L’Ambassadeur de France décore Touhami Ennadre du titre de Chevalier de l’Ordre des Arts et des lettres
C’est une cérémonie célébrant l’amitié maroco-française et exaltant sa dimension exceptionnelle. Elle a eu pour cadre, jeudi 26 juillet, le cœur des cœurs de la Médina de Casablanca, dans une rue mythique, la rue Tnaker, à quelques encablures de la Jetée Moulay Youssef, derrière les remparts portugais, comme on dit.
En ces lieux, histoire et mémoire se conjuguent, et dans une ambiance conviviale, dans un décor intime – puis qu’il s’agit du domicile et de l’atelier de l’artiste -, l’Ambassadeur de France au Maroc Jean-François Girault a fait le déplacement à Casablanca pour exécuter un acte solennel de la République française : remettre les insignes de Chevalier des Arts et des Lettres à l’artiste photographe Touhami Ennadre.
Le lieu aussi bien que le moment choisis pour célébrer cette décoration avaient tout d’un événement exceptionnel, marqué au sceau de l’émotion, la présence des membres de la famille du récipiendaire , ses amis, les invités de marque, et bien entendu des personnalités comme André Azoulay, Conseiller de Sa Majesté le Roi, Rachid Andaloussi, architecte et Président de Casa Mémoire, le grand musicien Ahmed Sayyed, l’universitaire Noureddine Hamoudi, Mme Serge Berdugo, Nadia Larguet et autres artistes de la place.
L’Ambassadeur de France, a prononcé à cette occasion une allocution où il a brossé le parcours de Touhami Ennadre et souligné son talent, sa méthodologie et mis en exergue ses choix esthétiques.
Rappelons que Touhami Ennadre, avait aussi été décoré par Sa Majesté le Roi Mohammed VI qui avait également offert au président Obama, comble des combles, un portrait réalisé par le photographe de l’ancienne Medina de Casablanca.
Le discours de l’Ambassadeur de France
Voici le discours que M.Jean-François Girault a prononcé jeudi soir lors de la cérémonie de remise de médaille de chevalier de l’Ordre des arts et des lettres :
« Maître, Mesdames et Messieurs, Chers amis,
On ne peut qu’être impressionné par votre itinéraire qui, en l’espace de quarante ans, vous a mené sur quatre continents, du Maroc à la France, du Japon, à New York faisant en quelque sorte de vous un artiste universel.
Vous êtes né et avez passé vos premières années à Casablanca, dans une maison située en plein cœur de la médina. Les premières impressions de l’enfance, celles de l’obscurité d’une pièce sans fenêtre où les objets se détachent à la clarté de la lampe, irriguent votre œuvre.
Après votre arrivée en France, à la Courneuve, vous faites le choix de vous orienter vers la photographie. Vos images de mains, prises en très gros plan, vous font très vite remarquer. Dès 1977, votre travail est présenté au musée d’art moderne de la ville de Paris.
Vous avez eu, depuis lors, l’occasion d’exposer dans de nombreuses institutions prestigieuses, comme l’Institut du monde arabe qui a rendu hommage à votre travail en 2014. Citoyen français depuis 1986, vous êtes lauréat de la villa Médicis hors les murs, en 1993, et bénéficiez de deux programmes de résidences d’artiste à Nice et à Kyoto.
Vous avez également vécu dix ans à New York, une ville qui inspire tout un pan de votre œuvre. Là-bas, vous avez passé des nuits entières à photographier dans le métro les exclus de la grande cité. Depuis dix ans déjà, vous êtes retourné dans votre ville natale, Casablanca, où vous avez pour ambition de créer une maison de la photographie.
Si ce projet est mené à bien, le bâtiment conçu par l’architecte Tadao Ando verra le jour dans la rue même où vous avez passé votre enfance.
Il permettra d’accueillir les jeunes talents et de familiariser le public marocain avec la photographie. Toute votre œuvre est guidée par une esthétique novatrice, forte, singulière.
Le noir vivant frappe d’emblée quand on voit votre travail.
Non pas un noir artificiel, mais un noir de labeur, un noir qui a été travaillé dans le laboratoire, dans la texture même du papier photographique. Vous réussissez à faire jaillir le blanc de ce noir.
C’est grâce à ce noir que la photographie prend vie. Vous avez fait le choix de vous consacrer uniquement au noir et blanc, laissant la couleur aux peintres, plus à mêmes, dites-vous, de montrer l’éclat et la bigarrure du monde. Un peu comme si vous ne voyiez pas la lumière dans les images polychromes. De même, vous refusez la tentation du pittoresque : vos images s’inscrivent dans un cadrage très serré, évacuant la dimension anecdotique. Ce refus de toute compromission est couplé à une très grande exigence dans la pratique de votre art.
Vous développez vous-même vos photographies, un travail opiniâtre qui prend près de douze heures par image, et qui vous permet d’obtenir un rapport idéal entre l’ombre et la lumière. Vous revendiquez la dimension artisanale de votre métier, sans oublier pour autant que la photographie est un art de l’instant, ce qui vous conduit par exemple à refuser toute mise en scène et le recours à des modèles.
Ce subtil équilibre entre saisie de l’éphémère et laborieux accouchement de l’image fait toute la valeur de votre travail.
Vous dites : « quand je photographie, je ne me laisse pas photographier par le sujet. Loin de me contenter de reproduire la réalité, je l’efface afin de ne pas tomber dans le piège de l’image et de laisser l’imaginaire dévoiler lui-même le réel.
Le sens de mon travail est de faire ressurgir l’essentiel, il n’est jamais illustratif. Il n’y a pas d’intermédiaire entre mon regard et le sujet ». C’est sans doute la raison pour laquelle Alain Jouffroy, poète et critique d’art français, dit de vous que vous êtes le troisième frère Lumière.
Touhami Ennadre, au nom de la Ministre de la culture, nous vous faisons Chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres. »