout, et souvent beaucoup de mauvais et de médiocre.
Le Net et les réseaux sociaux ne véhiculent pas que du savoir et ne servent pas à partager les cultures des autres, à rapprocher les peuples. On y trouve même des choses qui relèvent du pénal et du criminel.
Face à cette percée terrible, qui a de bons côtés, la télévision et la radio, ont toujours une place très importante. Il faut leur trouver le bon tempo, la bonne réactivité, pour ne pas céder trop de place face à l’hégémonie grandissante de la toile, qui se tisse à grande vitesse. Tout peut être dit et véhiculé avec responsabilité et sérieux via la radio et la télévision. Evidemment, j’insiste grandement sur le fait d’éviter la provocation, le choc pour le choc, le sensationnel pour faire recette. C’est du racolage de bas étage. Mais il faut informer dans la dignité en respectant les vies humaines, la sensibilité des uns et des autres. La guerre, les morts, les catastrophes font partie de ce monde fou où l’on vit. Il faut savoir ce qui se passe, mais pas de matraquage à longueur de journée où il n’y a plus de place que pour la mort et la haine des humains les uns pour les autres. Non, il y a encore du beau dans ce monde, il faut aussi nous le faire aimer. Reste la question des enfants face à tout cela ? Là, il faut redoubler de vigilance. Là, tout n’est pas bon à montrer. C’est le rôle des organismes spécialisés de veiller au respect des âges des téléspectateurs. Les parents doivent aujourd’hui, plus que jamais, faire très attention. Entre pornographie, pédophilie, sexe à tout va, guerres, violences de tous genres… et devant un écran de télé, sur le Net, sur les réseaux sociaux, il faut veiller au grain et ne pas laisser passer n’importe quoi.