Communiquer à l’heure du boycott : le grand défi
Que se cache-t-il donc derrière ce terme lourd de sens mais passe-partout de « communication », souvent utilisé par tous à tort et à travers ?
Si sa définition, enchevêtrée et contradictoire, divise – et ceci depuis Roland Barthes et Pierre Bourdieu en passant par Raymond Corriveau, ou plus proche de nous des intellectuels marocains comme Mohammed Ennaji-, le monde ne cesse de revendiquer la fin de son instrumentalisation à des fins égocentrées. Le terrible « manque de communication » qui sévit telle une épidémie au Maroc entre le pouvoir public et le citoyen a rappelé à ce dernier qu’il était temps de tenter un contrepouvoir.
L’actuel boycott des produits commerciaux, bien que ses objectifs restent encore suspects, représente un symptôme qu’il n’est peut-être pas très judicieux de négliger. Parce que le citoyen marocain se pose, comme jamais auparavant, des questions sur son devenir, toute la stratégie communicationnelle qu’il subit à son corps défendant devrait être remise en question. Tout au plus a-t-il envie de croire en une meilleure gestion des conflits et des répartitions des richesses pour ainsi échapper au filtre d’une mémoire saturée.
La révolte de la foule, de plus en plus paroxystique, prenant parfois des formes aliénantes, mélange d’incompréhension et d’exaspération, rappelle que la communication n’est pas une alternative à la passivité mais bel et bien une bouée de sauvetage. Et parce que le citoyen ne lui a pas encore fait dire son dernier mot, car projetant d’autres boycotts en perspective, la communication donne lieu à une critique sociale de plus en plus assidue.
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En s’indignant à travers les réseaux sociaux, les Marocains expérimentent, pour la première fois, la surenchère et la concurrence en communication avec l’opinion publique, manière de bouleverser les rapports de force, d’ériger une nouvelle tribune et surtout de montrer que la vérité n’est pas unidimensionnelle mais partagée. Ce débordement citoyen souligne un fait nouveau, longtemps considéré comme inquiétant et sur lequel auparavant on ne transigeait pas. En effet, communiquer consiste avant tout à s’opposer et à savoir dire non.
Par effet rétroactif, les Marocains se sont arrogé le droit de faire tomber les barrières du passé et d’écrire une nouvelle histoire, ne serait-ce que sur les murs des médias sociaux, en faisant éclater le carcan des contraintes. Une dynamique rendue possible par une identification citoyenne assumée et puisant sa force dans le désir ultime de se dissocier d’une société essentiellement axée sur la consommation. C’est contre cette tyrannie du paraître que la communauté en rébellion a repensé la nouvelle corrélation entre les mots et leurs sens.
S’il y a bien une chose qu’elle tente de souligner, c’est bien l’inadéquation sémantique entre citoyenneté et consommation. Car si cette dernière consiste en une réponse instinctive aux plaisirs des sens, le premier s’emploie à affermir les rapports sociaux en créant une dynamique collective. En un mot, le fossé qui sépare la citoyenneté de la consommation est le même qui distingue depuis toujours le devoir moral de l’hédonisme.
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C’est pourquoi, être traité de « traître » n’a pas véritablement été perçu comme une insulte, mais a renforcé, au contraire, un certain sentiment de fierté et marque de respect vis-à-vis de la responsabilité collective. C’est aussi dans ce sens que le boycott s’est inscrit à la fois dans une logique de changement intellectuel et comportemental. Etat de fait qui n’est pas allé sans introduire une espèce d’inversion des rôles.
Un peu à l’image de la publicité qui pour convaincre le consommateur de la validité de ses produits agit au moyen de répétitions (images, textes, sons), la communauté rebelle a synchronisé son pouvoir en un élan solidaire pour ne cesser de rappeler à coups de boycotts visuels, textuels et audiovisuels, son refus d’obéissance aveugle. Les entreprises et autres acteurs pointés du doigt savent à présent à quoi s’en tenir.
Il est grand temps que ceux-là pensent à bannir de leur marketing la provocation des stimuli et autres « actes réflexes » chez les citoyens, car ceux-ci, qu’ils aient tort ou raison, sont aujourd’hui la preuve vivante et évidente d’un changement véritable au profit de l’authenticité. Parce que communiquer c’est d’abord exister, refuser de consommer certains produits et services traduit en quelque sorte un « je boycott donc je suis », autrement dit un besoin vital de choisir comment vivre sa vie.
Par Hanane Raoui
Docteur en lettres françaises et professeur de communication. IGA. Casablanca