A la Réunion du « 5+5 » d’Alger, Nasser Bourita décline la vision du Maroc en quatre axes
Le ministre des Affaires étrangères et de la coopération internationale, Nasser Bourita qui a participé à la réunion du groupe 5+5 tenue ce dimanche à Alger, a prononcé un discours de grande portée politique, économique et sociale. Il a décliné la vision du Maroc sur le partenariat que les États de la région sont appelés à mettre en œuvre.
Voici le texte intégral du discours de Nasser Bourita :
Messieurs les Coprésidents,
Messieurs les Ministres et Chefs de délégations,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs,
Permettez-moi, avant tout, de remercier la co-présidence, pour la tenue de cette 14ème Réunion ministérielle du 5+5, dans de bonnes conditions d’organisation.
Comme plusieurs d’entre vous, je prends part, pour la première fois, à ces réunions, en tant que Ministre des Affaires étrangères.
C’est l’occasion pour confirmer l’attachement du Royaume du Maroc, à un dialogue 5+5 ouvert, franc, inclusif et opérationnel.
Le Dialogue « 5+5 » présente de nombreux atouts :
- Il représente le dimensionnement idéal (pas trop large pas trop petit) pour garantir un dialogue serein et une coopération fructueuse
- Il reflète une diversité utile, qui permet d’aborder des thématiques importantes et des défis globaux
- Il constitue un cadre flexible qui le prédispose à jouer le rôle de boîte ç idée pour le partenariat euro-méditerranéen et au-delà.
Un dialogue qui – au-delà des vertus de l’échange – se destine à générer une volonté politique commune, loyale et agissante, à même detraiter conjointement les défis, et disposée à mutualiser la réalisation des objectifs identifiés en commun. Ses déclinaisons sectorielles ont permis des résultats encourageants.
Notre région – la Méditerranée occidentale – est, comme elle l’a rarement par le passé, confrontée aux défis les plus saillants de notre temps : sécuritaire, environnemental, socio-économique, culturel et identitaire.
C’est face aux défis, que le forum 5+5 est appelé à démontrer sa pertinence. Il la gardera tant qu’il offrira le cadre idoine pour un dialogue lucide, un engagement sincère et une action concertée.
Messieurs les Coprésidents,
Messieurs les Ministres et Chefs de délégations,
L’ordre du jour de notre réunion couvre des thématiques fondamentales pour la Méditerranée occidentale, et constitue le point d’entrée sur plusieurs questions et défis contemporains ; que ce soit les crises politiquesgraves dans certains pays, les transitions difficiles dans d’autres, ou des thématiques chroniques dans notre région – sécuritaire, environnemental, socio-économique, culturel et identitaire – mais qui prennent aujourd’hui, une plus grande acuité.
Permettez-moi d’aborder, brièvement, quelques-unes de ces thématiques.
La Jeunesse et l’emploi
Nous parlons là de plus de la moitié de la population de notre région. La jeunesse est aujourd’hui prise en tenaille entre un marché de l’emploi au Sud – qui ne répond pas toujours à ses aspirations légitimes, et une rive Nord qui – perçoit encore trop souvent les jeunes comme un défi, pour ne pas dire « une menace ».
Comme l’a souligné Sa Majesté le Roi, Mohammed VI, Que Dieu L’assiste, dans son Message Royal au 29ème Sommet de l’UA, en Juillet 2017, « La réponse [au chomage qui frappe la jeunesse] réside dans un traitement volontariste du triptyque « éducation, enseignement supérieur et formation professionnelle » avec une exigence élevée de qualité ».
C’est tout le débat entre fardeau démographique et dividende démographique.
Au Maghreb, plus de 50% des jeunes de 20 à 25 ans sont sans revenu, 70% sans qualifications professionnelles, 48% avec un niveau scolaire très bas, sans parler des 15% de garçons et 45% de filles qui sont illettrés.
