Discours intégral de Nasser Bourita au séminaire de Rabat sur les méthodes de travail du CPS de l’UA
Voici le texte intégral du discours que Nasser Bourita, ministre des Affaires étrangères et de la coopération internationale a prononcé ce mardi 9 mai au Séminaire sur l’amélioration des méthodes de travail du Conseil de Paix et de Sécurité (CPS) de l’Union africaine, tenu à Rabat :
Excellences, Mesdames et Messieurs,
Il m’est particulièrement agréable de retrouver ce lieu du savoir et de la connaissance pour prendre part à vos côtés, à l’ouverture de cet important séminaire sur les méthodes de travail du Conseil de Paix et de Sécurité (CPS) de l’Union Africaine (UA). Cette joie est d’autant plus grande car cette rencontre me permet de rendre hommage à mon alma mater, l’Université Mohammed VI de Rabat, dont j’ai moi-même fréquenté les bancs avant d’entamer ma carrière diplomatique.
Je voudrais, avant d’entamer mon propos, remercier les membres du corps diplomatique, les professeurs, les experts et les étudiants présents aujourd’hui pour contribuer à la réflexion collective sur l’amélioration des méthodes de travail du CPS de l’UA.
L’organisation de ce séminaire s’inscrit dans une triple logique :
- Célébrer notre retour à l’UA et l’entrée du Maroc au sein du CPS;
- Créer un esprit de réflexion inclusive, portant sur les voies et moyens d’améliorer les méthodes de travail de ce Conseil ;
- Associer d’autres acteurs à cette réflexion.
Permettez-moi, d’emblée, de souligner que l’élection du Royaume du Maroc au CPS intervient dans un contexte particulier et, surtout, dans un délai record après le retour du Royaume au sein de sa famille institutionnelle, l’UA.Cette élection constitue à la fois une reconnaissance du Leadership de Sa Majesté le Roi, un témoignage de confiance fort des Etats frères africains et une expression de l’appréciation de l’engagement concret et de longue date du Royaume sur le continent africain.
En somme, elle consacre le rôle constructif et productif du Maroc, ainsi que son approche pragmatique et solidaire, en faveur de la paix, de la sécurité et de la stabilité en Afrique.
En effet, comme l’avait annoncé sa Majesté le Roi Mohammed VI lors de la 28ème Sommet de l’UA, « Vous le constaterez : dès que le Royaume siègera de manière effective, et qu’il pourra apporter sa contribution à l’agenda des activités, son action concourra, au contraire, à fédérer et à aller de l’avant ».
Le Maroc n’est, donc, pas entré au CPS avec un « menu à la carte ». Son engagement se veut total. Aucune crise, aucune tension, aucun conflit n’est marginalisé, laissé de côté, ou relégué au second plan des priorités. Les priorités du continent africain ne se hiérarchisent pas. Elles bénéficient de la même attention car pour le Royaume la sécurité du continent est une et indivisible. L’élection du Maroc au CPS intervient par ailleurs dans un contexte marqué par un climat d’insécurité inédit qui interpelle et appelle résolument à l’action.
Le continent a en effet enregistré pas moins de 14,640 événements conflictuels en 2015, dont le nombre de décès liés à ces conflits s’élève à plus de 35.000 et dont le taux d’incidence des décès (43.2 pour 100.000 habitants en Libye, 38.9 en Somalie et 26.5 au Soudan du Sud) reflète la létalité des conflits, sous toutes leurs formes. Ces conflits sont responsables de 75% des nouveaux déplacements observés en Afrique. Ils provoquent, chaque jour, le déplacement de 15.000 africains dans leur propre pays. Les africains représentent, par ailleurs, 26% des réfugiés dans le monde.
