Aurons-nous une pénurie de blé au Maroc à cause de la guerre en Ukraine ?
Par Abdelaziz Rhezali, Expert agricole.
L’Ukraine est un grenier du blé de la mer noire produisant une moyenne annuelle de 26.6 millions de tonnes dont 20 millions sont exportées. L’invasion de l’Ukraine, par la Russie, pourrait avoir des retombées négatives sur l’approvisionnement de plusieurs pays considérés des importateurs nets du blé. A vrai dire, un total de 16 pays africains dépendent du blé russe et ukrainien, soit une population estimée de 374 millions d’habitants qui se nourrit des productions de blé en provenance de la Russie et de l’Ukraine. A l’égard de plusieurs pays africains, le Maroc est aussi un net importateur du blé puisque la production nationale demeure insuffisante pour pallier aux déficits chroniques de production de cette denrée de base. Devancé par l’Égypte et l’Algérie, Les indicateurs classent le Maroc le troisième importateur du blé à l’échelle africain.
Le blé, une denrée alimentaire de base, est considéré un aliment stratégique à l’échelle nationale. Les stratégies de l’Etat visent à assurer une sécurité alimentaire de ce produit. Le Plan Maroc Vert (PMV), la stratégie du Maroc en agriculture entre 2008 et 2020, a tissé un objectif d’assurer une production annuelle moyenne en céréales de 70 Millions de quintaux. Un objectif qui s’est heurté à plusieurs reprises aux aléas climatiques, en l’occurrence des années de sécheresse qui impactent négativement la production nationale, puisque la plupart des superficies emblavées en blé sont conduites en Bour. Durant les années de sécheresse, le Maroc ouvre ses frontières devant le blé en provenance de l’étranger, tout en baissant les tarifs douaniers, afin d’alimenter le marché national et assurer un flux d’approvisionnement continu en cette denrée stratégique.
L’année de 2022 est une année exceptionnelle pour le Maroc et pour les autres pays qui dépendent de l’étranger pour s’approvisionner en blé. Une année marquée par une guerre entre deux grands exportateurs du blé à l’échelle internationale, et un déficit pluviométrique qui causerait une chute conséquente en rendement des céréales. D’autre part, le monde fait face au défi de subvenir aux besoins accrus des populations en céréales. Des projections prévoient, qu’à l’horizon de 2050, la demande internationale en blé augmenterait de 70%. Devant cette situation, le lecteur se pose des questions légitimes sur la capacité de notre pays à assurer un approvisionnement en blé. Autrement dit ; la capacité du Maroc à assurer une sécurité alimentaire est à interpeler dans une conjoncture internationale qui exige de repenser nos politiques agricoles afin d’éviter, une calamité pouvant nuire au futur du pays.
A court terme, la probabilité d’avoir une crise de blé à l’échelle nationale est très minime. En effet, le Maroc a diversifié ses approvisionnements en blé en important le blé dur du Canada, et le blé tendre de l’Ukraine (25 %), la Russie (11 %), la France (40 %) et les Etats Unis (10 %). Cette diversification est une politique sage de la part des décideurs qui donnerait son fruit en évitant au Maroc une rupture soudaine en approvisionnement en blé.
A long terme et devant une situation à l’échelle internationale caractérisée par une croissance de la demande en blé, l’image de l’évolution du marché du blé au Maroc n’est pas claire. Dans ce sens, les politiques publiques devraient tisser un plan pour assurer une souveraineté pour les produits alimentaires de première nécessité (céréales, huiles végétales, sucre). Cette souveraineté alimentaire doit mettre l’accent sur les besoins alimentaires du peuple ; la sécurité alimentaire ; le savoir-faire cumulé dans l’agriculture ; une utilisation rationnelle des ressources naturelles ; une amélioration des capacités de l’agriculture paysanne ; et le développement de la recherche agronomique dans le pays. Le but ultime étant de minimiser les importations des denrées de base qui pèsent très lourd sur la balance commerciale du pays et freinent la croissance économique.