Accord Union Européenne – Maroc : le surprenant arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne du 4 octobre 2024

Hachim Fadili (*)

En pleine effervescence géopolitique, la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) vient de surprendre avec son arrêt tant attendu du 4 octobre 2024. Cette décision, qui concerne l’accord euro-méditerranéen entre l’UE et le Maroc, pourrait redéfinir les équilibres politiques dans la région et au-delà. Plus qu’une simple décision juridique, il s’agit d’un tournant qui interpelle sur la manière dont les relations internationales seront façonnées à l’avenir.

Nous ne commenterons pas les raccourcis de certains quotidiens empressés d’indiquer que la Cour européenne confirme l’annulation des accords de pêche Maroc-UE, encore moins le quotidien français Le Monde qui a titré : Accords UE-Maroc : la justice donne raison au Front Polisario du Sahara occidental.

Notre attention portera sur l’analyse de l’arrêt C793/22 empli d’enseignements pouvant aider à guider toute démarche ultérieure.

Un arrêt géopolitique

Toute décision de justice tranche un litige entre au moins deux parties.

Les forces en présence dans l’affaire jugée sont instructives.

Par leur pourvoi, la Commission européenne et le Conseil de l’Union européenne ont demandé l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 29 septembre 2021, par lequel celui-ci a annulé la décision du Conseil du 28 janvier 2019, relative à la conclusion de l’accord sous forme d’échange de lettres entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc sur la modification des protocoles no 1 et no 4 de l’accord euro-méditerranéen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs États membres, d’une part, et le Royaume du Maroc, d’autre part.

La Commission européenne a été soutenue par le Royaume d’Espagne, partie intervenante au pourvoi.

Le Conseil européen a été soutenu par le Royaume de Belgique, le Royaume d’Espagne, la Hongrie, la République portugaise, la République slovaque, parties intervenantes au pourvoi.

La République française et la Confédération marocaine de l’agriculture et du développement rural (Comader), parties intervenantes en première instance, ont également conclu devant la CJUE.

Soutenu par personne, le Polisario était représenté par un avocat au barreau de Lyon.

En son discours du 20 août 2022, Sa Majesté le Roi Mohammed VI avait proclamé:

« Je voudrais adresser un message clair à tout le monde : le dossier du Sahara est le prisme à travers lequel le Maroc considère son environnement international. C’est aussi clairement et simplement l’aune qui mesure la sincérité des amitiés et l’efficacité des partenariats qu’il établit. »

Force et de constater que par leur présence affichée, leurs arguments développés et leurs démonstrations étayées devant la CJUE, la Commission européenne, le Conseil européen, la Belgique, l’Espagne, la France, la Hongrie, le Portugal et la Slovaquie ont manifesté un soutien indéfectible au Maroc.

Quant à l’Avocate générale, la croate Tamara Capeta a conclu en la recevabilité du recours introduit par le Polisario.

Et cela, alors même qu’elle acté que le Front Polisario n’est pas reconnu comme « le » représentant du peuple du Sahara occidental par les Nations unies ou l’Union européenne, qu’il est un mouvement de libération autoproclamé.

Et de préciser qu’il n’a jamais été élu par le peuple du Sahara occidental pour incarner ce rôle et qu’il est impossible de déterminer avec certitude s’il bénéficie du soutien de (la majorité de) ce peuple.

Un arrêt au raisonnement aussi contradictoirequ’audacieux

D’une part, pour reconnaître au Polisario la capacité d’ester en justice devant les juridictions de l’Union, la CJUE a estimé qu’il est un des interlocuteurs légitimes dans le cadre du processus mené, en vue de la détermination du futur du Sahara occidental, sous l’égide du Conseil de sécurité des Nations unies, et dont des décisions lient tous les États membres et les institutions de l’Union.

Et ce, en dépit du fait qu’il ne s’est jamais vu attribuer le statut de « mouvement de libération nationale » par les Nations unies ou par l’Union et ses États membres.

D’autre part, pour juger inopérante l’argumentation relative à l’absence de reconnaissance de la personnalité juridique du Polisario dans les ordres juridiques des États membres ou au fait qu’aucune juridiction d’un État membre n’a reconnu sa capacité d’ester en justice, la CJUE a opéré une audacieuse analogie, estimant avoir reconnu en 2021 qu’un État tiersle Venezuela, en tant qu’État doté de la personnalité juridique internationale, devait être considéré comme une « personne morale ».

Il s’agit là d’un dangereux précédent portant atteinte à la crédibilité même de la CJUE :

en reconnaissant qu’une entité non étatique, comme le Polisario, peut avoir la capacité de contester des actes de l’UE sans être formellement reconnue comme un État ou une personne morale dans les ordres juridiques nationaux, la CJUE ouvre la porte à d’autres entités non étatiques ou même des mouvements séparatistes pour ester en justice. Cela pourrait mener à une multiplication de contentieux devant les juridictions européennes, émanant de groupes sans reconnaissance juridique formelle, mais qui revendiquent un statut particulier au niveau international.

Pire, la CJUE a établi un parallèle entre le principe absolu de souveraineté et un droit opposable aux contours incertainsqu’est le droit à l’autodétermination revendiqué par une organisation au statut et à la représentativité limités.

Ce faisant, la CJUE a commis des erreurs de droit liées à une interprétation et à une application erronées du droit international, en matière de relations extérieures.

Un arrêt dépourvu d’effectivité aux conséquences incertaines

Pour la CJUE, d’un côté le Polisario est individuellement concerné par l’accord litigieux, non pas sur ses effets économiques, mais plutôt sur la circonstance que cette organisation représente le peuple du Sahara occidental en tant que titulaire du droit à l’autodétermination par rapport à ce territoire.

Mais de l’autre, elle a jugé la nécessité du consentement du peuple du Sahara occidental et l’identification du Front Polisario comme entité à laquelle il incomberait d’exprimer ce consentement, tout en indiquant que la circonstance qu’un mouvement qui se présente comme étant le représentant légitime de ce peuple s’oppose à cet accord ne peut, en tant que telle, suffire à remettre en cause l’existence d’un tel consentement présumé.

La composition de 13 juges présidés par un fédéraliste (Koen Lenaerts) à la tête de cette juridiction depuis 12 ans, expliquerait l’extravagance d’une telle décision qui conclut au maintien des effets de l’accord litigieux du 25 octobre 2018 pour une période de douze mois à compter de la date de prononcé du présent arrêt, pourtant expiré en juillet 2023.

Tel a été le piètre épilogue de ce contentieux introduit le 27 avril 2019 par le Polisario.

Tout ça pour ça.

Cet arrêt soulève des questions profondes sur l’avenir des relations entre l’Union européenne et ses partenaires du Sud, mais surtout sur l’équilibre fragile entre droit international interprété et réalités géopolitiques.

S’agit-il d’un précédent isolé ou d’un tournant vers une nouvelle approche de la diplomatie européenne ?

Seul l’avenir nous le dira, mais une chose est sûre : l’impact de cette décision se fera ressentir bien au-delà des salles d’audience.

(*)Avocat au barreau de Paris

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