Affaire Pegasus : « 2M » déconstruit la manipulation des leaks
Par Mouhamet NDIONGUE
Apparue le 18 octobre 2021, l’affaire Pegasus, du nom du logiciel espion, fabriqué par l’entreprise israélienne NSO a défrayé la chronique internationale. Cette fois, le Maroc est « impliqué » dans le scandale. C’est cette affaire de « grande manipulation » que la chaîne de télévision publique 2M a tenté de décortiquer dans une émission d’investigation, diffusée le mercredi 26 janvier. Intitulée « Pegasus, les dessous d’une affaire », l’investigation «au long cours », de 2M a démêlée « le vrai du faux ».
L’affaire Pegasus a débuté le 18 juillet après une « enquête » de l’organisation Forbidden Stories et de l’ONG Amnesty International, qui ont annoncé que plusieurs milliers de numéros de téléphone de journalistes et d’hommes politiques ont été piratés par le logiciel espion Pegasus. Dans les accusations, le Maroc est pointé du doigt. Sans attendre, le Royaume dément toute implication dans la surveillance de personnalités publiques, condamne fermement « la campagne médiatique trompeuse » et décide de porter l’affaire devant les juridictions internationales.
Donnant plus d’épaisseur à la manipulation, le consortium de journalistes auteur de cette révélation réplique et déclare via le journal Le Monde (membre du consortium) qu’en 2019, « les numéros de téléphone de Macron, de l’ancien Premier ministre Edouard Philippe et de 14 autres ministres français pourraient avoir été surveillés par les services de renseignement marocains via le programme Pegasus. ». Première faille, Le Monde se conjugue maintenant au conditionnel.
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Donnant la parole à des journalistes, chercheurs, experts en stratégie, sénateurs… 2M a déconstruit la manipulation mensongère qui entoure cette affaire. Le portrait-robot du commanditaire a été brillamment esquissé, car tout au long du reportage, il est pisté, décrit, trouvé et pas cité. Le but est atteint.
Déconstruire la stratégie de manipulation
Il est loin le temps où l’ancien directeur du « Monde », Hubert Beuve-Méry, avait attendu trois semaines avant de publier le reportage où son envoyé spécial à Diên Biên Phu, Robert Guillain, pronostiquait, avec cinq mois d’avance, la défaite de l’armée française. D’ailleurs, c’est pour protester la manipulation dans la presse que Hubert Beuve-Méry avait démissionné du journal Le Temps. Il fondera plus tard Le Monde.
Pour l’affaire Pegasus, c’est bien de la manipulation, en toile de fond, il faut couper les ailes du Maroc, qui désormais, appelle à rebattre les cartes de la géopolitique tout en imposant son influence dans la méditerranée, en Afrique… Et cela, gêne. Pour certaines puissances, le Maroc devient irrévérencieux, il faut s’en occuper. Bonjour la déstabilisation.
Pour L’avocat du Maroc dans l’affaire Pegasus, Me Olivier Baratelli, « le Maroc est leader dans la lutte contre le terrorisme, il a toujours aidé à déjouer des attentats terroristes et ça peut déplaire à certains. Nous allons demander à la justice française d’éclaircir et de voir qui pourrait être derrière cette manipulation. »
Passé le délai de 10 jours, ni Forbidden Stories ni Amnesty International n’ont apporté la moindre preuve. L’affaire est dite… Pourtant, la ligne de défense du royaume est limpide : « Apportez des preuves, nous allons en justice », clame Me. Baratelli.
Six mois après le déclenchement de cette affaire, rien ne bouge, toujours pas de preuve. Agacé, Me Baratelli persiste : « le Maroc n’a pas utilisé le logiciel. Nous avons fait des citations directes devant le Tribunal Correctionnel de Paris, engagé des actions pénales -avec toute la gravité que cela comporte- à l’encontre de Forbidden Stories, d’Amnesty International, de journaux aussi prestigieux en France comme Le Monde, Radio France, France Inter… La gravité de ce que nous engageons avec la certitude que dans le délai légal de 10 jours, ces médias n’apporteraient pas un commencement de la preuve, ni le début des accusations qu’ils ont portées et qui n’ont rien apporté ».
L’autre avocat du Maroc Me Rodolphe Bosselut s’impatiente, « On n’a toujours pas la liste des fameux téléphones qui ont été infectés. Mieux, on nous oppose des moyens de recevabilité de l’action du Maroc ».
