Le Maghreb entre la paix impossible et la guerre improbable
Par Hassan Alaoui
Tandis que la Résolution pertinente 2440, votée le 31 octobre dernier par les 15 membres du Conseil de sécurité sur le Sahara, est venue mettre les pendules à l’heure et souligner la responsabilité avérée de l’Algérie dans le conflit, la relation de celle-ci avec le Maroc demeure figée.
Rien ne filtre qui puisse susciter l’espoir d’une paix juste et durable. La crise du Sahara constitue le mauvais décor de toute hypothèse de dialogue un tant soit peu constructif, lui-même pouvant faciliter la construction d’un Maghreb que tous appellent de leurs vœux.
Au Maghreb, la situation reste marquée par une léthargie caractérisée, entre espoir fragile et déclarations tonitruantes. La réalisation du Grand Maghreb reste un mirage, nourri ici et là par des propos contradictoires, occulté également par la réalité du terrain. Et celle-ci tient à deux mots dialectiques : Paix impossible, guerre improbable ! Paradigme inventé il y a six décennies déjà par Raymond Aron.
Sinon comment caractériser de nos jours la situation dans cette région chaque jour meurtrie par les faits d’armes, les conflits et, ce qui n’est pas le moindre signe préoccupant, un inquiétant recul des engagements et des promesses. Il y a déjà de cela 8 ans, une étude réalisée par un organisme européen concluait à une perte constante de 2 à 3% du PIB des économies des 5 pays composant le Maghreb : le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, la Libye et la Mauritanie. Pourtant, ils avaient solennellement signé le 17 février 1989 à Marrakech le Traité instituant l’Union du Maghreb Arabe ( UMA), regroupement régional ambitieux aux objectifs louables : renforcer les liens de fraternité qui unissent les Etats membres et leurs peuples ; réaliser le progrès et la prospérité des sociétés qui les composent et la défense de leurs droits ; contribuer à la préservation de la paix fondée sur la justice et l’équité ; poursuivre une politique commune dans différents domaines ; enfin oeuvrer progressivement à réaliser la libre circulation des personnes, des services, des marchandises et des capitaux.
Un paradigme complet, à vrai dire ambitieux, d’autant plus qu’il était – en tout cas sur le papier – l’œuvre de 5 chefs d’Etat et non des moindres qui portaient un projet inédit, jamais conçu dans l’histoire des relations intermaghrébines. Un simple examen de l’évolution qui a suivi cet acte de foi, depuis trente ans maintenant, incite à une prudence nécessaire. L’optimisme a vite fait de céder le pas au désenchantement et au scepticisme le plus aigu. Le Maghreb est devenu un mythe, une coquille vide d’autant plus insaisissable que la crise qui caractérise les relations entre le Maroc et l’Algérie, principaux protagonistes, ne s’atténue pas, bien au contraire ! Les beaux principes ont volé en éclats, la rivalité entre les deux pays, sur fond d’une méprise persistante à propos du Sahara marocain, continue de peser sur tout projet éventuel, le paralysant même. Pis encore : la rivalité pousse les deux pays à renforcer leur arsenal militaire qui grève obligatoirement leurs budgets respectifs. L’Institut de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI) a publié son dernier rapport dans lequel il est précisé que l’Algérie est désormais le 10ème importateur d’armes dans le monde, avec une hausse de près de 40% et qu’elle fait partie du Top 20 des Etats les plus dépensiers en armements. La Russie à elle seule lui fournit pas moins de 91% de ses besoins, suivie par la France, les Etats-Unis et l’Allemagne.