Triste constat, en effet. Mais il ne s’agit d’être abattu ; il s’agit d’être lucide : Il ne faut pas moins de 11 millions d’emplois par an, créés au Sud, pour absorber ce déficit, ce qui nécessite une croissance annuelle moyenne de 8 à 9%, au moment où on ne dépasse pas 3%.
Ma conviction est que la Méditerranée occidentale peut être le catalyseur d’une croissance partagée, et le réceptacle d’une gestion intégrée de la question de la Jeunesse, dans ses dimensions économique et social, certes, mais aussi culturelle et humaine.
C’est la raison pour laquelle le Maroc propose, officiellement, une Ministérielle 5+5 dédiée à la jeunesse en 2018, et offre de l’accueillir. Elle serait destinée à s’entendre sur un « Agenda régional pour la jeunesse ». Un Agenda qui soit inscrit dans la durée (court, moyen et long termes) ; articulé par projets concrets et novateurs (mobilité, employabilité, lutte contre la radicalisation), déployé de manière inclusive (Gouvernement, réseaux de jeunes et société civile) et mis en œuvre de manière flexible (à vitesses et à géométrie variable).
Dans cet esprit, la jeunesse dans la diaspora maghrébine est un atout fondamental pour le 5+5. Si elle est souvent considérée, à juste titre, comme un pont entre le nord est le sud et un vecteur de développement important, elle devrait aussi, de plus en plus, être reconnue dans sa dimension de lien entre les pays du Sud eux-mêmes.
Le Développement économique et social inclusif et partagé
Là, je ne peux que souligner le contraste invraisemblable entre l’intégration économique, au Nord et au Sud de la Méditerranée occidentale. Les partenaires du Nord – qui comptent (je ne vous apprends rien) 185 millions d’habitants – se caractérisent par une forte intégration économique (plus de 70%), qui est le fruit de longues années de construction de l’UE. Au Sud, en revanche, nous autres pays du Maghreb – avec nos 100 millions d’habitants – formons l’une des régions les moins intégrées du monde (moins de 5%).
Tandis que 90% des échanges commerciaux en Méditerranée occidentale se réalisent entre les pays européens, seulement 9 % sont effectués entre les pays du nord et les pays du sud. Pis encore : les échanges intra-maghrébins ne représentent qu’une infime partie du total : soit 1 %.L’écart entre les deux rives est, donc, réel. Mais, le gap au sein même de la rive sud est désolant. C’est une situation assez unique à l’échelle mondiale, pour être relevée ici, non sans dépit !
Elle impacte en premier lieu nos populations respectives. Elle nous appelle à un engagement plus fort, pour une approche novatrice, inclusive et durable en matière de développement des échanges, d’investissement et d’emploi, pour rentabiliser le dividende démographique, et lever les obstacles liés à l’inadéquation de la formation aux besoins du marché du travail.
La question de l’intégration économique au Sud est d’autant plus problématique, en raison de la fermeture des frontières qui bloque structurellement l’essor de la région.Ceci interpelle nos modèles économiques. Souvent la croissance ne se traduit pas en emploi et en employabilité. Le Maroc a, sous la conduite de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, a posé ce problème à l’échelle nationale. Le Maroc est engagé dans une dynamique d’optimisation de son modèle de développement. Car, la conviction du Royaume est que ce n’est pas par le statu quo ou par le protectionnismeque l’on pourra faire atteindre le développement économique.
Sachant que les PME sont les plus grands pourvoyeurs d’emploi, il y a lieu de souligner que 80% des PME n’ont pas accès au financement en Afrique du Nord ; un manque estimé par la Banque Mondiale entre 210 et 240 millions de dollars.Enfin, l’économie informelle représente un manque à gagner important pour les économies nationales au Sud, puisqu’elle représente en moyenne 9,3% dans les pays développé et 65% dans les pays du Sud de la Méditerranée.
La Migration
La Méditerranée connaît le taux de décès le plus élevé au monde, avec plus de 60% de morts et disparus pendant les tentatives d’immigration. Selon l’OIM, plus de 15000 migrants sont morts dans cette région depuis de début de la crise migratoire en 2014. Selon une estimation de l’organisation, le nombre de migrants ayant péri dans le désert du Sahara serait en effet deux fois supérieur à celui des migrants morts en mer, il dépasserait les 30000 décès.
