Anniversaire : Il y a 20 ans le Roi Mohammed VI à Alger ou l’espoir d’une « normalisation » désenchantée

Par Hassan Alaoui
Presque jour pour jour, nous célébrons le XXème anniversaire de la visite que le Roi Mohammed VI a effectuée le 20 mars 2005 à Alger pour participer au 17ème Sommet de la Ligue arabe. Elle avait suscité un renouveau dans les relations – à tout le moins gravement crispées – entre le Maroc et l’Algérie. Elle survenait également cinq ans après l’arrivée au pouvoir de Abdelaziz Bouteflika et six ans après l’accession au Trône du Roi Mohammed VI.
Une coïncidence qui a son poids, qui deviendra même un « signe du destin ». L’arrivée à Alger à bord d’un boeing 747 avec une délégation de 400 personnes ne manqua pas, en effet, d’impressionner à la fois les autorités algériennes et les participants au Sommet arabe. Plus, un accueil plus que chaleureux avait été réservé par le président Bouteflika au Roi Mohammed VI, logé dans une villa personnelle d’un quartier distingué d’Alger, accueilli avec faste et une considération particulière.
Comme à son habitude lors des visites effectuées dans certains pays d’Afrique, à Tunis, à Kinshasa entre autres Mohammed VI faussa compagnie à la sécurité algérienne, le DRS du redoutable Taoufik Médine un certains soir et s’en alla se promener seul dans la belle ville d’Alger, saluant le peuple algérien, partageant des moments de découverte de la capitale et ses recoins mythiques avec les populations qui lui avaient réservé un accueil exceptionnel. En marge des travaux du Sommet, la rencontre avec le peuple algérien constitua à coup sûr une suspension dans le temps, le vague espoir de retrouvailles avec l’histoire et la mémoire…
Abdelaziz Bouteflika – qui a grandi à Oujda, considéré selon ses propres termes comme un « Marocain » – s’était rendu à Rabat aux funérailles du Roi Hassan II, une manière d’hommage à celui qu’il considérait à la fois comme son modèle et maître à penser et auquel il vouait une forte admiration. Mohammed VI en avait pris acte non sans en être touché, d’autant plus que la participation du nouveau président algérien aux funérailles royales pouvait être considérée comme un acte de foi d’un rapprochement avec le nouveau Roi du Maroc et, toutes affaires cessantes, le signe positif dans le ciel nuageux des relations maroco-algériennes. Il arrivera donc au Roi Mohammed VI et au président Bouteflika de se revoir, notamment au Sommet Europe-Afrique organisé en 2000 au Caire quelques mois plus tard, d’échanger voire de surmonter un tant soit peu les méprises et de décider de la création d’une Commission mixte pour aborder les contours du contentieux global maroco-algérien. Il convient de rappeler que lors de ce Sommet intercontinental – l’un des tout premiers auquel Mohammed VI prenait part – , il décida dans un discours magistral d’annuler la dette contractée auprès du Maroc par certains Etats d’Afrique.
Nous sommes donc en mars 2005 et les rues d’Alger pavoisent à l’arrivée des chefs d’Etat des pays arabes invités au 17ème Sommet censé consacrer le triomphe de Bouteflika, élu cinq ans auparavant et proclamant son irrésistible volonté d’assainir le pays, notamment avec une amnistie générale.
Cependant, en marge du Sommet arabe, se sont introduites bon gré, mal gré certaines nuances, notamment la tenue d’un Sommet bilatéral – maroco-algérien pour ainsi dire – au cours duquel le président Bouteflika n’a pas manqué de rendre hommage au Roi du Maroc, ne tarissant pas d’éloges et s’engageant dans la foulée à coopérer avec lui pour édifier une nouvelle relation digne de ce nom. Il convient de souligner , à cet égard, que Bouteflika ne se lassait jamais d’exprimer son admiration de Hassan II à tous points de vue, y compris son élégance et son accoutrement dont il faisait un modèle.
