Abdellatif Hammouchi, le Sacre d’un anti-héros
Par Hassan Alaoui
Les couronnes tressées et les éloges n’en finissent pas de couvrir celui que tous et toutes, sans exception, admirent et interrogent à la fois : Abdellatif Hammouchi. Il est affublé de tous les noms, le « patron », le « premier flic », le « gardien de l’ordre », le « grand protecteur » ou tout simplement – pour sa famille professionnelle surtout – « al moudir al‘am »… Tant d’appellations et de qualificatifs, flatteurs, admiratifs, ne tarissent pas de compliments et brossent un portrait qui confine parfois au mystère, tant il est vrai que d’aucuns, plus ils se prévalent de le décrire voire de bien le connaître, plus Abdellatif Hammouchi leur échappe, demeure inaccessible et moins facile à décrire qu’on le prétend.
Cette donnée, posée en postulat, ne tient pas au seul fait qu’il est le patron de la sécurité nationale et territoriale, dans ses variantes policière, de renseignement et d’action et qu’à ce titre, le secret entoure sa mission. Mais, elle tient d’abord au caractère du personnage lui-même, fait de totale discrétion, d’une culture profonde de pudeur d’un homme qui fait de sa mission une manière de sacerdoce, constamment mobilisé et sur le qui-vive, à toute épreuve, plus « qu’au charbon » comme on dit, et surtout sur d’ardentes braises, assuré en son for intérieur que le quotidien, c’est aussi l’imprévu qui surgit là où l’on ne l’attend point mais qu’il faut gérer.
Pourtant, jamais, en effet, la police nationale n’a travaillé à visage aussi découvert que sous sa gouvernance, n’a autant et si bien communiqué qu’avec lui, cultivant une proximité inédite jusque là, se sentant à la fois responsable et citoyenne, dévouée et engagée au prix d’une série de réformes au sein de l’Administration dont certaines ont plutôt chamboulé bien des habitudes et secoué un héritage très lourd.
Une modestie radicale qui confine à l’effacement
Au mois de juillet dernier, un journal numérique italien, « il POST » lui a consacré un grand article le qualifiant du « super géant marocain qui lutte contre l’extrémisme islamiste » et de « presque un personnage de film ». L’hommage est à la mesure des résultats obtenus bien sûr, illustrant davantage une méthode de travail, l’éthique qui couvre celle-ci, et cette irascible volonté inscrite sur le fronton d’un engagement – complexe et difficile – qui va sans cesse croissant. Le terme « super géant » que l’on lui accole prête à confusion. C’est un sobriquet que lui-même dédaignerait tant l’obligation de réserve d’une fonction – la sienne bien entendu – l’incline à la modestie radicale et au recul. On croit comprendre que le directeur général du pôle DGSN-DGST ne se prête guère au jeu meurtrier de la médiatisation excessive dont il sait la part voyeuriste et les jeux d’ombres redoutables. Lui qui est censé ne «jamais dormir», sacrifiant ses «loisirs» au travail, laborieux «missionnaire» de l’apaisement social et architecte de la sécurité, est aussi un pédagogue impénitent. Il allie le volontarisme à l’action, un tantinet imprégnée de générosité et d’humanisme. Le propriétaire du fameux triporteur est-il malmené par un agent de la circulation qui n’a pas su mesurer ses mots pour l’humilier dans une scène filmée ? Abdellatif Hammouchi prend lui-même l’initiative d’une part, pour limoger le policier et d’autre part, fait rare, voire inexistant dans son genre, recevoir le père de famille et lui exprimer ses regrets…
Toute la nouvelle éthique s’est ainsi déclinée dans ce geste humain de grandeur, nous donnant à voir la nouvelle image d’une police plus proche des populations que ne sauraient le dire mille et un discours. Qui plus est par le directeur général lui-même qui, du haut de sa puissance, a revêtu le costume de l’homme simple, du citoyen pour apaiser les coeurs et administrer la plus belle leçon de civisme ? La phrase de Pascal, philosophe français, tomberait à point nommé ici pour illustrer le civisme exemplaire de Abdellatif Hammouchi, qu’il exige tout naturellement de ses collaborateurs : « s’il se vante, je l’abaisse, s’il s’abaisse, je le vante ». Appliqué à lui-même par un choix personnel rédhibitoire, cet apophtegme est désormais la devise inscrite sur le fronton de la nouvelle police.