Les pays de la rive sud de la Méditerranée sont aussi des pays de destination, comme c’est le cas du Maroc. Et les pays européens n’attirent que la moitié des migrants de la rive sud de la Méditerranée.
La migration connaît une double dynamique, une première vertueuse, notamment à l’image de la coopération bilatérale entre le Maroc et des partenaires comme l’Espagne et la France : une coopération équilibrée et intégrée, qui permets une optimisation des moyens face à la question migratoire. Et une seconde négative, car jamais la migration n’a été un sujet polémique et un enjeu politique et électoral comme elle l’est aujourd’hui.
En effet, comment ne pas être surpris de l’exploitation politicienne de la migration pour attiser un nationalisme xénophobe dans certains pays du nord, si même au Sud migrants et passeurs sont encore mis dans un même sac ?
C’est dire que le chemin est encore long. Notamment en matière de communication et de relais dans les médias, la migration ne peut plus être perçue comme un mouvement de connotation négative, mais doit être valorisée comme un facteur de croissance, de développement et de rapprochement entre les deux rives.
Dans cette radioscopie bien sombre, les bonnes pratiques et la volonté existent.
Au niveau national, et en cohérence avec la politique d’ouverture, humaniste et solidaire voulu par Sa Majesté le Roi, Que Dieu L’assiste, le Maroc a mis en œuvre depuis 2013, 2 campagnes de régularisation de migrants, issus principalement de pays subsahariens. La 1ère phase a permis de régulariser près de près de 24.000 migrants et la 2ème phase vient d’être finalisée, il y a quelques jours.
Cette Stratégie Nationale est accompagnée d’importantes mesures, notamment sur les plans de l’éducations, de la santé et d’accès à l’emploi décent et au logement pour garantir une intégration socio-économique progressive et respectueuse des migrants, en particuliers des femmes et des enfants.
Au niveau Africain, le Maroc, à travers le mandat confié à Sa Majesté le Roi en tant que leader en matière de migration, par la Présidence de l’UA, compte présenter lors du prochain Sommet de l’UA, à la fin de ce mois, une Vision pour un Agenda africain pour la migration, fruit d’un large processus de consultation inter-africain mené par le Maroc au cours de ces derniers mois.
Sur le plan régional et en parallèle à sa coopération fructueuse avec plusieurs pays ici présents, notamment, l’Espagne et la France, le Maroc s’active dans plusieurs cadres et fora Méditerranéens et africains tels que le G4, le Plan d’action de La Valette, et le Processus de Rabat – qui fête sa 12ème année d’existence.
Enfin, et sur le plan international/multilatéral, le Maroc copréside le Forum Mondial pour la Migration et le Développement (GFMD), aux côté de l’Allemagne, est œuvre à centrer ses activités sur l’action. C’est dans le même esprit que le Royaume accueillera, en décembre 2018, la 1ère Conférence Internationale du Pacte mondial pour une migration sûre, ordonnée et régulière, qui consacrera pour la 1ère fois l’adoption d’un cadre commun devant réguler la migration internationale.
Le Terrorisme
Notre région du 5+5 ne peut pas matérialiser le déclin de monde et être perçu comme terreau et terrain propice du terrorisme. Nos jeunesses se radicalisent et aussi regrettable que cela puisse être, elles sont sensibles aux discours extrémistes de violences et de haine.
Révolutions, transformations et guerre sont autant de développements survenus en Méditerranée au cours de la dernière décennie, engendrant des mutations profondes et des répercussions directes sur la stabilité et la sécurité régionale. La montée du terrorisme et des manifestations violentes de l’extrémisme résultant de la radicalisation et du recrutement de nombreux citoyens du bassin de la Méditerranée par des groupes terroristes et leur départ vers les foyers de tension. Certaines estimations indiquent que durant le pic des départs vers les zones de conflits, on dénombrait 15000 combattants issus de pays du pourtour méditerranéen, dont le tiers serait originaire de la rive Nord de la région (11250 FTFs du sud et 4767 du nord (250 Algérie)).