D’autres chiffres édifiants : en 2017, 104 attaques terroristes ont été enregistrées en Afrique. Elles ont fait 623 morts. 20 millions d’armes légères circulent au Sahel. Dans cette même région, le chiffre d’affaires du trafic de drogue s’élève à 4 millions. Dans ce contexte, le CPS, en tant que pierre angulaire de l’architecture africaine de paix et de sécurité, revêt une importance majeure en ce qu’il cristallise les enjeux du continent africain.La prolifération des conflits, la multiplication des acteurs non étatiques menaçant la souveraineté et l’intégrité territoriale des Etats, l’exacerbation du terrorisme, les changements climatiques, pour ne citer que quelques défis multidimensionnels, interpellent, avec acuité, la capacité du CPS, à prévenir, préserver, maintenir et consolider la paix et la sécurité en Afrique.
C’est en ce sens que la réforme du CPS ne peut être dissociée de la réforme plus large de l’Union Africaine. Et c’est, en ces termes, que le Maroc conçoit cet exercice, qui voit les réformes s’imbriquer, de manière complémentaire, globale et intégrée.
L’Afrique est aujourd’hui à la croisée des chemins. Elle ne dispose d’aucune autre alternative pour faire face aux défis considérables qui la traversent que de lancer de manière résolue un aggiornamento des institutions panafricaines. Le processus de réforme engagé au sein de l’UA s’impose, en effet, comme une nécessité impérieuse. Pour chacun de ces défis, qu’ils soient sécuritaires, économiques, environnementaux, démographiques ou politiques, la réforme détient, en elle, un élément de réponse. Le chantier de la réforme de l’institution panafricaine vise à poser les jalons d’une Union Africaine forte, fondée sur une volonté politique ferme et articulée autour d’une vision stratégique progressiste.
Le Rapport du Président Kagamé participe grandement de cette démarche. Porteur d’une vision transformatrice, il pose, sans ambiguïté, les limites des structures de l’UA, et propose des recommandations concrètes et pragmatiques, visant à garantir l’avenir de l’organisation. Il révèle une intention claire de pallier l’inefficacité de l’organisation, de renforcer sa crédibilité et de mettre fin à sa dépendance à l’égard des bailleurs internationaux qui la financent aux trois quarts. Le Rapport Kagamé présente d’ailleurs la réforme du CPS comme une composante de la réforme générale de l’UA, en préconisant une réforme complète du CPS, à travers une révision des membres de l’organe, un renforcement des méthodes de travail et du rôle en matière de prévention et de gestion de crises.
La réforme de l’Union Africaine constitue assurément un chantier important, dans lequel le Maroc s’investit pleinement aux côtés de ses pays frères. Cet investissement participe d’une démarche globale reposant sur les efforts du Maroc pour la consolidation de la paix, de la stabilité et du développement du continent.
En effet, comme l’a affirmé Sa Majesté le Roi lors du 29ème Sommet des Chefs d’Etat et de Gouvernement de l’UA, tenu en juillet 2017 : « L’UA doit être aujourd’hui un instrument au diapason des enjeux de notre Continent. Plus que jamais, elle doit être en phase avec les défis du moment. L’émergence de l’Afrique passe par une refonte de ses institutions continentales, refonte qui permettra de répondre pleinement et impérieusement aux enjeux qu’elle doit relever ».
En ce sens, le tournant dont l’organisation a besoin passe nécessairement par une mise en cohérence de ses organes. Insuffler un élan nouveau à l’institution revient à rationaliser l’emploi de ses ressources, neutraliser les dysfonctionnements structurels, accroitre l’indépendance financière et favoriser l’autonomie décisionnelle. Il est, ainsi, communément admis que le financement de l’UA doit être durable, prévisible et africanisé. L’autofinancement de l’Union africaine n’est pas un vœu pieux ou un projet irréaliste, c’est une condition sine qua none de l’efficacité et de la survie de la structure.
La réforme de l’UA ne concerne pas uniquement son fonctionnement. Elle porte aussi sur sa gouvernance, qui en constitue un pan important. Il faut impérativement éviter que la Commission de l’UA ne se transforme en « Etat dans l’Etat ». Pour cela, les Etats africains doivent mettre en place une véritable « afrocratie » basée sur l’excellence au sein du service public africain, qui sert l’ensemble des Etats africains, et dépasse, par la même, les seuls agendas nationaux.