Beaucoup d’autres souhaiteraient avoir « leur Hammouchi»
La vaste réforme du système de sécurité entreprise depuis son arrivée à la tête de la DGST, ensuite de la DGSN, n’a pas consisté seulement en un repositionnement factuel, matériel, logistique et humain, comme aussi en des renforcements constants des infrastructures, des équipements technologiques et des moyens dignes d’une police moderne et à pied d’oeuvre ; mais en un changement fondamental des esprits. Abdellatif Hammouchi a réconcilié les citoyens avec leur police, pour ne pas dire celle-ci avec elle-même, lui rappelant que sa mission est d’abord la protection des citoyens et le respect du service public dont elle est investie. On s’étonne qu’il ne soit pas loquace, mais le voudrait-il que son tempérament le lui interdirait. On attend ses déclarations, un geste ou un regard qui nous éclairerait le chemin ou nous aiderait à percer les mystères de ce monde complexe devenu le maquis dangereux et incontrôlable. Car lui, Abdellatif Hammouchi, dans nos consciences et dans nos coeurs, incarne le vigilant gardien du Temple.
Beaucoup d’Etats, de gouvernements ou autres, souhaiteraient avoir leur Hammouchi. Le visage fermé, fait de marbre et sculpté de traits réguliers, il est l’antinomie du personnage agité ou nerveux, et constitue pour nous, cette force tranquille au milieu de ce mouvement brownien qu’est devenue notre société. Un bébé à peine né est-il kidnappé dans un hôpital, mettant les populations en émoi et plaçant la police devant un cruel dilemme, le voilà qui prend personnellement en main l’enquête, la diligente méthodiquement sans tapage et, à notre grand soulagement, en annonce lui-même l’heureux aboutissement à la famille.
La pertinence dans l’analyse et le jugement, et l’efficacité de sa réactivité lui valent une reconnaissance internationale unanime; L’Espagne – ci-haut – et la France l’ont décoré pour le soutien précieux apporté par la DGST qui leur a épargné bien des attaques.
Il n’a pas encore fini de rassurer les uns et les autres que, dans l’interstice, une autre affaire l’appelle, inscrite dans le registre de ce qui est devenu son pain quotidien, la lutte contre le terrorisme dont certains disent qu’il en est devenu « l’homme clé » sur lequel repose de plus en plus l’espoir du gouvernement, du peuple marocain et – tout à son honneur – des Etats amis, en Europe, en Afrique, en Russie et aux Etats-Unis même. Il n’est pas un homme d’Etat ou de chef de gouvernement dans le monde qui n’ait, à un moment ou à un autre, saisi l’opportunité pour rendre hommage au modèle marocain de lutte antiterroriste et donc à Abdellatif Hammouchi, son parangon de vertu. En créant, en 2015, le BCIJ ( Bureau Central d’investigation judiciaire) avec entre autres missions, mettre en oeuvre une stratégie proactive, il s’agissait, autant que faire se peut, de prévenir et d’étouffer dans l’oeuf les attentats ou les projets d’attaques criminelles des jihadistes.
Les fruits du combat antiterroriste
Autant dire que les résultats de cette initiative de haute vision sont porteurs et significatifs. La lutte aura été menée quasiment ad-hominem. Au total, et sous la supervision directe de Si Hammouchi, près de 200 cellules terroristes ont été démantelées et près de 400 projets criminels déjoués, visant notamment des vies humaines, des bâtiments publics et privés, des personnalités nationales et étrangères. On se rappellera, non sans effroi, le cas de ce tchadien – Ahmat Moussa Nour – arrivé à Tanger en mai 2016, qui s’apprêtait à faire un carnage, neutralisé en possession d’un arsenal dangereux et qui avait été missionné par Daech via Boko Haram pour recruter et former des jeunes terroristes marocains. La vision préventive mise en place par le «patron» de la DGSN/DGST a apporté ses fruits.
