Affaire Pégasus : des accusations contre le Maroc qui restent à prouver
Accusé par Forbidden Stories et Amnesty International dans le cadre de l’affaire Pegasus, le Maroc plaide son innocence et demande des preuves concrètes. Une requête pour l’heure restée sans réponse.
Les journalistes du consortium avaient l’air sûr d’eux, alors qu’ils dévoilaient l’étendue d’une vaste opération d’espionnage conduite par de nombreux pays à l’encontre de journalistes et opposants politiques, dont les téléphones portables auraient été hackés. Une entreprise contraire au respect des libertés privées qui repose techniquement sur l’utilisation du logiciel Pegasus développé par la société israélienne NSO Group.
Très vite, le Maroc a été identifié comme l’une des puissances à la manœuvre. Et dans le sillage de ces accusations, des voix se faisaient entendre dans les médias pour appeler à “sortir de la naïveté face au Maroc” ou pour se réjouir devant un retournement de situation supposé dont la morale pourrait être : “tel est pris qui croyait prendre”. Et les titres de presse de faire leur une sur le Royaume, coupable tout trouvé d’une affaire qui concernerait en réalité pas moins de 40 puissances mondiales, selon les dires de NSO Group.
Sauf que. Les éléments sur lesquels s’appuie le consortium de médias emmené par Forbidden Stories et Amnesty International pour justifier leurs accusations à l’encontre du Maroc ne sont pas de nature à établir sa responsabilité. A date, plus de deux semaines après les révélations, et contrairement à ce qu’avancent les acteurs du consortium, rien ne peut encore formellement attester de l’implication de Rabat dans les intrusions suspectes des milliers de téléphones portables ciblés par le logiciel espion. Parmi lesquels, en France, celui d’Emmanuel Macron, ou de Dominique Simonnot, contrôleuse générale des lieux de privations de liberté.
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La preuve de l’implication du Maroc dans l’affaire Pegasus par… la déduction
Le consortium a en fait déduit l’implication du Maroc dans l’espionnage de numéros français à partir de constatations techniques issues du Security Lab d’Amnesty International. La démonstration, détaillée dans un article du Monde en date du 27 juillet, est pour le moins ténue. Le laboratoire fait valoir qu’il a eu accès à “40 téléphones compromis dont plus de 15 en France”, sur 50 000 appareils potentiellement ciblés donc, soit 0,08% d’entre eux. Le consortium n’a pas eu accès au téléphone d’Emmanuel Macron, ni d’ailleurs à aucun téléphone appartenant à un membre du gouvernement français, à l’exception du téléphone de l’ancien ministre de l’écologie, François de Rugy.
D’après l’article, le système Apple iMessage aurait été identifié comme une des portes d’entrée du logiciel Pegasus pour accéder aux téléphones. Le consortium fait savoir que les tentatives d’intrusion au sein du système Apple laissent des traces, et notamment celle de l’adresse mail utilisée pour interagir avec le système à espionner. Dans ce cadre, on apprend que le compte iCloud “bergers.o79[@]gmail.com”, à l’initiative de tentatives d’intrusion durant l’année 2019, aurait été retrouvé sur les téléphones de :
- Omar Radi, un journaliste “très critique du régime récemment condamné à de la prison” ;
- de Joseph Breham, avocat ayant travaillé sur le Sahara occidental, “sujet épidermique et obsession marocaine par excellence” ;
- d’un autre avocat spécialiste des droits l’homme, “dont certains dossiers intéressent le Maroc” et qui veut rester anonyme ;
- et de la journaliste de Mediapart Lenaïg Bredoux, qui a consacré des enquêtes au patron du renseignement marocain Abdellatif Hammouchi.
On apprend aussi que cet identifiant a été retrouvé sur le téléphone de François de Rugy, visé par une tentative d’intrusion, mais non infecté par Pegasus. Quel intérêt le Maroc aurait-il à espionner l’ancien ministre ? Aucun mot là-dessus. On apprend également que les traces d’un autre identifiant attribué à Pegasus, “linakeller2203[@]gmail.com” auraient été retrouvées en juillet sur les téléphones de cinq personnalités qui contreviendraient aux intérêts de Rabat, parmi lesquelles l’épouse d’un militant sahraoui emprisonné au Maroc depuis plus de dix ans ou encore “un individu résidant en France présentant un immense intérêt pour les Marocains”, mais qui n’a pas souhaité rendre son identité publique. Quel “immense” intérêt représente cet individu pour le Maroc ? Sur la base de quels éléments les deux identifiants “bergers.o79[@]gmail.com” et “linakeller2203[@]gmail.com” peuvent-il être attribués à un seul et même commanditaire ? Sur quels autres téléphones ces identifiants ont-ils été retrouvés ? Aucune information sur ces éléments. L’article ne dit pas non plus que le téléphone du Roi du Maroc lui-même ainsi que des personnes de son entourage feraient partie de la liste des téléphones portables ciblés par Pegasus.
“C’est grave dans les deux sens : s’il y a une volonté politique d’intrusion, mais aussi si l’on accuse sans preuves“
L’article du Monde, média qui fait partie du consortium à l’origine des révélations, n’en conclut pourtant pas moins que “Les traces retrouvées dans ces téléphones prouvent donc qu’ils ont été visés par la même infrastructure technique d’attaque, propre à un client de Pegasus dont les intérêts géopolitiques s’alignent avec ceux du Maroc.” Dans cette enquête, les preuves ne sont autres que des déductions, tirées d’un corpus à tout le moins extrêmement partiel, si ce n’est partial.
Le Maroc, qui a largement communiqué autour de cette affaire pour nier son implication, n’a pas manqué de souligner l’absence de preuves formelles. Déjà accusé par Amnesty International par le passé, le pays avait réclamé des preuves, mais n’a reçu aucune réponse de l’association jusqu’à présent. Une demande réitérée ces derniers jours, explique Me Baratelli, avocat du Maroc : “Amnesty International tergiverse à apporter les preuves de son accusation. Les autorités marocaines formulent une seule et unique requête : fournissez les preuves. Et Amnesty se noie dans des considérations sémantiques et des rappels tendancieux du bilan du royaume en matière de droits de l’homme, au lieu de fournir la preuve matérielle.“
La faiblesse des éléments avancés par le consortium à laquelle s’ajoute l’étroitesse des relations franco-marocaines ne sont sans doute pas étrangères à la réaction très prudente de la France quant à ces “révélations”. Une ministre française prévenait ainsi qu’ : « On ne s’avance que s’il y a des faits probants. C’est grave dans les deux sens : s’il y a une volonté politique d’intrusion, mais aussi si l’on accuse sans preuves. ».
Alors que les preuves formelles réclamées par le Maroc ne sont toujours pas connues, le pays a saisi un collège d’experts auprès de la Cour de cassation, dirigé par un spécialiste reconnu de l’analyse numérique, David Znaty. L’objectif ? Faire la lumière sur l’implication du Royaume dans les tentatives d’intrusion conduites avec le logiciel israélien.
Source : https://www.affairesinternationales.fr/