A l’heure même où la tendance internationale indique une baisse des attentats terroristes à travers le monde, les pays méditerranéens demeurent parmi les plus ciblés par ces attaques meurtières. (251 en Afrique du nord avec 339 victimes civiles en 2016)
Cette situation est favorisée par plusieurs facteurs
- Le danger posé par le retour des combattants dans leurs pays d’origine et leurs redéploiements vers d’autres régions.
- L’adaptation des modes opératoires adoptés par les groupes terroristes et leurs recours à des attaques contre des sites vulnérables nécessitant moins de moyens et d’efforts.
- L’activisme persistant des groupes terroristes sur internet et sur les nombreuses plateformes de communication et de médias sociaux à des fins de propagande et de radicalisation.
Ces réalités ne devraient pas être perdues de vue dans la mise en œuvre de nos actions de lutte contre les menaces sécuritaires, à la fois aux niveaux bilatéral et régional.
Face à cela, la doctrine portée par Sa Majesté le Roi pour faire face aux menaces sécuritaires s’appuie sur une démarche intégrant de manière complémentaire la dimension sécuritaire, la croissance économique, le développement humain ainsi que la préservation de la dimension culturelle et cultuelle
La nature complexe et transnationale des menaces qui hypothèquent la stabilité de notre région a exigé du Maroc, dont l’expérience est désormais reconnue, d’adopter une stratégie nationale qui lutte contre ce fléau par des mesures concrètes.
Le Maroc a fait le choix de promouvoir une coopération Sud-Sud, Nord-Sud et triangulaire, qui se traduit par la réalisation de projets concrets avec plusieurs pays dans des domaines essentiels pour le développement humain. L’expérience marocaine est aujourd’hui une référence dans le système des Nations Unies. D’ailleurs, une réunion s’est tenu le 30 septembre 2014 par le Comité contre le Terrorisme du Conseil de Sécurité pour la présenter davantage.
Co-Président du Forum Global de Lutte contre le Terrorisme, le Maroc est aussi leader dans la formation des Imams, en Europe, mais aussi en Afrique. Notre rôle dans la promotion de l’islam tolérant et du juste milieu est nécessaire, du fait de la richesse de notre patrimoine historique et de nos ressources spirituelles et symboliques.
Messieurs les Coprésidents,
Messieurs les Ministres et Chefs de délégations,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs,
Pour conclure, je souhaite réitérer ma profonde conviction que notre cadre de dialogue – le 5+5 – a permis de faire de considérables avancées dans notre région.
Je suis convaincu que le format 5+5 est cadre, créatif et novateur par essence. C’est tout sauf un carcan. Il n’est pas antinomique avec une coopération à N+N.
Le 5+5, ancêtre des rencontres des pays de la Méditerranée, doit aujourd’hui davantage faire valoir la coopération flexible et efficace, seule à même de permettre à notre région d’affronter les méandres qui l’affaiblissent aujourd’hui.
Il doit s’ouvrir davantage sur la société civile ; ce à quoi le Maroc s’est attelé lors de sa co-présidence, en développement une action poussée avec la Fondation Ana Lindh.
Le 5+5 doit, en outre, tirer davantage partie de l’UPM, cultive les convergences et capitaliser sur les complémentarités.
Enfin, je ne saurais terminer sans souligner, avec force, que la stabilité de notre région est fondamentale. Elle est trop précieuse pour que l’on teste sa solidité.Cette stabilité ne se fait pas à coup de déclarations farfelues. La coopération régionale n’a jamais progressé par des accusations légères.
Davantage qu’un principe, le Bon voisinage est une valeur et un engagement, pour les Etats aussi, pour les Etats surtout. La stabilité n’est pas compatible avec l’irresponsabilité.
Et ça, tout le monde le sait !
Je vous remercie.