En attendant « Monsieur Propre », Casablanca crève dans ses poubelles
Par Hassan Alaoui
En Italie, on parle de « mani pulite » ( mains propres) et son champ d’action s’élargit à des opérations de « nettoyage » anti-corruption. Pourquoi pas ? Ici, à Casablanca, on voudrait d’abord privilégier la propreté d’une ville de plus en plus vouée à l’état de délabrement, croulant sous des montagnes d’ordures et d’immondices. Hormis les quartiers chic, élevés au rang de majesté, tous les autres, quels que soient leur situation géographique, leur statut et leur proximité, sont exposés à la sempiternelle et maudite saleté urbaine. Celle-là même qui est devenue le compagnon persistant du citoyen Lambda, qu’aucun pouvoir de la ville ne parvient à gérer ; mais qu’il voit chaque jour meubler son espace – ou ce qui lui en reste !
La ville de Casablanca, personne ne me contredira, n’a jamais été aussi sale et infecte. Depuis 2015 trône au Conseil de la ville, un Maire affilié au PJD, flanqué de collaborateurs et d’une majorité du même parti, à pied d’œuvre pour « déconstruire » la ville, plutôt que de la sauver. Et les grands projets d’infrastructures dont on voit la réalisation ont été programmés bien avant l’arrivée du PJD et de Si Abdelaziz El Omari, président du Conseil de la ville : le Collecteur, les trémies, la Marina, le zoo, le tramway, les tunnels, la Corniche et le théâtre…
Elu en 2015, tout à son parcours honorable, le maire était à la fois ministre, député, membre actif du secrétariat général de son parti, militant pro-palestinien – qui arbore dans son bureau les portraits du Hamas -, donc plusieurs casquettes à la fois qui nous laissent pantois, à désespérer quoi ! A-t-il simplement le temps de s’occuper de la ville ? Le Roi a débloqué en 2014 plus de 34 Milliards de dirhams pour renforcer les infrastructures qui partaient en vrille…
A présent, l’amoncellement des détritus partout où l’on se rend, dans les grandes comme dans les petites rues, sur les artères principales et les boulevards célèbres – comme Mohammed V notamment – constitue à coup sûr un scandale. Excepté de rares moments officiels, je n’ai personnellement jamais rencontré Monsieur le Maire sillonner les rues, s’inquiéter et s’insurger même contre cette dramatique situation et cette monstrueuse négligence qui frappe la ville et place la santé des citoyens dans le danger évident.
On dit qu’il n’y a pas de fatalité à cette tragédie que les grandes villes connaissent ici et là de par le monde. Autrefois Palerme, et même Rome, Paris et Beyrouth, les cités indiennes et africaines étaient données comme exemples de gestion catastrophique, aujourd’hui c’est Casablanca, présentée comme le phare du Maroc moderne…mais plongée dans le désarroi total. Les ordures entassées ne sont pas évidemment le seul fait des autorités, loin de là. C’est le résultat en grande partie de l’incivisme, la rébellion des populations qui, on ne le dira jamais, n’aiment pas leur ville.
La gestion urbaine est un art, en somme. Un certain maire de Chicago, Richard Joseph Daley pour ne pas le nommer, a mis quelque 22 ans avant de connaître sa propre ville, il avait été pourtant son maire de 1955 à 1976, considéré comme l’exemple exceptionnel des « boss des grandes villes ». Autrement dit, le temps et la durabilité constituent le paramètre essentiel pour se familiariser avec une ville, connaître ses soubassements et comme on dit ses arcanes et ses « entrailles »…Driss Benhima, dont on ne soulignera jamais assez le volontarisme et la compétence – qui fut aussi bien un Wali qu’un Maire -, avait lancé cette phrase, tombée comme un couperet : « Casablanca est une ville atomique, ou on la maîtrise et c’est tant mieux, ou elle nous échappe, et elle nous explose sur la gueule »…
Ordures nauséabondes, pollution élevée à son paroxysme, circulation infernale, incivisme effrayant, des sacs retirées des grandes poubelles, éventrées pour être fouinées et abandonnées sur le tas, l’amoncellement cumulé et gigantesque nous pend au nez…Consacrant un peu de 700 Millions de dirhams aux ramassages d’ordures, le Conseil de la Ville a cru rompre le contrat qui le liait à la Compagnie de Suez, via Sita Blanca, abhorrée par les habitants, remplacée depuis quelques mois par Casa Prestation, issue de l’autorité même de la ville, et des Collectivités territoriales. Le mot d’ordre étant « Nous sommes tous concernés » par la propreté de la ville, il implique désormais, outre la Wilaya, le Conseil de la Région que préside Mostafa Bakkoury.
Force est de relever que de tels changements, s’ils sont salués de part et d’autre, ne portent pas en conséquence en fin de compte. Pour le citoyen casablancais, les poubelles et les ordures ménagères – quelque 4000 tonnes par jour – sont un enfer…