Anniversaire du 20 août 1953 : Le récit du complot fomenté par la France et le général Guillaume pour déposer le Roi Mohammed V
Par Hassan Alaoui
La France a occupé le Royaume du Maroc le 31 mars 1912 en imposant le Traité de protectorat au sultan Moulay Hafid, signé à Fès notamment. Cette capitulation faisait suite à une série d’événements tragiques et de pressions sur notre pays qui vivait des heures difficiles.
Nous proposons ci-dessous une rétrospective des événements ayant marqué les premiers 50 ans du siècle passé du Royaume du Maroc, entamant comme on a dit leur cours dramatique à Fès et débouchant le 20 août 1953 sur un acte odieux, celui de l’exil forcé de Mohammed V en Corse et à Antsirabé, à Madagascar. Un coup de force conçu, monté et exécuté par des généraux français, à leur tête Guillaume, soi-disant prestigieux qui, un certain 20 août 1953, avaient envahi le Palais Royal de Rabat et obligé manu militari le Roi Mohammed V et ses enfants à les accompagner vers l’aérodrome de Rabat-Salé pour les embarquer dans un exil forcé vers la Corse et Madagascar. Cet exil forcé du Roi du Maroc aura duré quelque quinze mois… Un tournant dramatique de faire exiler le Roi du Maroc et de l’éloigner de son peuple, fut bien évidemment le résultat d’un long duel de plusieurs mois entre Mohammed Vet le général Guillaume, lequel était assisté par une camarilla fasciste, incarnée par le fameux Boniface, chef de la police venu d’Algérie, qui était qualifié de « maître du Maroc après Dieu »( Charles-André Julien).
Voici cette fresque :
Entre le 30 mars 1912 et le 20 août 1953 il s’est passé exactement 41 ans, 3 mois et 20 jours. La première date a correspondu à la signature à Fès d’un « accord » léonin, estampillé « Traité de protectorat », par un diplomate du nom d’Eugène Louis Georges Regnault et par le Sultan Moulay Hafid, sultan pusillanime et affaibli, poussé par la suite à abdiquer en faveur de son frère Moulay Youssef. Pendant ces quatre décennies et les douze mois d’occupation du Maroc , la France imprima son cachet colonial pur et dur, réadapté toutefois par la dimension humaniste d’un Hubert Lyautey, maréchal de son état qui tempérait les ardeurs des colons ultras à Paris et au Maroc. Il avait été nomme Résident général de France au Maroc et y exerça d’avril 1912 à octobre 1925. Et dans cette intermittence, il façonna en quelque le visage du Royaume et le pouvoir monarchique, imposant le Sultan de sa prédilection : Moulay Youssef qui régna jusqu’en 1927, date à laquelle lui succéda Sidi Mohammed Ben Youssef dans un contexte d’autant plus compliqué, fertile en rebondissements que le jeune Sultan n’était guère préparé à la relève, ni même préféré…
En 1927, deux ans après le départ de Lyautey qui avait, pour des raisons de sécurité déplacé la capitale du Royaume de Fès à Rabat, Mohammed Ben Youssef est intronisé. Il démentira l’image du Sultan docile que les militaires et les colons français désiraient ou rêvaient de façonner. Il sera intransigeant, intraitable même et sera confronté aux différents Résidents généraux de la France. Le général Guillaume, dans son désespoir ultime, prendra la grave décision d’exiler Mohammed Ben Youssef le 20 août 1953, en Corse d’abord, à Madagascar ensuite…Ce fut-là le déclenchement d’une prise de conscience et la renaissance du mouvement nationaliste, lancé déjà à Fès dans les années trente.
Nous célébrons ce dimanche 20 août, le 70ème anniversaire de l’exil forcé de Mohammed Ben Youssef, appelé aussi Mohammed V. Combien d’entre nous, notamment les jeunes générations, savent-ils ce que cette date signifie ? Pourquoi a-t-elle été « baptisée » « Révolution du Roi et du peuple » ? Quelle portée politique a-t-elle de nos jours ? Le 20 août signifie la sinistre date de l’exil forcé du Roi Mohammed V en Corse, le 20 août 1953. Le Maroc était encore un protectorat français, dirigé de Paris bien sûr mais représenté par un Résident à Rabat qui, sorte de proconsul, administrait le Maroc et était doté de tous les pouvoirs politiques, institutionnels, décisionnels et militaires.
