Ben Bella, la révolution algérienne trahie
Celui qui a incarné en juillet 1962 les premières heures du pouvoir révolutionnaire en Algérie est mort le 11 avril 2012, il y a cinq ans jour pour jour à l’âge de 96 ans . Il s’était battu contre le sort. Il s’appelle Ahmed Ben Bella, premier président de la République algérienne indépendante.
Né de parents marocains, il n’était devenu algérien qu’en 1962, une fois entré en Algérie libérée. Il a traversé le XXème siècle comme un météore trépidant avant d’atteindre à la fin de sa vie à une sagesse quasi socratique. Il avait gouverné de manière autoritaire le pays de juillet 1963 à juin 1965, lorsque le colonel Houari Boumedienne, son vice-premier ministre chargé de La Défense et « dauphin » désigné, le destitua le 19 du même mois, l’emprisonna des années durant avant de le libérer sous la pression internationale.
Son expérience à la tête de l’Etat algérien fut plus courte et expéditive que celle du militant nationaliste qu’il n’avait jamais cessé d’être. Dans les géôles de Boumedienne, il médita à coup sûr longtemps sur le sens de la révolution algérienne, confisquée et trahie.
Le pouvoir militaire qui, dans le sillage d’un brutal « pronunciamiento » , s’est substitué au sien, a transfiguré le visage d’une Algérie à peine sortie des ravages de la guerre. Sur le même modèle stalinien, le colonel Boumedienne, tout à sa rage de concentrer tous les pouvoirs, força à son tour ses compagnons de lutte et leaders algériens à l’exil, notamment Mohamed Boudiaf qui a trouvé refuge au Maroc, faisant ensuite assassiner beaucoup d’entre eux.
Enfermé dans une prison à Alger, pendant près de quinze ans, Ahmed Ben Bella ne présentait aucun danger pour le pouvoir militaire. Les jeunes générations méconnaissaient jusqu’à son existence et son nom ! Cependant , à peine arrivé au pouvoir , Ben Bella lança l’Algérie dans une guerre, la première contre le Royaume du Maroc à Hassi Messaoud. Une confrontation armée que le Maroc avait subie sans jamais en comprendre les réels tenants et aboutissants, appelée « La Guerre des sables »…et au cours de laquelle les Forces Armées Royales ( FAR) infligèrent à l’armée algérienne une sévère et cuisante défaite.
On peut, en effet, soutenir, sans pour autant verser dans la paranoïa , que la méfiance des dirigeants algériens à l’égard du Maroc date de cette mésaventure et expliquera, à coup sûr, leur irascible propension territoriale expansionniste des années suivantes.
Sans doute, devrait-on justifier l’éditorial que nous publions ici par l’importance que cet homme incarna aux yeux de notre pays, dont le sort – même rétrospectivement – ne saurait laisser personne indifférent. Elle s’explique à deux niveaux : celui de la confiscation militaire d’une révolution qui incarnait l’idéal du peuple algérien, après plusieurs années de guerre et de sacrifices. Celui ensuite du sort ironique d’un homme qui aura passé le plus clair de son temps à combattre pour la liberté pour finir dans les oubliettes capricieuses de l’Histoire.
Après sa relaxe en 1979, Ahmed Ben Bella a retrouvé sa liberté relative de mouvement, il s’était rendu au Maroc, qui avait autrefois constitué pour le FLN ( Front de Libération National) l’arrière-pays de résistance à l’occupation. L’émotion, mêlée à l’interrogation politique, ne l’empêcha point de prendre la mesure des choses : avec une prudence à toute épreuve, « mezzo voce » , il déplora simplement que la fraternité maroco-algérienne n’ait pu surmonter les égoïsmes des pouvoirs et la question du Sahara n’ait pu trouver une issue dans le cadre d’une convergence entre les deux pays. Au-delà, il voyait, non sans une lucide tristesse, plonger son pays dans les affres du terrorisme téléguidé et de la dictature.
Avocat intrépide du Maghreb et de l’unité des peuples arabes et musulmans, il ne pouvait, en revanche, qu’assister impuissant à la montée des périls, à la fois dans son propre pays et dans la majorité des Etats de la région. On ne saurait dire ce que serait devenue l’Algérie, si son tout premier dirigeant n’avait pas connu le sort tragique qui lui a été réservé, s’il était demeuré à la tête de l’Etat indépendant, si, inspiré d’une démarche fondamentalement stalinienne, il avait instauré – comme il l’affirmait – un « socialisme algéro-algérien », autoritaire et implacable. Adepte du « nassérisme », il a fini par plaider un certain islamisme auquel, l’âge aidant, il consentit beaucoup.
Ben Bella est décédé un 11 avril 2012 alors que Bouteflika qui ne représentait rien à ses yeux en était à organiser son quatrième mandat dans une Algérie qui voyait son leadership s’enliser dans un arrogant expansionnisme et ses revenus pétrolier chuter et fondre comme la neige sous le soleil !