L’infernal surarment algérien
Le Maroc a connu une hausse à ce niveau de 22% en dix ans, soit 12 points d’écart avec sa voisine qui consacre la bagatelle astronomique de près de 9 milliards d’Euros à son réarmement. L’Allemagne lui a fourni en 2016 deux frégates de type MekoA200 d’un montant de 2,2 milliards d’euros, parce que les dirigeants algériens ne se font absolument pas à l’idée d’être « dépassés» par le Maroc et que, convaincus que leur force de frappe militaire devrait être plus puissante , ne lésinent pas en conséquence sur les moyens, quitte à pénaliser d’autres secteurs de développement du pays, comme l’agriculture, l’industrie et les biens de consommation . Au total les achats d’armements par l’Algérie constituent le colossal chiffre 4% des exportations mondiales et pas moins de 52% de tous les 54 Etats d’Afrique réunis.
Pour contrebalancer son déficit en armes modernes, l’Algérie – les pétrodollars aidant – avait passé commande d’un arsenal impressionnant avec l’achat supplémentaire de 3 corvettes toujours à la Chine, les célèbres C28A, un navire de guerre à l’Italie pour le transport de troupes, des blindés et des hélicoptères. Un tel effort ne consiste pas seulement, comme il a été dit et répété, à compenser le retard de l’Algérie ou à remplacer un «matériel vieilli» par un nouveau, plus sophistiqué. Il a pour objectif, entre autres, d’imposer aux pays de la région l’image d’une Algérie puissante et surarmée, deux critères pour prétendre imposer un leadership régional.
Il convient de souligner que la conception du voisinage des responsables algériens obéit toujours au manichéisme de la guerre froide qui a dominé les relations internationales de 1945 à 1991, date de la chute de l’empire soviétique. Autrement dit, le fameux diptyque de «Ni paix, ni guerre», mais conditionné, néanmoins, par l’obsession politique de pérenniser un équilibre militaire qui favorise l’Algérie.
En 1969, déjà, le Roi Hassan II avait saisi le secrétaire général des Nations Unies de l’époque, le Birman U.Thant pour dénoncer une course aux armements effrénée de l’Algérie. Aujourd’hui, l’Algérie qui a choisi le surarmement contre le développement, l’option de la guerre contre celle de la paix, l’hostilité à la fraternité, continue de jouer sur le tableau de l’ambivalence. D’une main, elle joue les vertueux du pacifisme et de l’autre, elle s’acharne à la déstabilisation du Maroc par tous les moyens. L’épisode du trafic des stupéfiants en provenance du territoire, acheminés vers le Maroc n’aura finalement réussi à abuser personne, quand bien même une propagande insidieuse n’a pas arrêté de pointer le Maroc, comme pays producteur de cannabis et autres produits de ce genre !
Nous assistons en somme à un stupéfiant recul du projet de construction du Maghreb ! Ce qui aurait pu constituer un ensemble géoéconomique viable, fiable et riche, se réduit en définitive à une entreprise mort-née. Ce sont en réalité pas moins de 70 millions d’habitants qui sont pénalisés et privés d’avenir au nom d’une surenchère politique et d’un orgueil mal placé. Or, la récurrence du discours à deux visages, l’un défendant avec ferveur le projet d’un Maghreb des peuples, l’autre l’étouffant dans l’oeuf, semble porter le coup de dague décisif à nos rêves brisés sur l’autel des égoïsmes nationaux. Des milliards de dollars consacrés au surarmement, le «no futur» qui constitue le seul et implacable horizon, l’absence de modèle et de projet pour les jeunesses respectives, tentées par les salafismes et les jihadismes de tous genres, la déliquescence progressive des systèmes de valeurs…Voilà la menace tangible et réelle.
Dans cette analyse, le think tank bruxellois relève que les importations algériennes d’équipements militaires ont constitué 3,7 % des exportations au niveau mondial et 52 % au niveau du continent africain. L’Algérie, précise la même source, a consacré en 2017 5,7 % de son PIB à ses dépenses militaires, notant que la priorité accordée au secteur de la défense dans le budget s’explique par «l’influence de l’armée algérienne dans la politique du pays». Aujourd’hui, avec un budget de défense de 8,6 milliards d’euros en 2017, «l’Algérie est le pays qui consacre le plus de ressources nancières à ce secteur sur le continent africain », précise le GRIP.