Depuis plusieurs décennies, nous avons pris l’habitude de célébrer cet anniversaire avec la même ferveur, certes, mais aussi une sorte de recueillement qui nous fait presque oublier le contenu et l’objet de cette sacralisation ! Combien de jeunes d’aujourd’hui sont-ils au fait de la signification de cet événement ? Combien de ceux qui ont vécu les années de l’indépendance peuvent-ils encore se souvenir de ce duel majeur qui a mis face-à-face le Roi Mohammed V et la camarilla organisée autour du résident Guillaume, composée des Glaoui et les Zaouiyas encadrées par Kettani, dit le « chrif » ? Ces deux derniers comploteurs, dans leur zèle francophile, n’avaient-ils pas été reçus à Paris par Georges Bidault, président du Conseil avec lequel ils avaient peaufiné les contours du complot contre le Sultan ? Mieux, le 15 mars 1953, soit cinq mois avant le coup de force, le pacha El Glaoui réunit pas moins d’une vingtaine de Caïds en sa demeure à Marrakech et leur fait signer une pétition contre Mohammed V demandant sa déposition, ni plus ni moins et son remplacement par « qui en est digne »…
La déposition de Mohammed V, un complot planifié
La radio, la télévision, une partie de la presse écrite s’en donnent à cœur joie à la même célébration, avec les mêmes images, les mêmes termes et presque les mêmes clichés. Ce qui fut un pan entier de notre mémoire collective, est simplement livré sans originalité et presque sans pédagogie, l’histoire étant écrite d’une certaine façon linéaire, alors que les ruptures constituent paradoxalement ses grands traits ! L’histoire du Maroc en ces années cinquante était d’autant plus mêlée à celle de la France, qu’elle mérite plus qu’une simple description, images, rares images encore à l’appui… Mais une analyse centrale !
Nos manuels d’histoire consacrent inégalement la part qu’il faut à cet événement majeur, ils le survolent et le figent dans une chronologie qui a vite fait de réduire sa force, dans ce que les historiens appellent une « séquence ». La déposition de Mohammed V le 20 août 1953 participait ni plus, ni moins d’un complot, organisé, planifié, exécuté par le représentant colonial, un militaire borné, au passé pourtant célébré et tout à sa gloriole… et ses affidés marocains ! Il s’appelait le général Augustin Guillaume, dignitaire haut gradé comme la 3ème République française en savait faire. Leur objectif affiché ? Outre l’exil forcé du Souverain légitime, outre son remplacement par une potiche, du nom de Mohamed Arafa, mettre au pas les résistants à la colonisation, ces jeunes nationalistes qui remplissaient les bagnes installés un peu partout au Maroc, écraser la revendication d’indépendance devenue persistante… Mais, au-delà : c’est l’histoire et la mémoire du Maroc qui étaient dans le collimateur !
L’intronisation de Mohammed V et rien d’autre
Or, jusqu’à nos jours encore, la question essentielle demeure de savoir si le général qui a voulu destituer le sultan, avait-il agi seul et de son propre chef, autrement dit contre son gouvernement à Paris, où bénéficiait-il de soutiens, d’une complicité avérée ? Ou simplement de certains appuis, marginaux mais décisifs au point qu’il a failli faire endosser son coup de force par la France comme si c’était décidé par celle-ci ? Peut-être qu’une rétrospective s’impose-t-elle à nous, aujourd’hui, pour restituer dans ses grandes lignes de force le long processus qui a conduit en quelques années à l’acte odieux ! Le Sultan Moulay Youssef, bâtisseur comme le Maroc en a connu en ce temps, est décédé en 1927, soit quinze ans après l’institution du protectorat français le 30 mars 1912… Troisième de ses fils, Sidi Mohammed est à peine âgé de 17 ans et mène une vie paisible à Fès, ensuite à Meknès, éloigné de son père. Son éducation est confiée alors à un précepteur algérien, al-Mâamri, comme le veut une certaine tradition. Mohammed V joue et fréquente les enfants pauvres de son quartier… Les autorités du protectorat se trouvent confrontées à un grave dilemme : qui choisir des deux enfants pour succéder au Sultan Moulay Youssef, entre Moulay El Hassan et Moulay Driss, Sidi Mohammed étant simplement mis de côté, parce que « frêle et pâle » et effacé… Le calcul du colonisateur, relevant d’un cynisme affiché, voulait un roi docile, dépouillé d’ambition, neutre, maniable , manipulable et fragile… parce que l’œuvre coloniale devait continuer dans la droite ligne de l’occupation, et se réclamant même de l’héritage du maréchal Lyautey qui vouait pourtant un respect plus que scrupuleux à la monarchie et aux traditions marocaines… Les délibérations franco-françaises pour le choix du nouveau sultan aboutissent alors à cette conclusion : Sidi Mohammed est apparemment docile, il s’accommodera de la présence française et ne la contestera jamais !
