Après la visite d’Eric Ciotti président LR où en est la relation France-Maroc ?
Par Farida Moha
Le discours est clair et sans ambiguïté aucune : tout au long de son séjour la semaine dernière au Maroc , Eric Ciotti, président du parti des LR ( Les Républicains ) à la tête d’une délégation française composée de sénateurs et de Rachida Dati, conseillère de Paris et ex garde des Sceaux n’a eu de cesse au cours de ses rencontres politiques et lors d’un point de presse de préciser la position de son parti, à savoir la reconnaissance de « la souveraineté du Maroc sur ses provinces du sud, l’attachement de son parti à son intégrité territoriale.
Dans la foulée, il a souligné « les efforts colossaux investis par le Royaume dans ses provinces à la grande satisfaction des populations sahraouies », rappelant le « bien fondé de l’initiative d’autonomie auquel, a-t-il affirmé, nous souscrivons entièrement et souhaitons qu’après l’Espagne, l’Allemagne, les Pays Bas, la France reconnaisse cette position ». Eric Ciotti a évoqué également le « partenariat stratégique avec l’Europe, la nécessaire refondation et consolidation des liens entre la France et le Maroc qui partagent des intérêts stratégiques dans une région où le Maroc en tant qu’Etat structuré tourné vers l’Afrique constitue un pôle de stabilité et joue un rôle charnière». Il a mis en exergue la « nécessité à Paris de retrouver le chemin d’un dialogue apaisé pour une confiance renouvelée fondée sur les liens historiques amicaux afin de faire face aux grands défis du développement »…
Il n’est pas jusqu’au projet du gazoduc Maroc Nigeria qui n’ait été encouragé, ou au rappel en matière d’immigration d’une nécessaire politique de vigilance afin d’éviter l’exode, le pillage des cerveaux marocains par les pays développés !
La légitimité du dossier du Sahara marocain
Un discours qui n’est pas sans rappeler pour le Sahara, la position de Maurice Gourdault Montagne, un diplomate émérite, plusieurs fois ambassadeur de France successivement en Chine, en Allemagne, au Royaume Uni, au Japon, ensuite Secrétaire General du ministère français des affaires étrangères, Conseiller diplomatique de l’Elysée qui, dans son dernier ouvrage paru au début de l’année « Les Autres ne pensent pas comme nous » et dans le chapitre consacré à la refondation de la relation franco algérienne écrit avec lucidité : « Le Maghreb est entravé par un certain nombre de blocages dont l’Algérie est largement responsable…Le comble de ces blocages a été atteint avec la rupture des relations diplomatiques entre la Maroc et l’Algérie à l’automne 2021. Or l’immobilisme de l’Algérie s’agissant du Sahara occidental n’est certainement pas tenable à terme. Personne ne peut faire fi de l’origine même de la légitimité du Royaume chérifien qui se trouve dans l’allégeance des provinces au souverain. La Marche verte du Roi Hassan II avait confirmé s’il en était besoin que nous étions bien dans ce cas de figure et que la légitimité de la revendication du territoire concerné par le Maroc était indéniable, le Sahara occidental étant chérifien avant la colonisation espagnole. C’est un point sur lequel Jacques Chirac qui tenait à maintenir une relation étroite avec l’Algérie était inflexible, considérant qu’il était déterminant pour l’équilibre intérieur du régime marocain et sa stabilité ainsi que celle de la région».
Des positions qui rappellent également les propos de Bernard Barjole, ex-ambassadeur de France à Alger dans son ouvrage « Le soleil ne se lève plus à l’Est », soutenant que « le conflit du Sahara qui est une affaire vitale pour le Royaume, se résume en une lutte d’influence entre le Maroc défavorisé par le partage colonial du désert et l’Algérie qui instrumentalise le problème sous le prétexte de défendre le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui ». Des positions on le voit, claires, explicites et sans détour. Reste à savoir qu’elle est la capacité du parti des LR français ou des diplomates à influer sur les décisions du gouvernement français, à porter ce discours sur la scène politique française et auprès du Président Emmanuel Macron qui dicte la politique étrangère de la France considérée , rappelons-le, comme son domaine réservé.
Un monde et une région en tension
Il n’est pas, d’autre part, anodin de rappeler le timing de la visite des Républicains français qui a eu lieu quelques semaines avant celle que devrait en principe effectuer le président Abdelmajid Tebboune en France à la mi-juin, reportée et marquée par les tensions entre les deux voisins, le Maroc et l’Algérie. A un moment aussi où se multiplient les évocations des mémoires collectives des peuples faisant émerger en sourdine en France, en Algérie mais aussi au Maroc des souvenirs, d’où plusieurs voix s’expriment pour rappeler « les conséquences du partage colonial » à savoir les amputations du Sahara oriental au détriment du Royaume et au profit de l’Algérie, alors département français , comme en témoignent les archives du Quai d’Orsay . Une visite du président du principal parti d’opposition le LR, qui a lieu après le départ des forces françaises Barkhane du Mali, à l’heure où des reconfigurations au Sahel sont opérées sous l’égide du pays voisin qui déploie sa puissance dans la région et une guerre acharnée contre le Royaume.
