Allocution de Bourita au 3ème Forum Régional de l’Union pour la Méditerranée à Barcelone

Allocution intégrale de Nasser Bourita, ministre des affaires étrangeres et de la cooperation internationale du Royaume du Maroc à l’occasion du 3ème Forum Régional de l’Union pour la Méditerranée à Barcelone le 8 octobre 2018.

« Monsieur le Ministre des Affaires Etrangères du Royaume d’Espagne,

Madame la Haute Représentante de l’Union Européenne,

Monsieur le Ministre des Affaires étrangères du Royaume Hachémite de Jordanie,

Monsieur le Secrétaire général de l’Union pour la Méditerranée,

Mesdames et Messieurs les Ministres,

Excellences, Mesdames et Messieurs,

Je remercie, en premier, notre hôte – mon ami Joseph BORREL, pour l’hospitalité et l’organisation réussie de notre réunion.

Mes remerciements vont aussi à nos co-présidents, ainsi qu’au Secrétaire Général, M. Nasser KAMEL, à qui je renouvelle mes félicitations et mes vœux de succès.

C’est, pour moi, un réel plaisir d’être parmi vous aujourd’hui, à l’occasion du 3ème Forum Régional de l’UpM ; une occasion pour faire son bilan et pour lui insuffler une dynamique nouvelle, aujourd’hui nécessaire.

Quel Bilan ?

Chers collègues,
Mesdames et Messieurs,

Nul besoin de rappeler que l’UPM – née il y a 10 ans, presque jour pour jour – est une continuation. Elle insufflé une dynamique nouvelle au Processus de Barcelone, auquel elle a apporté :

– Une identité institutionnelle : de Processus, l’Euromed est devenu Organisation, avec ses structures, expertise, ressources et outils.

– Elle a apporté une approche et une philosophie : du Projet de la Méditerranée, nous sommes passés à la Méditerranée des projets.

– Elle a consolidé, aussi, un forum unique pour dialoguer sur les défis de notre région, qui sont aussi réels que spécifiques : la Méditerranée en 2018, c’est 1/3 du trafic maritime mondial ; c’est 1.800 candidats à l’immigration morts en mer (soit 62% du total des décès similaires dans le monde) ; c’est 27.000 arrivées de migrants en Espagne, 26.000 en Grèce, 19.000 en Italie …

Ne serait-ce que pour cela, l’UpM est pertinente aujourd’hui. Elle restera pertinente, mais à condition qu’elle puisse se renouveler ; se réinventer.

Je ne veux pas trop m’arrêter sur le bilan opérationnel de l’UpM. Je crois qu’il tient en 3 mots : « Peut mieux faire ». Certes, il faut valoriser les acquis. Mais, il faut surtout rester lucide et prendre de la hauteur, sans complaisance.

Là, c’est le bilan politique qui m’interpelle : la construction de l’espace de stabilité et de prospérité partagée tant souhaité par les deux rives, ne s’est pas réalisée. Sans doute, l’UpM a-t-elle été prise de vitesse par l’histoire, qui s’est accélérée ces 10 dernières années. Sans doute, aussi, doit-elle, désormais, moins subir les évènements, et davantage les anticiper.

C’est en ce sens que j’entends le « peut mieux faire ». Ce n’est pas une sentence. C’est une ambition et un défi ! Car, anticiper, c’est avoir des idées aujourd’hui et maintenant. C’est être capable de proposer une vision de notre forum, dans 10 ans … c’est-à-dire demain !

Quel diagnostic ?

Chers collègues,
Mesdames et Messieurs,

Collectivement, mais aussi individuellement, nous assumons le bilan de l’UpM. Tous autant que les autres, dans son bon et son moins bien. Je n’irai pas jusqu’à dire que la volonté politique n’y est plus, mais avouons qu’elle a tiédi :

– Le projet méditerranéen nous est devenu si commun, qu’il en est transparent. Plaider pour la Méditerranée est tellement consensuel, qu’il en est inaudible. Tout le monde se félicite de l’UpM, mais on y croise moins de Ministres.

