Baccalauréat 2024 : Une réussite paradoxale ou une illusion de succès ?

En cette période estivale, des milliers de bacheliers à travers le pays se préparent à franchir une étape cruciale de leur vie, marquée par le passage de l’enseignement secondaire à l’enseignement supérieur. Cependant, derrière les sourires éclatants et les festivités, se cache une réalité complexe et troublante qui mérite une analyse sans concession.

En effet, cette année, les résultats du baccalauréat 2024 ont pris de court tout le monde. Alors que les parents, inquiets, redoutaient une année blanche à cause des grèves successives, surprise ! Les résultats ont déconcerté tout le monde, avec un taux de réussite atteignant 67,8 %, soit une augmentation significative par rapport aux 59,8 % de l’année précédente ! Cette hausse de 8 points est d’autant plus étonnante que l’année scolaire a été marquée par presque trois mois de grèves ayant gravement perturbé le calendrier scolaire et mis en péril l’achèvement des programmes d’études. Comment expliquer alors cette réussite apparente et éclatante dans un contexte aussi chaotique ? Est-il réaliste de penser que la simple prolongation de l’année scolaire d’une semaine a pu, par miracle, compenser le manque de cours durant les mois de grève ?

D’autant plus que les élèves, bien que satisfaits de leurs résultats, sont confrontés à des questions cruciales sur la qualité de leurs acquis, en particulier, les élèves issus de l’enseignement public, qui ont suivi leurs cours dans des conditions loin d’être idéales. Sont-ils véritablement prêts pour l’enseignement supérieur ? Quand on voit que 54 % des lauréats ont réussi leur bac avec mention, il est légitime de se poser des questions : avons-nous des élèves surdoués ou le système d’évaluation constitue-t-il un grand point d’interrogation ? Ces chiffres flatteurs ne doivent pas masquer les défis sous-jacents que notre système éducatif continue de rencontrer. Des études et évaluations internationales, telles que le programme PISA, placent nos écoles parmi les moins performantes au monde en matière de pensée critique et de compétences créatives. Le Maroc s’est classé ainsi au 71ᵉ rang en mathématiques, 79ᵉ en compréhension de l’écrit, et 76ᵉ en culture scientifique sur 81 pays. Ainsi les résultats du baccalauréat 2024 ne doivent pas nous berner. Les véritables défis se présentent après l’obtention du diplôme, lorsqu’il s’agit de choisir un chemin qui correspond véritablement aux aspirations des élèves.

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Il est donc du devoir du ministère de tutelle, qui à coup sûr, n’a pas de baguette magique pour assainir toutes les séquelles de longues années d’essais de laboratoires dont l’éducation nationale a toujours été l’objet en cinq ans seulement, de mettre au moins les jalons pour transformer ce système pour qu’il devienne une véritable rampe de lancement pour tous les jeunes de notre pays, indépendamment de leur origine sociale. Le concept d’« écoles de leadership » doit aller au-delà des discours et se concrétiser par des actions concrètes et audacieuses visant à préparer adéquatement les élèves à l’enseignement supérieur et à la vie professionnelle. Dans ce sens, il est impératif d’intégrer des méthodes pédagogiques innovantes et de renforcer les compétences critiques et créatives des élèves pour les préparer aux défis du monde moderne.

L’illusion des statistiques et la réalité amère des bacheliers

Nos bacheliers, bien qu’ayant réussi leurs examens, se trouvent confrontés à une incertitude paralysante quant à leur avenir académique et professionnel. Sont-ils réellement armés et outillés pour affronter la prochaine étape de leur vie ? Cette question est au cœur de nos préoccupations, surtout après une année marquée par des grèves successives qui ont perturbé le déroulement normal des cours.

Force est de souligner que notre système éducatif, se concentrant essentiellement sur l’éducation de base, ne prépare pas suffisamment les élèves à l’enseignement supérieur ou à la vie professionnelle. Cette approche cloisonnée crée des problèmes d’orientation, obligeant les étudiants à choisir des parcours par défaut, souvent en contradiction avec leurs aspirations profondes. Le paradoxe est d’autant plus frappant : alors que les statistiques officielles montrent que 75 % des élèves du primaire ne parviennent pas à comprendre un texte simple, et que le Maroc est classé parmi les derniers pays en termes de pensée critique et de compétences créatives, comment expliquer ces résultats ?

