Avant d’annoncer sa candidature à un second mandat, Biden s’éloigne-t-il de la gauche ?
Le président américain, Joe Biden, multiplie dernièrement les déplacements à travers le pays. A chaque étape, il défend son programme et son projet de budget pour le prochain exercice fiscal qui commence le 1er octobre prochain.
Ce projet approche les 7 mille milliards de dollars, et les républicains l’ont déjà rejeté comme trop excessif pour réduire le déficit qui se creuse. Le document contient de généreuses enveloppes pour les programmes sociaux.
Au Nevada, Biden a annoncé une réduction du prix des médicaments. A Philadelphie, s’adressant à ceux qui pendant des décennies avaient été invisibles et ignorés, le président démocrate de 80 ans a dit : «Plus jamais, je vous le promets. Je vous vois».
Voilà donc qui devrait réjouir les progressistes, mais alors pourquoi ont-ils aujourd’hui le moral bas ? Plusieurs mesures que Joe Biden a prises récemment expliquent les raisons de leur inquiétude, après deux années où ils avaient été dorlotés par l’administration démocrate.
Première désillusion: Joe Biden abandonne le District de Columbia qui souhaitait changer son code criminel, assouplissant les peines pour un certain nombre de délits. Le conseil municipal avait voté pour, mais la maire de la capitale fédérale, l’afro-américaine Muriel Browser, s’y était opposée, estimant que ce n’était pas le moment alors que la criminalité augmente. Comme le district de Columbia n’est pas un Etat -ce qu’il essaie de devenir depuis des décennies-, il est sous le contrôle du Congrès. Les républicains qui sont maintenant majoritaires à la Chambre des représentants avaient prévenu que si le conseil municipal approuvait le changement, ils voteraient contre. Joe Biden pour sa part avait dit que si les républicains rejetaient la décision du conseil, il mettrait son veto à la loi. Or, il a laissé passer cette législation tuant le projet du District sans s’y opposer.
Ce soudain revirement a été ressenti par les membres du conseil et par les progressistes comme une véritable trahison.
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Mais la gauche n’était pas au bout de son amertume. Deuxième coup au plexus, l’immigration. Bien que le flux de migrants ait diminué depuis l’année dernière, la Maison Blanche parle de rouvrir des centres de détention pour les familles, avec la promesse qu’ils soient plus humains que ceux en place sous l’administration Trump. Ces cages grillagées avaient alors indigné le monde. Autre projet rappelant l’ère de son prédécesseur, l’obligation pour ceux qui essaient de venir aux Etats-Unis de demander l’asile à un pays tiers, ce que le candidat Biden avait dénoncé avec force lors d’un débat avec Donald Trump en 2016. Les hispaniques et les activistes pro-immigration grincent des dents devant la possibilité d’une reprise de ces politiques.
Le knock-out final a frappé les écologistes: L’homme qui avait rejoint les accords de Paris sur le climat, proposé dans son plan «Reconstruire en mieux » le plus ambitieux budget pour lutter contre les effets des gaz a effet de serre, 350 milliards de dollars, est le même qui vient de se renier en approuvant de nouveaux forages dans le nord-ouest de l’Alaska par la compagnie pétrolière ConocoPhillips.
Même si la zone d’exploitation est moins grande que celle approuvée par Trump, elle n’en représente pas moins un danger sérieux pour l’environnement.
Selon l’agence américaine de protection de l’environnement (EPA), les forages lâcheront dans l’air l’équivalent d’émissions de 64 centrales à charbon, ou 239 millions de tonnes de Co2. «Une véritable bombe carbone» peste Greenpeace, alors que la colère monte chez les «Verts» et que les pétitions se multiplient pour stopper un projet qui devrait produire près de 600 millions de barils sur 30 ans, rapporter 8 milliards de dollars au gouvernement fédéral et à l’Etat de l’Alaska, et créer 2500 emplois.
En l’espace de quelques semaines, Biden a réussi à mécontenter trois groupes électoraux importants pour sa réélection, s’il se représente, ce qui semble quasi certain: les noirs du District de Columbia, les hispaniques et les environnementalistes. Les analystes voient dans ces décisions, non pas un abandon de la gauche, mais un acte de pur pragmatisme. Joe Biden sait que les démocrates sont vulnérables sur la question de la criminalité. La maire démocrate de Chicago n’a pas été réélue faute de n’avoir pas réduit les homicides et autres crimes qui affectent sa ville. Les Américains en général font plus confiance aux républicains pour faire respecter l’ordre et la loi. Biden veut leur prouver qu’un démocrate peut lui aussi être un bon sheriff.
L’immigration incontrôlée est également une autre vulnérabilité des démocrates, accusés par l’opposition d’avoir une frontière qui est une passoire. Plus de deux millions et demi de migrants sont rentrés illégalement aux Etats-Unis l’an dernier, un million de plus qu’en 2021. Avec la levée en mai des restrictions sanitaires (l’article 42) imposées pendant la pandémie du Covid, de nouveaux flux sont attendus. Le locataire de la Maison Blanche espère par une politique plus stricte endiguer le flot.
Sa décision sur le climat est plus surprenante. Mauvaise pour l’environnement, elle pourrait néanmoins avoir des effets économiques (mais aussi électoraux) bénéfiques en réduisant la dépendance aux sources d’énergie étrangères. Et aussi le coût de l’essence pour le consommateur.
En donnant un petit coup de barre à droite, Joe Biden a pu momentanément offenser les sensibilités d’une gauche dont il sait par ailleurs que le jour de l’élection, elle ne pourra que voter pour un démocrate. Ce qu’il vise maintenant, c’est d’attirer, avec un discours plus centriste, les « swing voters », ces électeurs qui peuvent faire pencher la balance d’un côté comme de l’autre. Ce fut le cas par exemple en 2016 quand ceux de l’Arizona, Etat traditionnellement républicain, ont contribué à sa victoire. Cet habile calcul d’un vieux routier de la politique vaut bien quelques larmes des amis de Bernie Sanders.
Avec MAP