Sérotonine : un roman peu flatteur de notre époque
Par Saad Bouzrou
Michel Houellebecq a la prétention d’être le romancier le plus intéressant de notre époque. Sérotonine, son septième roman, a été publié en France vendredi 4 janvier 2019, à 320 000 exemplaires. Il paraît cette semaine en allemand, en italien et en espagnol. Pourtant, la traduction anglaise ne sera publiée qu’en septembre.
La France a un nouveau prédicateur
Houellebecq a souvent fait preuve d’une prescience alarmante dans sa fiction. « Soumission », prévoyant que la France se soumettrait à l’islam en 2022, a été publié le jour même des attentats de Charlie Hebdo en janvier 2015.
Depuis lors, il a abandonné les interviews, la radio et les plateaux télés, bien qu’il ait récemment publié dans le magazine Harper’s – un magazine à contre-courant qualifiant Trump de l’un des meilleurs présidents américains, l’Europe d’une idée idiote qui a tourné à un mauvais rêve et à un courageux Brexit-. À l’automne, Houellebecq a déclaré lors d’un prix célébrant Oswald Spengler, l’auteur pessimiste de «Le déclin de l’Ouest», que la France ne se suicidait pas autant qu’elle était assassinée par l’UE.
« Sérotonine » est considéré comme un roman dédié aux «gilets jaunes» avant l’événement. Dans l’une des scènes clefs, des agriculteurs désespérés, lourdement armés, bloquent une intersection de l’autoroute A13 entre Paris et incendiant des machines agricoles – et 11 personnes décèdent des suites d’un échange de coups de feu avec la police anti-émeute.
L’amour qui rate
Le roman brûle de colère sur la façon dont les agriculteurs français abandonnent de plus en plus leurs terres et sont conduits au suicide après avoir été forcés de respecter les normes européennes en matière d’agriculture industrielle et d’être exposés à un marché libre mondialisé. Pourtant, cette composante polémique n’est pas complètement intégrée à l’histoire habituelle de Houellebecq d’un homme blanc vieillissant pour qui rien ne compte plus que l’enlèvement érotique perdu.
Le narrateur, Florent-Claude Labrouste, est un autre alter ego de Houellebecq, le seul enfant de parents qui se sont suicidés, est à 46 ans, un homme à la dérive. Comme Houellebecq, il est diplômé en agriculture. Après avoir d’abord travaillé pour la société agrochimique et biotechnologique Monsanto, il a rejoint la direction régionale de l’agriculture en Normandie, où il s’est occupé de la promotion des fromages locaux français.
Profondément déprimé, Labrouste est en train de démanteler sa vie, estimant qu’il a fini sur presque tous les plans. Il rompt avec sa petite amie, une japonaise nommée Yuzu, de 20 ans sa cadette, à qui il a fini par penser qu’elle est une araignée empoisonnée, le suçant à vie. Il quitte son travail et abandonne son appartement parisien, dans un hôtel de chaîne qui a encore des fumoirs.
Sérotonine se lit parfois de façon dangereusement proche de l’auto-parodie, une autre portion du style désormais familier de Houellebecq, découpant entre noms de marques et généralisations, exaltant par son nihilisme, souvent très drôle et toujours aussi agréable mais maintenant parfaitement stylisé. Pourtant, la colère qu’il exprime dans son roman à propos de la destruction de la France profonde qu’il aime ne pourrait pas être plus précise, reflétant un profond désespoir face à ce qui se passe maintenant.
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