Ramadan: ce mois béni qui nous rassemble
Les rituels donnent un rythme à la vie, la colorient et la ponctuent. Ils se transmettent de génération en génération et s’effectuent dans une ambiance familiale, empreinte de joie et de convivialité. Certains s’imbriquent en nous et finissent par faire partie de notre vie ou mieux de notre nature. Les habitudes enracinées dans nos coutumes prouvent que la modernité coexiste, harmonieusement, avec la tradition. Que dire alors quand il s’agit du quatrième pilier de l’islam, mois béni et mystique à bien des égards ? Ce mois sacré, consacré au recueillement et à la méditation nous rapproche de Dieu, nous réconcilie avec la vie, avec les autres et avec nous-mêmes.
Mois de purification
De l’arabe « ramida », le mot « ramadan » désigne une chaleur intense. C’est le neuvième mois du calendrier hégirien. Les musulmans ayant l’âge requis sont invités à l’accomplir en toute foi et spiritualité. C’est une période qui marque le début de l’ère de l’islam puisque le Coran a été révélé au prophète pendant la nuit sacrée (laylatou al qadr).
Durant ce mois saint, les croyants s’abstiennent de manger, de boire, de mentir et de médire, de l’aurore au crépuscule. Ce mois est tant attendu par tous les musulmans vu qu’il n’est pas un mois comme les autres. Ils se doivent d’être plus stricts et de s’investir, corps et âme, afin de respecter les préceptes et prescriptions de l’islam et s’éloigner de tout comportement ou conduite allant à l’encontre des recommandations de notre religion. D’autant plus que cela met en évidence toute une communauté de plus d’un milliard et demi soudée dans son âme, qui accomplit en symbiose les devoirs religieux. C’est le mois de piété, d’invocation, de rappel, de pardon, de paix et de proximité divine. Fidèle à la tradition, le Ramadan est la meilleure période de spiritualité humaniste qui constitue un enseignement de vie qui permet de tester sa conscience, sa faculté de don, de compassion et de solidarité. Le jeûne exige ainsi une foi infaillible et profonde qui permet à l’individu une prise de conscience de la vie et de Dieu. Et quand il est bien effectué, il représente une sorte de purification qui rapproche l’âme du Divin en combattant toutes les passions et pulsions pour faire preuve d’une maîtrise de soi implacable.
Une ambiance ramadanesque unique
Ramadan est un avènement impatiemment attendu si bien que l’effervescence des préparatifs se fait sentir, des jours à l’avance, au goût des graines de sésame et des amandes grillés. Femmes et hommes s’arrachent les paniers d’emplettes faites avec soin et frénésie tant on ne peut se retenir devant les magasins qui connaissent une grande affluence et qui étalent une panoplie de produits et de délices préparés aux arômes orientaux. En effet, les marocains ne lésinent pas sur les moyens pour vivre le mois sacré avec tout ce qu’il représente sur les plans religieux, culturel et surtout gastronomique. On assiste alors à un savoureux mélange de senteurs, de rythmes et de couleurs. Dans la soirée, le son de la ghayta émane de la chaîne nationale pour annoncer l’observation du premier croissant de la lune et par conséquent le début des trente jours (ou vingt-neuf) de jeûne. Les coups de canon et le neffar nous tiendront aussi compagnie pendant ce mois spécial. Le rythme de la journée est plutôt calme et lent comme pour ne pas perturber la léthargie des jeûneurs enivrés par les suavités et exhalaisons que dégagent les foyers, les pâtisseries et les fours des médinas. Les rues pullulent de gens qui se ravitaillent avant de se vider d’un seul coup, juste quelques minutes avant la rupture du jeûne. Les tables garnies sont prêtes et on attend impatiemment le coup de canon ou l’appel à la prière. Juste après, toute la famille se réunit, autour du repas, pour savourer les délicieux mets aux mille et une splendeurs. C’est l’occasion propice aux retrouvailles des amis et de la grande famille. Une ambiance de fête anime la vie nocturne et suscite la jubilation. On renoue, pour ainsi dire, avec les traditions, avec la religion et avec nous-mêmes. La nuit ramène la vie dans les cœurs, dans les maisons et dans les rues qui vibrent au rythme des Nuits du Ramadan. L’ambiance bat son plein. Juste après le ftour, les mosquées se remplissent de fidèles pour la prière des Tarawih (rituel ramadanesque). La lecture du Coran est aussi pratiquée avec le dessein de le lire dans sa totalité, avant la fin du mois sacré. Entre cafés et glaciers qui prolongent, exceptionnellement, leurs horaires d’ouverture, tard dans la nuit, veillées conviviales et atmosphère chaleureuse, les familles discutent et plaisantent en dégustant des gâteaux succulents, du thé et des jus pour des nuits aux couleurs et aux odeurs particulières, durant tout le mois sacré, dans un climat typique qui associe tradition, modernité et spiritualité.
