Après le « Sommet » Soro- Ouattara, la Côte d’Ivoire regagnerait-elle la côte de l’apaisement et de la confiance ?
ABIDJAN – Par Othmane Semlali
Après la rencontre tenue la semaine dernière à Abidjan entre le président ivoirien, Alassane Ouattara et son aîné, Henri Konan Bédié, c’est un rendez-vous tant attendu qui a réuni vendredi 3 novembre, le locataire du palais d’Abidjan avec le président de l’Assemblée nationale (PAN), Guillaume Kigbafori Soro, après tant de mois de « brouille » dans leurs relations.
Rencontre qui ne sort guère de l’ordinaire si on doit l’analyser comme étant dictée par l’impératif qu’impose la gestion des affaires de la République. Or, cette rencontre tant attendue a fait couler beaucoup d’encre et investit les Editos des médias, eu égard au climat de crispation qui régnait, soit un temps, entre deux alliés historiques de longue date, suite à une supposée « divergence » de vues sur moult questions, entre autres, les éventuelles prétentions présidentielles exprimées par le PAN.
Pour briser le silence et couper court devant les rumeurs empoisonnantes, deux appels téléphoniques entre Ouattara et Soro ont été en quelque sorte concluants, dont celui du 9 octobre, par l’entremise du patron de la Garde Républicaine (GR), Issiaka Ouattara dit « Wattao », suivi de celui du 11 octobre, pour que les deux hommes décident enfin de se rencontrer pour se parler face-à-face et briser ainsi les incompréhensions. Au cours de ce second appel téléphonique intervenu en marge d’une réunion de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) à Niamey au Niger, Alassane Ouattara a tenu à affirmer qu’ ‘’il ne saurait y avoir de crise entre lui et le président de l’Assemblée nationale’’.
Tellement on s’intéressait à la relation entre les deux hommes, qu’une rumeur a eu tache d’huile sur les réseaux sociaux au sujet d’une rencontre tenue discrètement le 29 octobre entre les deux hommes au Palais présidentiel. Une information aussi stratégique qu’elle a suscité peu de temps après, une réaction urgente du Cabinet du PAN, pour la dénuer de tout fondement. La rencontre de 3 novembre intervient donc, dans un contexte qui serait assez sulfureux, marqué par l’enfermement à la prison d’Abidjan, du directeur du protocole de Soro, dit « Soul II Soul » en raison de sa présumée implication dans une affaire de cache d’armes découverte dans son domicile à Bouaké lors des mutineries de soldats. On parle également d’une supposée mise sous surveillance des Conseillers du PAN.
De quoi les deux alliés d’hier avaient-ils parlé après cette longue absence ? En réalité, même si le rendez-vous a été soigneusement préparé et que cette rencontre fait suite à une demande formulée en toute humilité par Soro après son retour le 22 octobre au Bercail, après plus de deux mois à l’étranger, rien n’a filtré sur son contenu, ni les questions examinées. L’objectif recherché à Abidjan serait de minimiser au maximum l’importance de cette rencontre dans le dessein clair de tenter de dédramatiser ce climat de tension, dans lequel baignait la Côte d’Ivoire depuis des mois.
Tenue entre un conseil des ministres achevé tardivement, et les préparatifs pour le déplacement samedi 4 novembre à Washington, du président ivoirien, cette rencontre en dit beaucoup et son impact immédiat ne pourrait être que ‘’positif’’, en termes de décrispation et de regain de confiance chez les Ivoiriens, après de longs mois d’incertitude voire même, d’inquiétude sur ce que serait l’avenir d’un pays, longtemps victime de décennies d’instabilité politique et sécuritaire.
Stratégiquement, la rencontre est d’autant plus importante car, il s’agirait pour Guillaume Soro de mettre à nu toutes les accusations que ses détracteurs tentent de lui coller au dos, celles de vouloir déstabiliser l’Etat, de connaitre sa place au sein du Rassemblement des Républicains (RDR)- parti d’Ouattara, et de négocier des postes à attribuer à ses conseillers dans la prochaine structure du Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP)- parti unifié à mettre en place dans les mois à venir.
Pour nombre d’observateurs, la rencontre Soro- Ouattara s’inscrit parfaitement dans le droit fil de l’esprit de la 3è République, telle qu’issue de la nouvelle Constitution d’octobre 2016, dont le concepteur n’est autre qu’Alassane Ouattara, qui par cette démarche, tente d’ancrer la profonde tradition de paix et de dialogue, longtemps inculquée par le père de la nation ivoirienne, Félix Houphouët-Boigny. Il s’agit aussi pour Ouattara, expliquent-ils, de cette volonté de protéger et faire prévaloir, en toute priorité, le Bien commun, la paix et la prospérité, et de reléguer au dernier rang, toutes les ambitions égocentriques, la rancœur, ou encore les rumeurs empoisonnantes qui depuis des mois, ne font qu’envenimer l’atmosphère et ternir l’image de la Côte d’Ivoire au plan international.