– Au Nord, les priorités de l’Europe glissent vers l’Est. La Méditerranée, elle, est moins vue comme une aire de brassage et d’opportunités, et davantage comme un espace clivages et de tensions.

– Au Sud, les pays ne sont pas tous parvenus à poursuivre – parfois même pas à enclencher – les réformes internes, nécessaires pour libérer le potentiel socio-économique et assoir un modèle politique stable. Le Maroc à cette chance d’avoir un Roi doté d’une Vision claire, qui a su anticiper les transformations dans la région, préserver la stabilité du Royaume, sa cohésion et renforcer son développement à tous les niveaux.

– L’UpM elle-même s’est technicisée : moins d’intergouvernementalité ; plus de technostructures. 54 projets labélisés UpM, mais combien ont vu le jour ? 9% seulement des échanges se font entre pays européens pays du sud-méditerranéens. 90% des échanges sont concentrés entre pays de l’UE, et 1% entre les pays du sud – le Maghreb ayant la Palme de la désintégration !

– L’idée de la « Méditerranée des projets » perd du terrain, face à des enjeux paradigmatiques qui se posent aux deux rives, avec une acuité inédite : question migratoire, crise des réfugiés, terrorisme en mutation …

Fatalement, l’engagement politique des Etats s’investit ailleurs ; l’engagement financier aussi ; l’engagement tout court !

En somme, le fait est que la collectivité euro-méditerranéenne – à un moment ou un autre, et pour diverses raisons – a cessé de croire en un « projet politique commun ». On peut le regretter, mais l’on doit le voir en face.

Quels ajustements ?

Chers collègues,
Mesdames et Messieurs,

Le crédo de l’Union pour la Méditerranée, c’est : Unir ! Elle doit l’incarner dans ses dimensions politique, économique, culturelle, sociale et humaine ; dans chacune de ces dimensions, et toutes à la fois.

Son paradigme doit évoluer en conséquence. Le processus euro-méditerranéen n’a pas à être soit politique soit technique. Il doit être à la fois l’un et l’autre, pourvu que l’objectif soit un partenariat Nord-Sud approfondi et opérationnel, capable de favoriser une sortie de crise de cet espace.

L’UpM doit, ainsi, être réhabilitée comme cadre de dialogue politique et de conciliation. Son mandat « technique » n’est plus à son avantage. S’il a été conçu pour la mettre à l’abri des contingences politiques, il a fini par en faire – 10 ans après – une organisation qui évolue à la marge des priorités de ses membres.

L’UpM doit rompre avec le « daltonisme thématique ». Elle ne peut rester aveugle – mais aussi sourde et muette – devant les questions de l’heure :

– La question sécuritaire : avec des défis sans précédent, fragilisant la stabilité et la sécurité collective.

– La question migratoire : que la Méditerranée ne soit plus une route meurtrière, cerclée de frontières discriminantes – ouvertes à l’Est, fermées au Sud.

– La question du co-développement : puisque même si elle est consubstantielle au projet Méditerranéen, elle en reste le parent pauvre. C’est à croire que l’on cherche à combler l’écart, en creusant le fossé entre les deux rives.

La solidarité doit reprendre sa place : c’est-à-dire au coeur du projet euro-méditerranéen. La solidarité n’est pas l’assistanat. C’est, à la fois, l’approche, la vision et la méthode pour construire et maintenir un espace uni et cohérent, à même mutualiser moyens et contraintes pour relever les défis communs.

Enfin, le Secrétariat de l’UpM doit être ajusté à la lumière de tout cela, pour être proportionnel à l’envergure du projet méditerranéen que nous voulons. Il doit incarner la co-responsabilité, accueillir la co-décision, générer la co-appropriation et, surtout, mobiliser les fonds nécessaires, en partenariat avec la Commission européenne, la Banque européenne d’investissements ou d’autres institutions bilatérales et internationales de financement.

Quelle vision ?

