Affaire Raissouni ou quand ses défenseurs se noient dans les mensonges et la calomnie sulfureuse
Par Aïda Boutaleb
Après la distanciation sociale, la solidarité à distanciation des faits. Qualifiant l’arrestation du journaliste Soulaiman Raissouni de « nouvelle trouvaille dans la fabrication des procès politiques », les signataires d’une pétition innovent avec de nouvelles trouvailles sur l’affaire Soulaiman Raissouni.
Faute de soutien conséquent au niveau national, les défenseurs des droits marocains étant, pour la plupart, peu enthousiastes à l’idée de soutenir un agresseur présumé aux dépens d’une victime au récit crédible, les auteurs de la pétition en question ont ratissé auprès de la plupart de leurs soutiens à l’étranger. C’est donc au nom d’une macédoine d’ONG, de partis politiques et de filiales associatives européennes que le texte est signé. Distance (et manque d’intérêt) oblige, les signataires, éloignés du pays comme de ses préoccupations, s’intéressent peu à la véracité des faits présentés et cèdent aux ragots.
« Vendredi 22 mai, quinze agents policiers en civil ont procédé à l’arrestation du journaliste marocain Soulaiman Raissouni, rédacteur en chef du quotidien arabophone Akhbar el-Yaoum ». Ainsi démarre la pétition. Or, contrairement à ce qui est affirmé, l’arrestation du journaliste Soulaiman Raissouni n’a pas mobilisé quinze policiers. Les pétitionnaires ne pouvaient l’ignorer : plus loin dans leur incrimination , ils se réfèrent à une vidéo de Chouf TV qu’ils qualifient de « spectaculaire et humiliante ». Explicitement intitulée « première vidéo de l’arrestation de Soulaiman Raissouni: combien de policiers l’ont arrêté, quatre ou quinze ? », la publication de cette vidéo est précisément survenue pour démentir les rumeurs sur le nombre d’agents impliqués: quatre seulement.
La plus-value d’agents « greffée » par les auteurs à l’interpellation devrait, selon toute logique (celle des signataires de la pétition au moins), au-delà de tout doute possible illustrer la thèse du dossier politique, d’autant qu’ils décrivent l’arrestation comme « traumatisante et humiliante ». La vidéo de Chouf TV montre Soulaiman Raissouni approché par des policiers qui déclinent leur identité et lui demandent de les accompagner, sans menottes, sans contrainte, lui laissant même le temps et le loisir de passer un objet à son épouse. Tant s’en faut pour qu’une interpellation tout à fait respectueuse des règles de la loi, soit vécue comme un traumatisme et une humiliation…
Le procès en sorcellerie de Chouf TV
« Réputé pour être proche des services de renseignements marocains » selon les auteurs du texte, Chouf TV est surtout un média à fort audimat auquel la DGSN a recours pour communiquer sur ses actions, diffuser des informations, des démentis des mises au point et des clarifications. Ceci, au même titre que d’innombrables autres médias nationaux, dont le site arabophone Alyaoum24 dirigé par Soulaiman Raissouni qui, souvent par le passé, a eu accès à des sources sécuritaires, et a notamment obtenu des informations exclusives.
Les auteurs du texte vont plus loin. Ils accusent carrément Chouf TV d’avoir « annoncé l’imminence de cette arrestation alors que l’enquête judiciaire préliminaire n’avait pas encore commencé », ce qui sous-entendrait que la date de l’arrestation a été communiquée au média à l’avance. Ils se basent ainsi sur un article à charge paru le 17 mai, soit quelques jours avant l’ouverture de l’instruction judiciaire, dans lequel Chouf TV promettait des « nouveautés » sur le journaliste le jour de Aïd El Fitr, soit le 24 mai. Or, Soulaiman Raissouni a été interpellé dans la soirée du 22 mai. Madame Soleil aurait-elle eu un pronostic en décalage ? Pas tout à fait. Chouf TV a expliqué que la nouveauté promise le 24 mai était un dossier de presse sur le journaliste, dont la parution a été reportée en raison de l’ouverture de l’instruction judiciaire, pour éviter d’empiéter sur celle-ci.