C’était donc sans compter sur la redoutable volonté d’un jeune prince, acharné, qui va apprendre la politique, la grande stratégie et affronter le pouvoir colonial, avant de libérer le Maroc. Un événement de taille se produit alors : un groupe de Oulémas se rend à Meknès et demande audience au fqih al-Mâamri, ils sont reçus par Sidi Mohammed et d’emblée lui proclament : « Sidna, Dieu vous glorifie, vous êtes notre Roi et notre Amir al-Mouminine…» . C’est alors une précipitation de l’histoire !
Théodore Stegg, résident général ayant succédé à Lyautey, agrégé de philosophie et défenseur d’un pâle radical-socialisme, se résoudra alors à ce choix. Mais Mohammed Ben Youssef, les colonisateurs le découvriront à leur dépens, non seulement ne sera pas un roi docile, mais secouera le joug colonial et, d’une révolution institutionnelle à un défi direct et frontal, il finira par libérer le Maroc en 1955.
Le Dahir berbère, pomme de discorde
A Rabat où il installe ses quartiers, le jeune Roi teste une sortie la même année 1927, sur un cheval blanc non loin des Oudayas, une foule l’acclame et accourt à sa rencontre… En 1928, il entreprend une visite en France et sera reçu avec tous les honneurs par le président Gaston Doumergue. Il renforce son réseau de connaissances et de contacts et construit une image inédite, celle d’un Roi conscient que son peuple doit avancer, par les réformes, le progrès et l’unité. Il s’impose comme un interlocuteur incontournable, parfois même aux dépens de l’administration française installée au Maroc. En 1929, il est heureux, parce que sa femme accouche d’un garçon qu’il prénommera Moulay El Hassan, en mémoire de son grand père, le grand Sultan Moulay El Hassan 1er… C’est la continuité dynastique, enracinée dans une histoire pétrie dans le texte et de la mission de défi colonial. Un an plus tard, en 1930, il est confronté à un grave problème : les autorités coloniales promulguent le sinistre Dahir berbère qui, au prétexte de renforcer le patrimoine culturel et linguistique du Maroc, entend d’abord creuser un grave fossé au sein du peuple marocain, entre Arabes et Berbères et dont le Collège berbère d’Azrou ( devenu Lycée Tarik Ibn Zyad) incarnera la mise en œuvre anachronique! Il est installé, sous l’influence d’anthropologues coloniaux, une « juridiction de coutume berbère », une loi scélérate qui constituera la pomme de discorde, la première d’une série, entre le régime du protectorat et le Palais, c’est-à-dire le Sultan Mohammed V.
Le Dahir berbère, pierre angulaire d’une politique coloniale aux antipodes des conceptions du maréchal Lyautey, suscite une forte émotion dans le pays.
Fès déborde et s’écrie :Yahiya al-Malik
Il constitue, à coup sûr, l’un des actes de naissance du nationalisme marocain que l’Administration française jaugera à sa juste mesure, quatre ans plus tard, en 1934, devant l’accueil délirant réservé à Mohammed V par le peuple de Fès, sorti furieusement des tanières, le poing levé aux cris de Yahia al-Malik. Ce cri est un signal… On peut en effet avancer que la symbiose entre le Roi et le peuple a pris son point de départ avec le Dahir berbère et le voyage de Fès, la ville où le nationalisme marocain commence à se profiler, la cité 14 fois séculaire qui tour à tour a fourni la civilisation, l’universalisme, la science, la culture et l’âme génératrice du combat patriotique.
Lui manque-t-il une plateforme idéologique à ce nationalisme naissant voire embryonnaire avant de devenir un mouvement de masse, conscient, fédéré ? Il déploie alors l’espérance collective, et inscrit déjà le militantisme comme une devise et l’exigence de liberté sur son fronton comme une revendication essentielle. Lui manque-t-il un leader et un guide ? Mohammed Ben Youssef en prendra la lourde responsabilité…
La leçon patriotique de Fès
En somme ce que les experts en politique coloniale de la Résidence craignaient le plus s’est soudain produit, spontané, informe mais puissant. A Fès, le peuple descend dans la rue, déborde services d’ordre et protocole, pour crier son attachement et sa fidélité au Sultan Mohammed V qui, ému, le lui rend avec noblesse. Pour lui, ce chaleureux bain de foule, est à l’évidence un grand moment de son parcours personnel. Pour les administrateurs coloniaux les plus perspicaces, cette manifestation constitue, outre une rupture de l’ordre, une date historique avec laquelle il convient désormais de compter. C’est si vrai qu’un an plus tard à peine, un autre événement à signification politique majeure survient pour renforcer leur conviction qu’il s’agit non pas de simples trublions comme les qualifie un certain Al Moqri, chambellan, non pas d’un groupuscule d’égarés, mais bel et bien d’un noyau de militants politiques.