Dans cette même lignée, il est nécessaire de clarifier les liens entre la Commission et le CPS. La relation ne doit pas être celle d’une structure tirée par le Secrétariat, mais celle d’un secrétariat au service d’une structure intergouvernementale. Le CPS ne peut être l’apanage d’un seul pays, c’est une propriété collective.
Le Maroc est intimement convaincu que le CPS a les capacités requises pour contribuer effectivement au règlement des différends en Afrique et à la réduction des facteurs d’instabilité. Cependant, pour transformer en acte ce potentiel en puissance, pour favoriser l’émergence d’un Conseil fort et efficace, pour adapter ce dernier aux défis de la stabilisation du continent africain, le Maroc est d’avis que si :
- Si le CPS veut s’immuniser contre les aléas de la fragmentation et de l’instrumentalisation politique, il doit renforcer son caractère intergouvernemental et favoriser l’appropriation par ses Etats membres de son agenda, de ses travaux et de ses décisions. Si le CPS se veut efficace et efficient, qu’il aspire à ne pas décevoir les espoirs qu’il suscite, et à prouver sa capacité à remplir pleinement ses fonctions, il doit se doter de ressources humaines et financières adéquates. Pourtant, 3% seulement des décisions sont consacrées aux élections alors que les processus électoraux constituent un gage de renouveau politique, de démocratie et de bonne gouvernance.
- Si le CPS est un organe de décision, comme le définit le Protocole qui l’a institué, il doit être orienté vers l’action. Pourtant, seulement 25% des décisions du CPS contiennent l’expression « décide ».
- Si le CPS est la pierre angulaire de l’APSA, il doit favoriser une acception large de la sécurité, qui saisisse les conflits dans leur pluralité, sans confiner des régions centrales au second rang des priorités. Pourtant, le Sahel qui concentre tous les défis du continent africain ne représente que de 4% des décisions du Conseilalors que le Soudan et le Soudan du Sud concentrent 40% des décisions du CPS.
- Si le CPS constitue réellement « un système de sécurité collective et d’alerte rapide, visant à permettre une réaction rapide et efficace aux situations de conflit et de crise en Afrique », il doit s’orienter vers la prévention des conflits et investir davantage dans la diplomatie préventive et dans l’alerte précoce.
- Enfin, si le CPS veut se conformer aux exigences du 21ème siècle et se hisser à la hauteur des défis du continent, il doit disposer des instruments lui permettant de prendre en compte l’ensemble du continuum de la paix, de la prévention des conflits, à la résolution des conflits, en passant par le maintien et la consolidation de la paix. Sans cette stratégie inclusive soutenant toutes les activités des opérations de paix, l’action du Conseil ne saurait être efficace ou rétroactive.
Le Maroc en tant que membre du CPS entend mettre à la disposition de cet organe, sa riche expérience dans les Opérations de Maintien de la Paix, en matière de consolidation de la paix, et de lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent. L’objectif du Maroc dans le cadre de son mandat est de contribuer de manière efficace et directe aux activités de cet important organe, en apportant sa valeur ajoutée issue de 60 années d’expertise accumulée en faveur du maintien de la paix et de la sécurité en Afrique.
En interne comme en externe, le Maroc continuera à œuvrer pour une amélioration des méthodes qui passe, notamment par une révision des critères d’adhésion, une appropriation de l’ordre du jour, une participation accrue aux travaux du Conseil, une mise à jour des mécanismes de vote et un renforcement de la transparence dans les activités.
Ne nous y trompons pas :
Sans une révision de ses méthodes de travail, le CPS ne pourra pas accomplir les missions qui lui ont été confiées par l’acte Constitutif et par son Protocole ;
Sans un CPS efficace et efficient, il n’y aura pas de réforme de l’UA à laquelle appellent les pays africains et particulièrement le Maroc ;
Sans une mue véritable de l’UA, la Nouvelle Afrique à laquelle nous aspirons collectivement, restera lettre morte ou pure chimère.
Le Maroc, qui a fait le choix de l’afro-optimisme, est conscient de la difficulté de la tâche. Mais, il est confiant quant à la capacité collective des pays africains de relever ce défi avec succès. Je vous souhaite d’excellentes délibérations et plein succès dans vos deux jours de réflexion et de travaux.