On l’a vu, l’ossature de l’argumentaire des rédacteurs de la pétition ne se base pas sur le dossier judiciaire lui-même, au sujet duquel peu trouveront à redire: ils s’appuient surtout sur la couverture de l’événement par Chouf TV. Les échanges de coups entre Chouf TV et Soulaiman Raissouni ne peuvent être saisis qu’à la lumière d’un conflit personnel opposant les directeurs de deux médias. Aucun d’entre eux n’a d’accès privilégié à l’institution judiciaire. La surinterprétation d’articles et d’annonces parus dans un média, élevé au titre de révélateur d’intentions et d’actions futures, questionne la bonne foi des auteurs de la pétition, autant que leur connaissance des processus et des procédures judiciaires : nulle arrestation n’est annoncée à l’avance par voie de presse. Sinon, à quoi bon, pour permettre aux individus poursuivis de fuir la justice ?
Le prétexte fallacieux de « défendre » eu peu de mots la victime de l’agression
Consacrant le principal de leur énergie à la défense de Soulaiman Raissouni, les rédacteurs du texte trouvent enfin un peu d’espace pour parler du plaignant. Timidement, pour le quota, et toujours pour défendre indirectement Raissouni. D’abord, il est dit que le plaignant n’a pas dévoilé l’identité de son présumé violeur dans la publication Facebook qui a donné lieu à l’enquête. S’il n’a effectivement pas nominativement interpellé son présumé violeur, le plaignant a rendu son identité claire en se référant à lui en tant que « fondateur et directeur d’un site d’information connu », et en rappelant qu’il a « défendu sa nièce dans une affaire qui a fait grand bruit au Maroc ». Ces deux caractéristiques se rencontrent chez un seul individu: Soulaiman Raissouni. Il ne pouvait y avoir ni doute ni ambiguïté sur son identité.
Alors, quand les signataires de la pétition prétendent condamner « tout autant la déferlante sur les réseaux sociaux d’attaques haineuses, blessantes et humiliantes à l’encontre d’Adam Mohamed, la personne présumée victime, qui a ouvertement déclaré son homosexualité », oublient-ils (ou font-ils mine d’oublier) que le premier auteur de ces attaques restera Soulaiman Raissouni lui-même ? Au lendemain de la publication Facebook du plaignant, le Raissouni s’est répandu en injures homophobes, allant jusqu’à qualifier la victime présumée de « pédé des services », pour avoir osé partager le récit de l’agression sexuelle dont il a été victime et portera les stigmates.
L’appel à l’impunité au nom d’un prétendu complot
Ce que les signataires de la pétition exigent, sans oser le formuler clairement, lorsqu’ils demandent la libération immédiate du journaliste Soulaiman Raissouni et sa poursuite en état de liberté, est tout simplement l’application d’un droit à part en faveur des journalistes dits « critiques », des opposants et des militants des droits humains. Un droit plus laxiste, peu soucieux des procédures, leur accordant un traitement préférentiel. Autant dire l’impunité. Cette vision très relative du droit et de la justice n’est pas sans rappeler les réactions de nombre de « militants » suite au placement en détention de Mohamed Messaoudi, avocat des détenus du Hirak et du Mouvement du 20 Février. Condamné pour avoir causé, en état d’ivresse, un accident de la circulation ayant entraîné le décès de quatre personnes en 2011, puis un autre accident en 2017, il avait été défendu bec et ongles par plusieurs activistes qui y ont vu un « complot », sans aucune considération pour les vies perdues.
Ce n’est que lorsque Messaoudi a lui-même reconnu dans une publication Facebook que ce dossier n’avait aucun rapport avec son activité professionnelle, politique et militante, et qu’il jugeait tout à fait ordinaire et juste de devoir écoper d’une peine de prison, que la vague de solidarité en sa faveur a cessé. Les rédacteurs et les signataires de la pétition défendant Soulaiman Raissouni se situent dans la droite lignée de cette solidarité à sens unique : l’esprit de corps au mépris de la justice, et la défense de l’un des leurs au détriment des victimes, niées dans leurs droits, sinon niées voire méprisées tout court.