Si le Sommet arabe organisé à Alger les 22 et 23 mars 2005 avait constitué en quelque sorte un succès pour le président algérien, celui qui avait réuni celui-ci au Roi Mohammed VI, hissé sur le Trône cinq ans à peine auparavant, prenait les contours d’un tournant. Prenant de court les adversaires du Maroc au sein du pouvoir algérien – notamment les militaires, à leur tête Taoufik Medine – , la présence de Mohammed VI, constituait comme un signe d’un rapprochement possible, propre à freiner ou réduire leur hostilité du Royaume. Pis : le Roi décida dans la foulée de prolonger son séjour à Alger à titre privé d’une journée qu’il mit à profit pour rencontrer de nouveau le peuple algérien, s’y mêler encore dans un mouvement de convivialité et d’amitié. L’Establishment politico-militaire algérien, bien évidemment, n’avait rien compris à ce geste, mais l’Histoire aura, en revanche, retenu sa dimension fraternelle et respectueuse chez le peuple algérien.
Que dire vingt-ans après ce succès, comment ne pas souligner la dimension singulière de ce voyage du Roi du Maroc, le tout premier et dernier de Mohammed VI à Alger ? Après le départ de Bouteflika et l’arrivée au pouvoir de Tebboune en 2017, celui-ci a comme qui dirait détruit l’héritage de son prédécesseur et s’est fabriqué un masque de fer, comme l’ont fait tous ! A commencer par Bouteflika lui-même qui, manifestement, avait alors opéré un virage radical dans sa relation avec le Maroc et ce jusqu’à son départ de la Mouradia.
Le ton avait subitement changé et la chaleur des messages avait cédé le pas à la méfiance, enterrant les fragiles espoirs que les peuples des deux pays avaient de nouveau commencé à nourrir.
Il convient de souligner que le président Bouteflika cultive à l’égard du Maroc une attitude d’autant plus ambivalente qu’elle relève du paradoxal : il n’a jamais caché son admiration pour feu le Roi Hassan II qui, selon ses dires, constituait son modèle. Il s’est fait aussi le héraut de la courtoisie dès le lendemain de l’accession au Trône du Roi Mohammed VI, se montrant volubile, se réclamant de l’héritage commun, louant les qualités du jeune Roi, se voulant différent d’un Zéroual voire même d’un Chadli Bendjedid, déclinant un visage de « réformateur et de rassembleur »… Quelques mois après son arrivée au pouvoir dans une Algérie dévastée par la guerre civile, ravagée par l’usure du pouvoir, Bouteflika confia à Radio France Internationale (RFI) ce propos : « Je suis en train de réhabiliter l’Etat et je suis en train de mettre l’Algérie sur les exigences de l’An 2000, c’est-à-dire une nécessaire et inévitable modernisation ». Il avait 62 ans et incarnait aussi bien pour le peuple algérien que pour le Maroc et les pays du Maghreb un fol espoir d’une redynamisation de ce dernier.
C’est dire qu’aussi bien le langage que les objectifs ont connu une transfiguration avec le temps et l’usure du pouvoir. Peut-être même que, dans l’affaire du Sahara qui est l’axe central de la diplomatie algérienne avec le Maroc, avait-il nourri le rêve d’une normalisation et d’un rapprochement, base préliminaire pour une solution politique…Tant et si bien qu’il n’a pas hésité quelques années plus tard à renouveler une vieille proposition, à la sortir du tiroir et consistant à défendre une « partition du Sahara » entre le Maroc, l’Algérie et le Polisario…Ce plan machiavélique, sorti du chapeau d’on ne sait qui, constitua pourtant le cheval de bataille d’un certain James Baker, ancien secrétaire d’Etat américain de Georges Bush Père, devenu ensuite l’Emissaire spécial du secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan jusqu’en 2004…
Bouteflika a-t-il changé sous la pression d’un DRS omnipotent, dirigé d’une main de fer cruelle par le général Toufik ? Lequel n’avait laissé aucune chance à Mohamed Boudiaf, assassiné froidement par l’un de ses sbires le 29 juin 1992 à Annaba, soit 6 mois seulement après qu’il eût quitté le Maroc et pris la direction de l’Algérie. La marge de pouvoir de Bouteflika depuis 1999 est demeurée étroite, confronté qu’il fut aux manœuvres de ses adversaires – militaires notamment qui l’avaient pourtant hissé au pouvoir ! Sa relation avec le Maroc est teintée d’un paradigme étrange : l’admiration et l’impératif de le combattre, une irréductible volonté de détruire le modèle du « maître » au nom d’un cynisme érigé en doctrine d’Etat !