Un groupe de jeunes nationalistes, dont Allal El Fassi, Mohamed Hassan Ouazzani, Mekki Naciri, Omar ben Abdeljalil entres autres, rédigeront en décembre 1934 un texte revendicatif, intitulé le Plan de réformes, qu’ils soumettent simultanément au Roi, au chef du gouvernement français et à son représentant à Rabat, le Résident général. La lutte continuera de plus belle et le Sultan, enfoncera en 1947 le clou avec le discours qu’il prononcera en avril 1947 à la Mandoubia de Tanger où, accompagné de tous ses cinq enfants, il formulera officiellement la revendication de l’indépendance du Maroc… C’est le défi lancé à la France. Dans le Maroc profond, c’est la même revendication qui gronde, elle est de plus en plus politisée tandis que de nouveaux partis politiques voient le jour : le Parti de l’Istiqlal, le Parti populaire qui deviendra le Parti démocratique de l’indépendance (PDI) et qui, sous la direction notamment de Mohamed Cherkaoui, futur époux de la Princesse Lalla Malika, et Abdelhadi Boutaleb, jouera sur la scène nationale et régionale un rôle décisif avant et après la libération.
La connivence, une vision implicite des objectifs, de la méthode et du contexte politique sont partagées, entre le Sultan et les nationalistes. Le régime colonial en prend conscience et en redoute forcément les retombées. La libération ! Ce mot tabou n’avait-il pas pris une valeur de proclamation officielle le 11 janvier 1944, lorsqu’un groupe de 44 personnalités nationalistes avaient publié le fameux Manifeste de l’Indépendance. Le Protectorat y voyait une collusion objective entre le Roi et les militants signataires qui sont arrêtés les uns après les autres. Et pensant s’en prendre à l’influence du Sultan, ils s’en prennent sévèrement aux jeunes patriotes, ce qui ne va pas sans susciter un émoi général, aussi bien au Maroc que dans certains cercles libéraux en France. Commence alors un cycle de répressions, mais s’affirme en contrepoids une radicalisation politique dont la figure de proue est le Sultan. Il est, outre le Roi, le leader des nationalistes.
Face à de Gaulle, l’indépendance ou rien…
Il y avait déjà deux ans que le Sultan avait osé dire la vérité à de Gaulle lui-même. Celui-ci ne rapporte-t-il pas dans le tome III de ses Mémoires, du livre « Le Salut » les propos très fermes que Mohammed V lui avait tenus : « Le régime du protectorat a été accepté par mon oncle Moulay Hafid, puis par mon père Moulay Youssef, et l’est aujourd’hui par moi-même comme une transition entre le Maroc d’autrefois et un Etat libre et moderne. Après les événements d’hier et avant ceux de demain, je crois le moment venu d’accomplir une étape vers ce but. C’est ce que mon peuple attend ». Impératif catégorique, dirait Kant encore, le Souverain a tranché sans langue de bois devant le Libérateur de la France.
Le complot contre Mohammed Ben Youssef démarre avec Alphonse Juin, général de la Deuxième Guerre mondiale, nommé résident à Rabat en février 1951. Lui, veut annuler le statut de protectorat et transformer les provinces du Maroc en autant de départements français, à l’exemple de l’Algérie. Autant dire que le Royaume deviendrait alors la caricature de ces principautés du Moyen Age européen, dépouillé de sa légitimité, dépourvu de sa longue
Deux ans plus tard, le général Juin est rappelé à Paris, il fait nommer un autre général, Augustin Guillaume, militaire grotesque, sans nuances, soudard de sous-préfecture chamarré, qui commettra l’irréparable en déposant le Sultan. L’année 1951 a été marquée par toute une série de manœuvres qui, depuis la Résidence, mobilisent le pacha de Marrakech, Thami Glaoui, les confréries religieuses supervisées par Abdelhaï Kettani, sombre prédicateur aux accents rétrogrades, les colons ultras, ainsi que les militaires et, à Paris même un Georges Bidault, ministre des Affaires étrangères qui cautionne l’opération de déposition. L’objectif est manifestement de destituer le Roi Mohammed V et de mettre à sa place un autre Roi. La coalition féodale s’est donc ingéniée à fabriquer une parodie de procès du Roi légitime, de mise en doute de son intégrité morale et religieuse, bafouant le titre de Amir al-Mouminine de Mohammed Ben Youssef.