La visite de la délégation LR, mais surtout les effets qu’elle pourrait susciter, pourraient-ils servir de coupe feux pour prévenir l’émergence des risques d’une mise en tension de la relation France-Maroc qui s’annonce, notamment avec le basculement vers un nouvel ordre régional sahélien et saharien au bénéfice de l’Algérie ? Cette visite pourrait-elle servir à une prise en compte du chaos que pourrait induire une telle situation avec la multiplication du trafic des armes et des dérives des groupes d’ex Aqmi et GIA dans tout le Sahel ? Et qui, avec ses interconnexions avec le Maghreb inquiètent jusqu’à l’Etat-major militaire d’Alger lui-même ? Une telle visite a-t-elle pu permettre de restaurer le dialogue gelé entre Paris et Rabat et un climat de confiance nécessaire aux relations économiques qui n’ont pas été jusque-là, force est de le constater, impactées ?
Avec la guerre de l’Ukraine aux portes de l’Europe que l’on croyait immunisée de tout conflit, avec les tensions grandissantes entre les Etats-Unis et la Chine et leurs conséquences diplomatiques, on assiste à la gestation en pointillé d’une reconfiguration du monde. Un monde porté par une compétition exacerbée dans le Pacifique, en Asie, mais aussi en Afrique, au Sahel en particulier où les coups d’Etat militaires se sont multipliés.
Des risques de fractures
Dans ce moment de transition, de ruptures et de pertes de repères, dans ce clair-obscur de redistribution de la puissance à l’échelle du monde, qu’en est-il de l’avenir de la relation entre le Maroc et la France ? Une relation jusque-là présentée comme singulière voire exceptionnelle, fortement mise à mal ces derniers mois, avec ce qui est ressenti comme étant un basculement quasi provocateur vers Alger pour en faire le pôle d’une nouvelle configuration régionale qui touche le Sahel et le Sahara, mise à mal également par une crise des visas qui a touché le tissu économique et social créant un fort ressentiment au niveau politique et de la société civile. Une rapide analyse dans le temps, depuis l’indépendance nous permet de conclure que si la relation Maroc France a été ponctuée de nombreuses crises, toujours résolues au plus haut niveau, celui des chefs d’Etat avec des périodes de retour du balancier porté par des relations de proximité et un partenariat dit stratégique, la crise actuelle est porteuse de nombreux irritants mais surtout de risques de fracture entre deux pays dont la relation aura été pendant plus d’un demi-siècle « exceptionnelle » .
Ce que les diplomates de Rabat qualifient de « tergiversations » de l’Elysée sur le Sahara, malgré la reconnaissance de la souveraineté du Maroc par les Etats-Unis et les évolutions remarquables sur cette question de pays comme l’Allemagne et l’Espagne, ont créé un climat d’incompréhension et de frustration. Ces dernières années, le Maroc a déployé une nouvelle politique étrangère fondée sur une diversification de ses relations avec la Chine, la Russie, Israël, la Turquie avec comme fil conducteur un point nodal : essayer de conforter la position de souveraineté sur les provinces du sud, sur le Sahara que le Maroc ambitionne de transformer en hub entre l’Europe et l’Afrique. Une position que les nouvelles générations politiques françaises ne partagent pas toujours, pour cause de divergences idéologiques et d’ignorance mais aussi, parfois, faute d’une connaissance approfondie du dossier et à cause de la pression de la diplomatie algérienne. En l’absence des anciens relais diplomatiques, la connaissance et l’expertise sur la région s’est en effet singulièrement affaiblie…
« Le poids de l’équation algérienne »
Une connaissance historique de la région que la diplomatie marocaine intègre dans son analyse régionale en fixant toutefois les limites de tout basculement vers un autre rapport de force régional. Ce que les historiens et politologues appellent « la part algérienne de la France dans son psyché collectif », à savoir l’imbrication politique et humaine qui existe entre les deux pays est connue. Pour la France, l’Algérie n’est pas seulement un sujet de politique étrangère mais un sujet de politique intérieure. Beaucoup d’écrivains et d’historiens ont évoqué cette espèce de « consanguinité » qui fait que l’Algérie imprègne et imprime la vie politique et l’imaginaire des Français et que tout est lié, d’où l’importance du processus d’apaisement des mémoires lancé par le président Macron pour avancer dans cette relation.
Jean Pierre Chevènement, ancien ministre socialiste de Mitterrand et président de l’Association France Algérie avait compté plus de 7 millions de personnes en France qui sont directement intéressées par l’Algérie : les pieds noirs, les harkis, les binationaux, les immigrés, la droite française… pour toute appréciation ou décision, ce chiffre qui représente près de 12% de la population est important à rappeler pour jauger ce paramètre d’imbrication, essentiel à la compréhension des relations entre la France et l’Algérie. Une relation que l’ancien ministre de la défense ambitionne de construire en « binôme structurant pour le XXI siècle ».Reste une question de fond à poser : ce binôme structurant devrait-il se faire au détriment de la relation France-Maroc et d’un changement dans la position de l’Elysée sur la question du Sahara sous la pression des militaires d’Alger?
