Au Maroc, le cinéma « premium » à la conquête des spectateurs
Petites salles insonorisés, fauteuils design, projecteurs dernier cri… l’ancien cinéma du Colisée à Rabat a été refait de fond en comble pour offrir les premières salles « premium » du continent africain, nouveau théâtre de conquête de l’industrie du divertissement.
Après une étude de terrain qui l’a vu « sillonner le pays d’est en ouest« , Pierre-François Bernet, le porteur du projet, a tout misé sur le « concept émergent des cinémas haut de gamme qui marchent de mieux en mieux en Asie mais aussi en France et aux Etats-unis« , avec un confort maximum. Les chiffres du Centre cinématographique marocain (CCM) sont pourtant catastrophiques: le pays comptait près de 300 cinémas dans les années 1980, il en reste une trentaine.
Autrefois très populaires, les salles obscures ont vu leur fréquentation chuter à 1,5 millions d’entrées, même si le niveau des recettes, après un plongeon, est revenu l’an dernier à 72,5 millions de dirhams (6,5 millions d’euros), concentré sur un réseau de quatre multiplexes, à Casablanca, Marrakech et Tanger. La tendance est globale, « beaucoup croient au positionnement haut de gamme, la modernisation de l’offre vise une certaine catégorie sociale, la classe moyenne et supérieure qui ne sort plus et reste à la maison« , analyse Claude Forest, professeur en études cinématographiques à l’université de Strasbourg, dans le nord-est de la France.
Sur la même ligne que Pierre-François Bernet et sa société Ciné-Atlas, « des groupes, avec des stratégies différentes, cherchent à occuper un marché déserté depuis dix ans en Afrique et au Maghreb« , selon le spécialiste, qui suit de près les évolutions du cinéma sur le continent. Le groupe Pathé-Gaumont, leader de l’exploitation des salles en France, va inaugurer d’ici la fin de l’année à Tunis son premier multiplexe hors d’Europe, lorgne des villes moyennes en Tunisie et pense au Maroc, avec la même promesse d’innovation technologique, selon un responsable local joint par l’AFP à Tunis.
Depuis 2015, le groupe Vivendi a ouvert huit salles en Afrique centrale et de l’Ouest avec son réseau Canal Olympia et en prévoit « plusieurs dizaines dans les années à venir » pour « répondre aux attentes d’un continent africain en forte croissance, avide de consommation de biens culturels« , selon un récent communiqué du géant du divertissement. « Ça fait trente ans qu’on annonce la mort du cinéma à cause de la télévision, des cassettes VHS, des DVD, d’internet ou du piratage, mais il ne s’est jamais aussi bien porté: entre 2005 et 2015, l’exploitation a fait un bond énorme au niveau mondial, à +30%« , souligne Bernet.
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Convaincu que « l’Afrique est le marché de demain« , ce Français de 49 ans a choisi le Maroc parce que « c’est là qu’il y a le potentiel de développement le plus fort » et que « c’est la porte d’entrée du continent« . Il travaille sur un deuxième site à El Jadida, une ville de 200.000 habitants sur la côte atlantique, également avec des aides publiques.
A deux pas du premier Ciné-Atlas, sur la plus grande avenue du centre-ville, le cinéma « Renaissance » ne redoute pas la concurrence mais espère au contraire voir « se dynamiser » Rabat, métropole assoupie de près de 600.000 habitants qui se rêve en « capitale culturelle du Maroc« . « Ça peut changer l’image du centre-ville et attirer les classes aisées » qui vivent dans les quartiers résidentiels excentrés, estime Zainab Guedira, la directrice générale du « Renaissance« .
La salle polyvalente héritée des années 20 a été rouverte en 2013 par une association qui porte « la diversité culturelle » -projections, concerts, débats, ateliers- pour une « communauté de fidèles » essentiellement composée d’étudiants fauchés. Pour attirer la nouvelle génération « nourrie aux films gratuits sur internet« , Pierre-François Bernet parie évidemment sur les blockbusters américains.
Pour les autres, il promet des films « pour tous les publics » et a « mis le paquet« , avec 11 millions de dirhams (1 million d’euros), dont 3,6 millions de subvention du CCM. Les marbres précieux du hall ont été rénovés pour donner du cachet, les fauteuils à double accoudoirs sont de couleur blanche, pour « garantir une propreté visible« .
Plus que sur les entrées, l’investisseur mise sur les confiseries et sur la publicité grand-écran, avec un taux espéré de remplissage de 35% -contre 5% dans les autres cinémas du Maroc-, grâce aux quatre salles découpées dans le grand espace avec balcon du vieux Colisée.
AFP.