Chère collègues,
Mesdames et Messieurs,

Je crois en la Méditerranée comme espace de rassemblement : le processus méditerranéen ne doit pas être nationalisé ; il doit être mutualisé. La coopération entre les des deux rives, ne peut plus être qu’institutionnelle. Elle doit être innovante, transversale et à géométrie variable.

Je crois en un nouveau momentum pour la Méditerranée, si nous nous y engageons, tous. L’engagement pour la Méditerranée doit être national, mais ne pas subir les politiques nationales – il doit les inspirer. Il ne doit surtout pas fléchir sous le poids des agendas électoralistes. Voter l’ostracisme, ne suffit ni à se désincarner de son identité, ni à se téléporter loin de sa Méditerranée.

Je crois en la Méditerranée comme un espace de sécurité et de stabilité commune. Les défis transcendent les frontières et nécessitent une approche inter-régionale élargie. L’UpM peut non seulement cultiver des synergies avec les instruments de l’UE, mais aussi développer des réponses qui sont du Nord et du Sud à la fois, sur la base de termes d’engagement objectifs et démystifiés.

Je crois en la Méditerranée comme espace économique et de développement commun. L’UpM devrait porter le crédo d’une « Politique méditerranéenne de cohésion », dédiée à faire converger des niveaux de développement disparates, via des politiques co-responsable et adaptée à chaque pays, et permettant de donner un sens concret à l’action de l’UpM. La politique de cohésion au sein de l’espace économique européen, est un exemple à cet égard.

Je crois en une UpM comme espace de connaissances partagées : Il ne s’agit de rien de moins que de construire un avenir commun. L’éducation et l’enseignement en sont une composante essentielle. L’UpM est un cadre inouï pour cultiver des brassages culturels et des synergies dans la recherche et l’innovation. L’Université Euro-Méditerranéenne de Fès est une illustration.

Je crois, enfin, en une Méditerranée comme espace de valeurs communes. Elle n’est pas un agrégat de frontières, mais un espace naturellement ouvert, propice à cultiver des valeurs partagées : des valeurs de paix, de tolérance, de respect de l’altérité. C’est en cela que certaines « bonnes mauvaises idées » sont dangereuses : je pense aux « centres de débarquement de migrants » qui, au-delà de leur incapacité à répondre au symptôme, infectent le socle des valeurs qui sous-tendent l’existence même de notre espace euro-méditerranéen.

Conclusion

Chers collègues,
Mesdames et Messieurs,

Aujourd’hui encore, le processus euro-méditerranéen – ou l’UpM si vous préférez – est le seul modèle offrant à l’ensemble des pays de notre région de véritables perspectives sur le long terme : une profondeur stratégique, pour le Nord comme pour le Sud ; l’oxygène nécessaire au développement et à l’expansion, du Nord et du Sud ; et un intérêt indiscutablement commun à construire un espace intégré de paix et de prospérité partagé.

Mais, si elle est à notre portée, cette perspective n’en demande pas moins une nouvelle ingénierie du processus euro-méditerranéen, de nouvelles réponses à nos défis, et de nouvelles initiatives pour les relever, collectivement.

Je profite de notre rassemblement ici aujourd’hui, pour lancer un appel pour l’Union pour une « autre » Méditerranée. Barcelone (1995) a ouvert la voie, Paris (2008) l’a prolongé. Le temps est venu pour une refondation du projet euro-méditerranéen.

Cela nécessite, naturellement, de réfléchir aux instruments et de mettre en place, ensemble, un vision ambitieuse, crédible, pragmatique et efficace.

Enfin, permettez-moi de terminer en citant cette phrase de Amine MAALOUF, méditerranéen dans l’âme et dans la plus : « Un bon capitaine transforme l’Atlantique en Méditerranée ; un mauvais capitaine transforme la Méditerranée en Atlantique ». Soyons-ce bon capitaine.

Je vous remercie de votre attention. »

→ Lire aussi : Bourita : L’UpM doit être réhabilitée comme cadre de dialogue politique et de conciliation

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