Cette situation est d’autant plus paradoxale que notre pays consacre 24 % de son budget national à l’éducation, une proportion impressionnante en comparaison internationale. Malgré cet investissement colossal, le système éducatif produit, année après année, des cohortes de jeunes diplômés confrontés au chômage et à la frustration. Ce secteur, depuis des décennies, a été l’objet de calculs politiciens successifs, restant rebelle à toute réforme moderne et incapable de s’aligner sur les exigences de la nouvelle réalité mondiale.

Il est, par ailleurs, crucial de ne pas se laisser berner par des chiffres flatteurs. Les véritables défis se présentent après l’obtention du baccalauréat, lorsqu’il s’agit de choisir un chemin qui correspond véritablement aux aspirations des élèves. Ces chiffres doivent interpeller le Ministre de l’Éducation nationale. On parle souvent d’une école performante et de leadership, il est temps de reconnaître les insuffisances d’un système qui, malgré des réformes incessantes, n’a pas su évoluer pour répondre aux attentes et besoins réels des élèves. Le discours de Sa Majesté le Roi en 2015 lors de la fête du Trône soulignait déjà que ce n’est pas une question de budget ou de volonté politique, mais une crise plus profonde de nature humaine et systémique.

Le succès apparent des bacheliers de 2024 ne doit pas nous faire perdre de vue les lacunes profondes de notre système éducatif. Les réformes doivent aller au-delà des mots et des chiffres, visant à créer un environnement éducatif qui prépare les élèves non seulement à réussir leurs examens, mais aussi à s’épanouir et à exceller dans la vie professionnelle et personnelle. Il est temps d’agir pour briser les chaînes de la discrimination et donner à chaque élève les moyens de réaliser ses aspirations. Pour une école de qualité pour tous dont les responsables qui se succèdent font leur slogan de mandat, il est impératif de repenser notre système éducatif en profondeur, d’intégrer des méthodes pédagogiques innovantes et de renforcer les compétences critiques et créatives, point de grande faiblesse, de nos élèves pour les préparer aux défis du monde moderne.

Certes, les réformes se multiplient et se succèdent mais sans qu’elles ne donnent aucun résultat tangible. Ce n’est nullement une affaire de budget ou d’une « réforme de la réforme » comme cela a été souligné par Sa Majesté le Roi dans son discours à l’occasion de la fête du Trône prononcé le 30 juillet 2015. Ce n’est nullement un manque de volonté politique pour changer de système ou s’ouvrir sur les langues. Notre défaillance est plus grave, elle est humaine, car notre système produit des citoyens qui n’exercent pas les métiers qu’ils aiment. Des citoyens qui ne sont pas en phase avec leurs aspirations et ne font pas ce qu’ils ont envie de faire. Des citoyens brisés dans leur élan dès le départ par manque d’orientation, de moyennes insuffisantes ou de moyens financiers, démotivés, déchirés, dégoûtés même… Ils sont victimes d’un système dont on ne cessera jamais de dénoncer l’incohérence et l’aveuglement.

En somme, il est temps de passer des discours aux actes. La notion de leadership, souvent mise en avant dans les allocutions des responsables, doit se traduire par des mesures concrètes visant à renforcer la qualité de l’enseignement et les conditions de travail des enseignants. Il est crucial de garantir la stabilité du calendrier scolaire et d’assurer un environnement propice à l’apprentissage, même en période de crise.

Le constat est juste amer. Nos jeunes, les femmes et hommes de demain, sont dépouillés de leur sentiment de sécurité et de confiance, ce qui affecte sans conteste leur patriotisme à tel point qu’ils lorgnent d’autres cieux pour un avenir sûr et meilleur. Or le futur de notre pays dépend d’eux.

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