Syrie : Après la guerre, vient la normalisation
Par Saad Bouzrou
Près de huit ans après les premiers soulèvements qui ont mené à une guerre asymétrique, l’année 2019, serait en Syrie, celle de la victoire pour Bachar el-Assad, qui doit sa réhabilitation aux Russes et aux iraniens. Un succès qui se traduit également par la normalisation des liens diplomatiques avec plusieurs pays arabes, autrefois hostiles au régime sanguinaire de Damas.
Après avoir contrôlé la majorité des territoires, ainsi que les plus grandes villes syriennes, jadis perdus dans une guerre qui a duré plus que la première et la seconde guerres mondiales (presque huit ans), Bachar el-Assad ne veut pas seulement finir avec le conflit militaire, mais aussi avec son isolement diplomatique, qui, semble-t-il, en train de s’effriter.
Le retrait des américains de la Syrie était une aubaine pour Bachar el-Assad qui voulait que le drapeau syrien flotte également dans le nord du pays, et notamment à Idlib, qui a connu l’une des pires mascarades depuis le début du conflit. Mais, faut-il rappeler que le régime syrien n’aurait jamais pu gagner cette guerre sans l’appui inconditionnel de la Russie et de l’Iran, qui ont réussi à combattre les terroristes de Daech et les autres groupuscules jihadistes, sans pour autant épargner les civils et les forces de l’opposition modérée, qui ont subi le bilan tragique de plus d’un demi-million de morts et de près de six millions de déplacés.
Cloué au pilori par toute la planète, il est resté, bon gré mal gré, le président d’une grande nation, qui aurait pu se disloquer encore davantage à cause d’une kyrielle de facteurs, que les dérives belligènes d’une souveraineté despotique ont considérablement nourri.
Les pays du Golfe veulent normaliser avec Damas !
La représentation diplomatique émiratie a rouvert ses portes, jeudi 27 décembre à Damas, après des années de rupture, pendant lesquelles la Syrie avait été expulsée de la Ligue arabe.
En effet, en février 2012, le Conseil de coopération du Golfe (CCG) avait annoncé la fermeture des représentations diplomatiques de ses pays membres, qui dénonçaient d’une seule voix le « massacre collectif » commis par le régime après les premières manifestations. Sept ans après, les cartes ont tourné. Le départ de Bachar al-Assad n’est plus à l’ordre du jour. Et la décision d’Abou Dabi ne serait qu’un premier pas, sans doute emboité dans l’avenir proche par les autres pays de la région, qui y voient aujourd’hui leurs intérêts politiques fleurir.
Ainsi, quelques heures après Abou Dhabi, le Bahreïn a réitéré la « poursuite des travaux » de son ambassade en Syrie, fermée depuis 2012. Pour ce qui est de l’Arabie saoudite, qui à ce stade n’a pas d’ambassade à Damas, Donald Trump a annoncé le 24 décembre sur Twitter que « Riyad a désormais accepté de dépenser l’argent nécessaire pour la reconstruction de la Syrie à la place des États-Unis ».
Cette normalisation bénéficierait certainement à la Syrie qui veut à tout prix renouer avec ses voisins, malgré les vicissitudes du passé. En octobre dernier, la réouverture du poste-frontière de Nassib indique un rapprochement entre la Syrie et la Jordanie. Une délégation de députés jordaniens était reçue en grande pompe à Damas seulement un mois plus tard. « La réouverture de cette route est un pas en avant vers la réintégration économique de l’environnement syrien et la reconquête du rôle traditionnel du pays en tant que vecteur du commerce régional », déclarait Sam Heller de l’International Crisis Group à l’AFP.
Côté égyptien, le chef des services de sécurité syrien Ali Mamlouk, qui s’était déjà rendu dans le pays en octobre 2016, s’est entretenu avec des hauts responsables égyptiens lors d’une visite au Caire le 22 décembre 2019. Selon l’agence de presse officielle syrienne Sana, la visite a eu lieu « à l’invitation du chef des services de renseignements égyptiens » pour discuter de « questions politiques, de sécurité et de lutte contre le terrorisme ». L’Egypte voudrait elle aussi donc, revenir dans l’échiquier régional et utiliser la crise syrienne pour se présenter comme un soutien à la normalisation et un médiateur.
Qu’en gagne la Russie ?
Il serait un secret de polichinelle de dire que Bachar el-Assad doit sa survie à Poutine. En effet, l’implication russe dans le conflit a amplement permis au régime syrien de reprendre le contrôle des terres arrachées par les terroristes, tous azimuts. Mais ce soutien n’est pas exempt de plusieurs enjeux que la Russie n’a pas pu abandonner, et qu’elle entend exploiter pour mieux redorer son blason sur la scène internationale.
Partant, les forces armées russes ont pu tester leur armement et acquérir une grande expérience, qui sera très utile pour leur armée dans l’avenir. Elles ont aussi pu faire le bilan des limites et des difficultés qu’elles ont rencontré pour mieux les maitriser. La base navale de Tartous appartient désormais à leurs soldats, permettant à la Russie d’être présente en Méditerranée de manière plus solide. La base aérienne de Hmeimim va leur permettre d’être une puissance influenceuse et non-négligeable au Moyen-Orient.
Le régime syrien doit aujourd’hui plus que jamais sa survie à la volonté de Moscou, qui peut à n’importe quel moment l’exploiter comme allié sûr pour sa propre stratégie proche-orientale, bien qu’elle soit obligée de partager ce luxe avec les Iraniens.
La normalisation « en cours » des pays arabes avec la Syrie, permettrait donc à Moscou de se réjouir d’une victoire militaire et diplomatique, qui pourrait donner plus de poids à la Russie sur l’échiquier mondial.