A l’aune d’une décennie marquée par la restructuration juridique de l’arsenal antiterroriste menée en parallèle avec un renforcement technologique constant, le Maroc peut, à coup sûr, se prévaloir d’un modèle sécuritaire efficient, capable même d’être exporté. Le 24 avril dernier, Sa Majesté le Roi a rendu visite au siège de la DGST de Temara et inauguré le nouvel Institut de formation spécialisée. Après avoir visité ses différentes composantes et s’être enquis de la finalité de sa mission, nationale et internationale, Sa Majesté le Roi a félicité le Directeur général et a honoré ainsi la famille sécuritaire en soulignant son intérêt et sa sollicitude pour elle. C’est peu dire que dans l’histoire récente du Maroc, nous avons assisté, de ce fait, à la première visite directe du Centre qui coiffe les opérations de haute sécurité.
La sollicitude royale
La fierté de Abdellatif Hammouchi est d’autant plus justifiée que le Roi lui témoigne une grande sollicitude et, à coup sûr, une manière d’affection due au dignitaire, au fidèle serviteur de la Monarchie, au grand commis de l’Etat. Si Sa Majesté le Roi reste l’artisan de la politique, notamment sécuritaire, Abdellatif Hamouchi en est l’exécuteur fidèle, et , dira-t-on, rien ne les sépare, pas même un « papier à cigarette », dans la conviction irascible qu’à l’impératif suprême de l’ordre correspond l’exigence du dialogue avec le peuple.
Pendant les six longs mois de confrontation avec les partisans et les militants du Hirak, compassés, chaque soir, pendant le mois du Ramadan 2017, impénitents provocateurs, cagoulés et autres, la police a gardé son sang froid avec une remarquable retenue exemplaire. Là où elle aurait été tentée d’intervenir, le baston à la main, elle s’est bien au contraire cantonnée dans l’exercice difficile de tempérer les ardeurs des uns et des autres, au milieu d’une foule hostile. Cette maîtrise des contextes violents, des vociférations des hirakistes chauffés à blanc, cette consigne livrée au troupes de réel respect des droits de l’Homme, on les doit manifestement à la culture insufflée par Abdellatif Hammouchi.
La mission de M. Hammouchi est, entre autres aussi, de «conseiller» États et gouvernements et d’exposer l’expérience marocaine, comme, ici avec le Président de Tchétchénie. En bas, avec le Souverain lors de sa visite de travail au siège de la DGST en avril dernier.
Le «Chevalier blanc», l’homme de la mesure et aussi des mesures, expéditives si nécessaire, l’empathique discrétion affichée comme un colifichet, sa réputation d’intègre, bien sûr de pieux extrêmement attaché aux principes éthiques, de patriote et missi dominici pour de grandes missions, Abdellatif Hammouchi est tout simplement le loyal et le fidèle des fidèles. Personne ne se prévaudra de le connaître en dehors des paramètres professionnels, familiaux ou amicaux. Il est le tout premier, dans le sillage royal, à penser améliorer les conditions économiques et sociales des hommes et des femmes de la police, le premier à avoir brisé la glace et ouvert au grand public cette dernière et la transformer en une maison de verre, transparente et citoyenne. Le 14 septembre 2017, la DGSN a organisé à Casablanca la première opération « Portes ouvertes » qui a permis au peuple marocain de se familiariser avec sa police, de l’approcher différemment aussi. Initiative de proximité louée et prisée. Du haut des ses 52 ans, dont plus de la moitié passée à l’Administration, Si Abdellatif Hammouchi reste aussi l’humaniste méthodique qui trempe sa réflexion dans les textes de l’exégèse de l’Islam malékite, dans les lectures comparatives d’autres civilisations et, quand le temps arraché au temps le lui permet, de tout ce qui paraît sur les nouvelles technologies, l’histoire de son pays. Homme d’action, partisan également du soft-power, il est aussi le témoin du recul, le sage vrillé par le doute philosophique que l’on imagine, la tête penchée à l’image d’un Rodin, s’interrogeant sur le comment tenir la Maison Maroc…