Nous sommes à 7 mois du forfait ! En février 1953, les prémices de ce qu’on appellera le coup de force contre le Sultan sont réunies. A Rabat, un certain Jacques de Blesson, ministre délégué à la Résidence et faisant office d’ambassadeur, joue un rôle déterminant de comploteur intempestif et halluciné. Il fournit des rapports rassurants à Paris mais encourage, en revanche, la sédition au Maroc, apporte son appui aux comploteurs…dans le sillage du général Guillaume qui, sur suggestion de Thami Glaoui, décide d’ introniser Mohamed Ben Arafa…Comme si l’on rayait d’un seul trait 14 siècles d’histoire chérifienne, commencée à Zerhoun et à Fès par les Idrissides et finissant dans la vulgarité d’un général devenu le janissaire de l’Ordre colonial.
C’est une page d’histoire qui s’apprête à être écrite…
Mettant à profit la crise politique en France, provoquée par le renversement du Cabinet Mayer, Blesson reçoit en fanfare le Glaoui. Celui-ci lui remet officiellement le 21 mai la pétition des caïds, par laquelle le pacha, poussé par Guillaume, entend remettre en cause jusqu’au caractère imprescriptible de la béiâa (allégeance) prêtée au Souverain à Fès le 18 novembre 1927. Tout démontre, en effet, que le mouvement visant la destitution de Sidi Mohammed Ben Youssef parie sur la passivité du gouvernement et le double jeu de Bidault, le ministre des Affaires étrangères. Le pas sera franchi le 13 août 1953, à la grande joie du Glaoui, lorsque un prétendu piège est tendu au Souverain et dont on attend qu’il y tombe, pour ensuite prendre à témoins et l’opinion et le gouvernement Laniel qui, implicitement, a déjà approuvé le coup de force. On présente à Sidi Mohammed Ben Youssef une liste de textes à signer dans lesquels, supercherie ou bouffonnerie, il est clairement décidé de le dépouiller de ses pouvoirs et de ses attributions. Il lui est demandé d’entériner la création d’un Conseil auquel il déléguerait son autorité et qui est présidé par Mohamed Al Moqri, centenaire et plus que grabataire…
C’est le prétexte ! Mais aussi l’ouverture des hostilités. En filigrane se dessine la « feuille de route » militariste d’un Guillaume plus que jamais résolu à en finir avec ce Roi sur lequel , en fin de compte, tout le monde s’est trompé puisqu’il incarne le fer de lance de résistance .
« Je m’incline pour préserver mon peuple, mais ne renonce pas »
Devant le refus catégorique du Roi, Guillaume ne trouve pas mieux que de recourir à l’encerclement armé du Palais royal et à l’arrestation du Prince Moulay El Hassan, qualifié… « d’agitateur communiste ». Malgré les pressions et les menaces, le Sultan tient bon. Il ne donne pas sa signature. Cependant, afin de préserver la vie de ses citoyens et quitte à faire temporiser les ardeurs criminelles des Glaoui et consorts, il s’incline devant la décision coloniale de l’exil forcé. Mais il souligne que « s’incliner n’est pas renoncer » !… Le général Guillaume jubile en ce 20 août 1953, lorsque le Souverain du Maroc est contraint de quitter son pays, ses enfants poussés violemment par un escadron de militaires vers la piste d’envol de Salé. L’exil de Mohammed V durera 28 mois, il commencera en Corse où la population lui exprime sympathie et dévouement. Ensuite à Antsirabé, à Madagascar, où naîtra sa dernière fille, la princesse Lalla Amina.. Mohammed V regagnera Paris fin octobre 1955, et entamera de longues et laborieuses négociations pour la libération du Maroc avec Antoine Pinay, président du Conseil français…Il arrachera l’indépendance, et fera un retour triomphal au Maroc le 16 novembre pour proclamer officiellement l’indépendance du Maroc le 18 novembre 1955…Une page douloureuse est alors tournée, une autre recommence. Dans la continuité et la durabilité pour reprendre l’expression fétiche d’un Braudel, la Monarchie défie le temps et l’adversité, elle donne la mesure de sa longue et consensuelle résilience. De Mohammed V à Mohammed VI en passant par Hassan II, l’indépendance et la liberté de notre nation restent farouchement défendues.