Dans son ouvrage « l’Enigme algérienne », Xavier Driencourt qui fut durant deux mandatures ambassadeur à Alger écrit : « Chaque élément compte dans la relation, tous les morceaux de ce gigantesque puzzle doivent être analysés. On doit peser le pour et le contre car aucune décision n’est isolée et sécable des autres aspects de la relation : aspects politique intérieure, vote, migration visas, banlieues, pieds noirs, extrême droite, coopération internationale …à l’instar du mécano si vous tirez une des tiges du jeu, vous risquez de faire bouger les autres et tout le jeu peut s’effondrer »
Il rappelle que « l’Algérie est entourée des pays en guerre, Libye, Niger Mali, que la France a besoin de son expertise dans la région et de sa neutralité », que son pays doit intégrer l’ensemble de ces paramètres internes et externes dans son appréciation sur l’Algérie et dans sa politique ». Sa conclusion est on ne peut plus claire : « l’équation algérienne est redoutable : tout est entrelacé, mêlé associé et si l’Algérie va mal la France va mal également ».
D’où ce sentiment de tergiversations ou de mise à distance de Paris que l’on peut ressentir à l’égard de notre diplomatie. Lors de l’annonce unilatérale de la rupture des relations diplomatiques entre Alger et Rabat au mois d’août 2021 , un communique du quai d’Orsay appelle au dialogue et souligne « que le Maroc et l’Algérie sont deux pays amis et deux partenaires essentiels à la France ».Un communiqué qui résume les difficultés d’arbitrage et d’évolution de position de la France dans le dossier du Sahara, d’autant qu’avec la guerre en Ukraine le poids de l’Algérie est encore plus lourd compte tenu de l’interdépendance énergétique entre le nord et le sud de la Méditerranée, compte tenu aussi du caractère essentiel et stratégique de l’énergie.
Les amis de mes ennemis…
« Or tout rapprochement avec l’Algérie ne doit pas se faire au détriment du Maroc », a déclaré Eric Ciotti lors de sa conférence de presse. « La France, a-t-il réitéré, doit parler à tout le monde, nous devons parler à l’Algérie mais pas au détriment de notre relation avec le Maroc ». Que faut-il faire dès lors pour éviter une banalisation de notre relation lors de ce second quinquennat du président Macron, voire un changement lourd de conséquences dans la région ? « Dans un premier temps, déclare le président du groupe LR, se parler, reprendre langue pour trouver des points de passage, pour construire des ponts, tracer les perspectives sur le plan bilatéral et multilatéral et les grandes orientations sur les enjeux dits globaux comme le changement climatique, les questions migratoires et autres sujets qui reconfigurent les politiques extérieures.
Il faudra dans un second temps, pour éviter que certaines questions ne polluent la relation, entamer un travail d’écoute, de coordination et d’anticipation. C’est lorsque les choses vont mal, qu’il faut déployer la diplomatie. Les diplomates sont invités en somme à faire ce travail de « déminage », de médiation et de veille afin d’éviter le point de non-retour, pour travailler sur des pistes de rapprochement et pour bâtir l’avenir en commun dans une région profondément déstabilisée. Dans ce sens, la diplomatie économique est essentielle pour travailler sur les opportunités dans l’espace euro-méditerranéen et en Afrique compte tenu de de la proximité géographique, des impacts de la zone de libre-échange avec ce continent. Un vaste chantier qui nécessite une véritable refondation du partenariat et un élargissement aux acteurs comme les collectivités locales ou la société civile.
L’ambition est réalisable malgré la persistance des tensions, car le socle dur des relations est constitué d’une forte communauté d’intérêts, d’une familiarité et proximité des élites, des marocains du monde et français résidant au Maroc. Une densité de la relation dont témoigne le formidable flux humain à nul autre pareil au monde que l’on peut observer lors des vacances où des millions de Marocains traversent les territoires pour renouer le lien avec leur pays d’origine. Avec en sus ce capital immatériel constitué de ce legs du passé où des milliers de soldats marocains ont contribué à libérer l’Europe du nazisme.
Rachida Dati : un conflit maroco-algérien serait un désastre
Un capital constitué sur le temps long et porté par une relation de proximité entre chefs d’entreprises, hommes d’affaires, monde politique, qui est le résultat d’une longue coopération densifiée dans le temps. Le Maroc, de par sa position géographique est aujourd’hui au cœur des intérêts régionaux et internationaux ; il est inséré dans les principaux flux financier et économique qui lui permettent d’investir et de créer de l’emploi, contribuer au développement en Afrique comme l’a souligné avec force Eric Ciotti dans son point de presse et ce, pour le profit de toutes les parties prenantes : France, Maroc et pays d’Afrique. Dans ce sens, la France pourrait jouer ce rôle de médiateur entre l’Algérie et le Maroc dont les peuples restent très proches car, comme nous le confiait Rachida Dati, de père marocain et de mère algérienne, adepte comme beaucoup du grand Maghreb, « un conflit entre les deux pays serait un désastre pour le Maroc, pour l’Algérie mais aussi pour la France ».