Pour Pegasus, le fact checking sera dispensé
Pegasus c’est une affaire d’un logiciel que détiendrait le Maroc et plus de 40 autres pays présumés et pourtant la presse mondiale indexe principalement le Royaume, pourquoi ?
Cependant, pourquoi la vérification des données, un des aspects sacro-saints du journalisme, n’a pas été faite au préalable ? Alain Juillet, ancien patron du Renseignement à la DGSE, services du renseignement extérieur français, chroniqueur dans une émission de géopolitique sur la branche française de la chaîne russe d’information RT, critique la légèreté de la transmission des informations. « C’est facile, si on vous donne un dossier tout préparé, vous pouvez l’exploiter. Le problème c’est que le journaliste doit vérifier ses sources et les recouper. Ça prend du temps, c’est beaucoup de travail, c’est pourquoi les journalistes d’aujourd’hui ont tendance à prendre le dossier et à le publier immédiatement », se désole-t-il.
« Il n’y a pas de liberté d’information sans contrôle de l’information. », selon Dominique Wolton, directeur de recherche au CNRS en sciences de la communication et spécialiste des médias. L’information doit être vérifiée et recoupée. C’est le métier des journalistes. Mais, il avertit que « l’expression directe n’a jamais été une information». Se voulant catégorique, il estime que l’expression doit être « validée » par des journalistes, de vrais journalistes professionnels.
Pourtant cette course à l’information se fait au détriment de la vraie information pour exemple, le présentateur cite l’affaire Clearstream qui a secoué l’Hexagone qu’on a mise en parallèle avec l’affaire Pegasus. Le point commun est une affaire de liste. Mais la question, c’est qui a fait les listes, et qui en a fait la promotion dans tous les journaux ? Selon Alain Juillet, pourquoi dans l’affaire Pegasus on cite quelqu’un et pas les autres ? Et cela revient à « opposer certains pays à d’autres, notamment la France et le Maroc ».
La main invisible attrapée
Pour le Maroc, un nombre de 10.000 numéros aurait été annoncé. C’est à Berlin que la liste de numéros a été remise à Forbidden Stories au chef de security lab d’Amnesty International, chargé de l’authentification du piratage des appareils. Mais au finish, très peu de numéros ont été analysés, loin des standards d’analyses scientifiques. Des règles n’ont pas été respectées et des conclusions hâtives tirées.
A Munich, Bastian Obermayer et Frederik Obermaier deux journalistes allemands de Süddeutsche Zeitung, un des trois plus grands quotidiens allemands, ont été les premiers à publier l’affaire Pegasus avec d’autres quotidiens comme Le Monde, le 18 juillet 2021.
Les deux journalistes allemands ont aussi été à l’œuvre du scandale des Panama papers… « Comme par hasard, il n’y a pas certaines nationalités », fait remarquer Alain Juillet qui invite à vérifier qui a financé les journalistes.
La question est : Qui a besoin de salir la réputation d’un pays et envenimer ses relations avec ses ennemis ?
Les médias qui relaient ces informations font fausse route et les 17 journaux ont mal ciblé le Maroc alors que le Royaume n’a jamais utilisé ce logiciel. « Est-c’est une erreur ? Est-ce une démarche volontaire ? Est-ce une entreprise de déstabilisation ? Moi j’ai ma petite idée« , a confié Christian Cambon, Sénateur français du Val de Marne – Président de la Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées.
François Soudan, Directeur de la Rédaction Jeune Afrique se demande pourquoi l’Allemagne n’est pas citée alors qu’elle a reconnu avoir utilisé le logiciel Pegasus. Autre observation, ne veut-on pas réduire l’influence grandissante du Maroc à la hauteur de l’Algérie et de la Tunisie ? Beaucoup de questions restent sans réponse, mais des faits ont explicitement montré des indications comme le drapeau du Polisario accroché devant un bâtiment officiel à Brême en Allemagne. Cet acte de Berlin est consécutif à la convocation par l’Allemagne d’une réunion du Conseil de sécurité de l’ONU juste après la déclaration de l’ancien président américain, Donald Trump sur le Sahara. Bien avant, Berlin avait décidé d’organiser son sommet sur la Libye en excluant Rabat, après la retentissante victoire de la diplomatie marocaine, qui a su décrocher un consensus fort des partis libyens lors du sommet de Skhirat au Maroc. Pour son sommet, Berlin avait même décidé d’inviter l’Algérie et la Tunisie. Comme quoi ne faudrait-il pas opposer au Maroc une concurrence forte sur la scène internationale ? L’affaire Pegasus aura permis de démêler « le vrai du faux ».