Ceci dit, la rencontre Soro- Ouattara répond parfaitement à cet impératif de préserver les intérêts collectifs de l’ensemble des Ivoiriens surtout que l’année 2017 a été si « éprouvante » et loin d’être de tout repos pour le régime Ouattara d’abord, sur le plan sécuritaire, avec des mutineries en série des militaires de janvier à mai derniers, démontrant que la Côte d’Ivoire n’a pas encore réussi à panser ses blessures et à rompre avec les défis sécuritaires. Une situation sécuritaire fragilisée davantage, par des attaques à répétition contre des commissariats, des brigades et des points de contrôle des forces de l’ordre et la disparition de lots d’armes, mais aussi par la prolifération des agressions perpétrées par des enfants en conflit avec la loi, communément appelés des « Microbes ». Une liste à laquelle viennent s’ajouter les conflits intercommunautaires.
Et comme on dit, ‘’un malheur ne vient jamais seul’’. La conjoncture économique n’était pas du tout favorable, et est venue se greffer à une situation sécuritaire précaire, notamment avec un effondrement drastique des prix du Cacao, ayant altéré, lourdement, la capacité d’investissement de l’Etat, mais aussi les revenus des producteurs, pour créer un climat de malaise général. Sur le plan social, les remous et les grèves intempestifs des fonctionnaires,…. des étudiants viennent à, leur tour, meubler le décor et mettre les pouvoirs publics en place, dans une situation d’inconfort. Autre point très important sur le plan politique, a été la montée en épingle des rumeurs contre Soro et ses proches, que certains ont tenté par tous les moyens, d’accuser d’être l’instigateur des troubles au sein de l’armée, alors même que le patron de l’hémicycle avait placé depuis le 3 avril 2017, son mandat sous le signe du Pardon et de la Réconciliation entre tous les Ivoiriens.
Et c’est bien lui, d’ailleurs, qui avait déclaré solennellement, son intention de se rendre à la Haye pour demander pardon à l’ex-président ivoirien, Laurent Gbagbo, poursuivi par la Cour Pénal Internationale (CPI). Des accusations, certes, fâcheuses à l’encontre du PAN mais qui se seraient lourdement aggravées, lorsque Guillaume Soro avait manqué au rendez-vous (3è Congrès National) du RDR tenu les 9 et 10 septembre 2017, au motif qu’il n’a pas été associé aux préparatifs de cette grand-messe. Toujours sur la scène politique, les frictions permanentes entre les cadres du RDR et du Parti Démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), vieille formation politique ivoirienne au sujet des prochaines échéances de 2020, sont venues détériorer davantage la situation, et plonger le pays dans un climat de doute et d’incommodité.
En définitif, il convient de signaler que Guillaume Soro, en adoptant cette approche, a prôné la paix, la réconciliation et le règlement pacifique des conflits, empruntant ainsi la voie de son doyen, Alassane Ouattara qui depuis Niamey a, lui aussi, opté, pour la voie de la sagesse lorsqu’il a tenu à rappeler le 24 octobre 2017 qu’« il a tout loisir de s’entendre avec Guillaume Soro, puisqu’il le connaît et qu’une relation de confiance les a toujours liés ». D’ailleurs, la formule ‘’il ne saurait y avoir de crise entre le Président de l’Assemblée et moi’’ laisse entendre davantage cette certitude que la brouille que certains évoquent dans le rapport Ouattara-Soro, a désormais vocation à disparaitre.
Commentant cette rencontre, Franklin Nyamsi, professeur agrégé de philosophie à Paris a dans un Edito, écrit que ‘’cette audience dit que le Président de la République et le Président de l’Assemblée Nationale savent qu’ils sont mis en demeure, par la majorité de leurs concitoyens, d’accomplir les promesses de sécurité, de paix, de justice et de prospérité. Comment ne pas saluer cette haute conscience des intérêts supérieurs de la nation ?’’, s’est-il interrogé. Et de conclure qu’en recevant Guillaume Soro en audience, le Chef de l’Etat confirme qu’il n’y a aucun crédit à donner aux accusations de déstabilisation de l’Etat que certains ont cru pouvoir faire porter au Chef du Parlement. Ensemble, les deux hommes d’Etat mettent donc un vigoureux coup d’arrêt aux prétentions (…) de tous bords à jouer à la balle comme le ferait le diable avec l’âme de ce pays. Et c’est toute la Côte d’Ivoire qui gagne.
La Côte d’Ivoire a, certes, franchi de grands pas en termes de stabilité mais aussi de développement et ce, en dépit d’une conjoncture économique morose en 2017, d’où l’impératif de faire entendre la voix de la raison et de la sagesse, pour que l’échéance 2020 soit un tremplin vers la consolidation des acquis et l’entrée dans l’ère de l’émergence par la grande porte, comme le désir de tous ses vœux, le président Ouattara.