Entre chaleur et spiritualité
Pendant ce mois, les musulmans ralentissent le rythme quotidien effréné des affaires et de la vie de tous les jours pour se concentrer sur «l’Être » et l’essentiel en établissant un lien plus étroit avec le Créateur par la prière, la supplication, la dévotion, la charité et les bonnes actions. Il s’agit bien d’un mois de don et de partage qu’il faut aborder avec sérénité pour en faire la plus grande introspection et découvrir la richesse de tous les trésors enfouis au fond de soi. Ce mois est, bien entendu, vécu différemment mais si tous y trouvent l’occasion de plonger, avec volupté, dans une ambiance délicieusement orientale, chacun le vit à sa manière. D’aucuns en font le mois de repentance et de spiritualité. D’autres, des soirées longues de joie et de gaieté autour de tous les délices gustatifs. En chefs d’orchestre, les maîtresses de maison veillent à ce que l’atmosphère soit exceptionnelle à commencer par leurs tenues traditionnelles, les salons marocains réaménagés, les effluves d’encens, la musique conventionnelle et les plats concoctés et servis dans une belle vaisselle sortie pour l’occasion, et tout cela avec soin et amour. Toutes les qualités s’accentuent durant cette période où l’individualisme et le matérialisme n’ont plus de place. La solidarité, l’entraide et l’altruisme sont au rendez-vous comme d’ailleurs d’autres vertus qui se trouvent chamboulées pendant les autres mois de l’année. Les actions caritatives, en ce mois sacré, se multiplient pour venir en aide aux démunis. C’est devenu désormais une habitude louable chez des âmes charitables qui se vouent à ces opérations de bienfaisance destinées à distribuer des repas chauds aux nécessiteux et aux sans-abri. La charité, en ce mois béni, devient un rituel sacré empreint de foi et garantissant un devoir correctement accompli. Ramadan c’est aussi pour s’ouvrir aux autres. Par ailleurs, parler d’interdictions et de privations réduirait le jeûne à un simple exercice physique contraignant. Or la dimension en est beaucoup plus salutaire. On se concentre sur l’âme dont on prend soin et sur la quête de soi, du sens de la vie et de ses priorités.
Ramadan entre tradition et modernité
Tout cela est beau mais le constat est tout autre. Nous sommes à la croisée des chemins et bien des us et des coutumes ont tendance à disparaître malheureusement. Au-delà d’un héritage devenu habitude, les jeunes générations ne s’attardent plus sur la dimension spirituelle ou religieuse du jeûne. Pourtant la modernité n’est en aucun cas incompatible avec la religion, bien au contraire. Et c’est avec une nostalgie du passé de la coexistence religieuse et de spiritualité que nos ancêtres vivent ce mois de Ramadan avec un goût d’inachevé et d’amertume. C’est à nous d’imbriquer cette ambiance spéciale conciliant traditions ancestrales et ouverture sur la modernité dans la vie de nos enfants de crainte qu’ils ne rompent les fils les reliant à leurs origines et surtout à leur religion. On doit leur faire comprendre qu’ils peuvent développer leur potentiel moderne tout en préservant leurs traditions spirituelles et religieuses. Hélas, les enseignements du jeûne sont minimisés voire négligés jusqu’à ignorer carrément les objectifs de ses règles. Ce mois saint devrait être un rappel à l’ordre et nous servir de bon exemple à une bonne conduite dont nous pourrions faire un mode de vie. Or en se laissant piéger par les multiples tentations et appâts de la vie actuelle, nos enfants confondent, à présent, le mois de Ramadan avec repas copieux et gaspillage. Et le jeûne se résume à dormir trop tard, se priver de nourriture pendant la journée et se goinfrer au signal de la fin de l’exercice.