Ahmed Bernoussi : Le débat parlementaire traduit un « manque de volonté politique… »
Enrichissement illicite, conflits d’intérêts et corruption sont autant de combats que le gouvernement semble ignorer. Ces cinq dernières années, le Maroc a ainsi perdu 5 points dans l’indice de lutte contre la corruption publié par Transparency International, le plaçant à la 94e place sur 180 pays. Un recule qui, selon une récente déclaration du président de l’Instance Nationale de Probité, de Prévention et de Lutte contre la Corruption (INPPLC), aurait pour origine la faible réactivité de l’Etat.
Ahmed Bernoussi, Secrétaire général adjoint de Transparency Maroc, s’est donné comme objectif de lutter contre la corruption et d’œuvrer pour la bonne gouvernance, le développement de la citoyenneté, la promotion de l’Etat de droit et l’instauration d’un Système national d’intégrité. Si d’après lui, « le nouveau modèle de développement (NMD) a mis le doigt sur les insuffisances de la gouvernance publique », le débat parlementaire tel qu’il est traduit d’un « manque de volonté politique de transparence chez nos politiques ».
l Quelle appréciation faites-vous du modèle de gouvernance publique proposé dans le rapport général sur le Nouveau modèle de développement ?
– Le diagnostic du rapport du nouveau modèle de développement (NMD) a mis le doigt sur les insuffisances de la gouvernance publique du pays comme d’autres rapports produits avant lui par des organismes internationaux ou par les institutions nationales. Le NMD s’est donné des objectifs ambitieux en matière de développement du capital humain et d’insertion économique des jeunes à travers un enseignement de qualité, la valorisation de la recherche et un développement économique important, qui permet une croissance accélérée d’ici 2035. Toutefois, le rapport ne précise pas les outils de gouvernance appropriés pour atteindre les objectifs souhaités notamment en matière de lutte contre la corruption et l’économie de rente. Un combat qu’il est nécessaire de mener pour permettre à l’économie marocaine d’être réellement compétitive et distributive.
l Quels sont les leviers essentiels qui pourraient être mis en œuvre pour corriger les défaillances systémiques de l’administration publique ?
– Les principaux leviers qui pourraient corriger les défaillances du système de gouvernance dans l’administration publique sont la mise en œuvre de quelques principes de bonne gouvernance, d’ores et déjà préconisés par la constitution de 2011. Citons à titre d’exemple le principe de rendre compte qui lit la responsabilité à l’obligation de rendre compte, aux différents niveaux de la responsabilité. La constitution de 2011 a mis en place des axes de bonne gouvernance, mais les lois y afférentes adoptées ont dévié leurs objectifs. Notons à titre d’exemple le droit d’accès à l’information, la régulation du conflit d’intérêt et la participation citoyenne aux orientations et évaluations des politiques publiques. La loi 31-13 d’accès à l’information adoptée en 2018 présente énormément d’exceptions qui ne tranquillisent ni les citoyens ni les investisseurs. Les deux lois sur les motions et pétitions de participation des citoyens aux politiques publiques sont lourdes malgré leur révision et restent sans recours en cas de rejet des motions ou pétitions par l’exécutif. Les gouvernements successifs depuis 2011 n’ont présenté à ce jour aucun projet de loi de régulation du conflit d’intérêt. Le projet de loi de criminalisation de l’enrichissement illicite a été retiré du débat parlementaire par l’actuel gouvernement, signe du manque de volonté politique de transparence chez nos politiques.
l Est-ce que les instances de contrôle de l’administration publique proposées dans le NMD peuvent garantir une justice sociale et une équité ? Que faudrait-il ajouter pour asseoir définitivement une administration transparente ?
– Le Maroc dispose de nombreuses institutions de contrôle et de bonne gouvernance qui pourraient assurer la transparence dans le fonctionnement de l’administration et dans d’autres institutions politiques et économiques. Citons la Cour des comptes, le Conseil de la concurrence et l’Instance nationale de probité de prévention et de lutte contre la corruption. Mais ces institutions ne sont pas suffisamment indépendantes pour agir en toute neutralité. Prenons comme exemple le Conseil de la concurrence, chargé d’assurer la transparence des prix, son action est toujours bloquée en ce qui concerne les hydrocarbures, et ce malgré la confirmation par cette institution de l’entente sur leur prix depuis 2016. Les bénéfices exorbitants des distributeurs renchérissent les prix et constituent une vraie hémorragie du pouvoir d’achat des citoyens et de la concurrence de la production nationale.