Benkirane-Akhannouch : L’impasse en face-à-face ?
CE QUE JE PENSE
Bienvenue dans l’arène politique marocaine où le débat ressemble davantage à un mauvais remake de tragédie grecque qu’à une réflexion sérieuse sur l’avenir du pays. D’un côté, l’ancien chef de gouvernement, Abdelilah Benkirane, le virtuose du populisme émotionnel, leader du Parti de la Justice et du Développement (PJD), maniant les mots comme des missiles. De l’autre, l’actuel chef de l’Exécutif, Aziz Akhannouch, technocrate en chef, imperturbable mais aussi distant qu’une étoile filante.
Et nous, spectateurs passifs, nous regardons ce théâtre absurde où les vrais problèmes qui minent notre pays sont négligés : un système éducatif en crise, une santé publique en déclin, des inégalités sociales croissantes, une économie étouffée par l’inflation et une gestion des ressources hydriques qui crie son mal. Ces problématiques vitales, qui devraient constituer le cœur du débat public, sont reléguées dans l’ombre, sacrifiées sur l’autel de stratégies partisanes, de querelles superficielles et des affrontements d’ego.
Faut-il le rappeler ? Depuis sa réélection en 2021 à la tête du parti de la Lampe, après une débâcle électorale historique de son parti lors du triple scrutin, Benkirane s’emploie à ressusciter le PJD en capitalisant sur les frustrations populaires. Fidèle à sa stratégie, il multiplie les sorties médiatiques, jonglant entre polémiques et attaques ciblées.
Benkirane : Le retour du showman
Après une traversée du désert, l’ancien chef de gouvernement revient en quête de reconquête, plus mordant que jamais. Avec sa voix de stentor et ses piques bien affûtées, il s’érige en chevalier blanc face à un gouvernement qu’il décrit comme une machination des élites déconnectées, surfant sur la vague de mécontentement pour dérouler une campagne électorale implicite, mais prématurée. Sa cible favorite ? Aziz Akhannouch, leader du Rassemblement National des Indépendants (RNI) et chef de l’exécutif, qu’il accuse de tous les maux, du « vol des veuves » au conflit d’intérêt en passant par le délit d’initié notamment autour du projet de la station de dessalement de Casablanca, où « le chef du gouvernement se retrouve juge et partie ». On le sait tous : Benkirane maîtrise l’art de semer le doute et de raviver la colère populaire mais derrière ce feu d’artifice verbal se cache un désert d’idées, ses grandes solutions brillent par leur absence. En fait, son discours ressemble à un plat réchauffé où l’émotion remplace la substance. Pourtant, il captive encore. Pourquoi ? Parce que les frustrations populaires, elles, n’ont jamais pris de vacances.
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Sa récente croisade contre la réforme de la moudawana illustre son talent pour mobiliser l’opinion en jouant sur des thématiques émotionnelles et identitaires. Son retour est une manœuvre politique bien calculée, lui qui dépeint ses adversaires comme des « modernistes » menaçant l’identité de la société marocaine et, dans un crescendo dramatique, alimente la peur d’un effondrement des fondements sociaux tout en cultivant l’image d’un défenseur des « opprimés » face aux « élites déconnectées ». Mais derrière cet arsenal rhétorique se cache cependant une réalité inquiétante. Sa stratégie est claire : frapper fort, polariser le débat et se poser en gardien des valeurs religieuses et traditionnelles. Derrière ses prises de parole, se cache une tactique : maintenir une présence médiatique forte et poser les jalons d’une campagne électorale à peine voilée. Son grand rire sonore, ses accusations à l’emporte-pièce et son langage tranchant captivent les foules, mais sèment aussi la controverse. En exploitant les frustrations populaires et en jouant habilement sur les émotions et les peurs, il parvient à rester au centre de l’attention médiatique et politique, en usant et abusant pour consolider l’idée qu’il reste l’un des rares véritables opposants dans le paysage actuel.
Akhannouch : La technocratie à bout de souffle
Face à ce rouleau compresseur populiste, Aziz Akhannouch, toujours sérieux, tente de maintenir le cap. Son problème ? Il gouverne le pays comme une entreprise. Sa communication semble issue d’un guide pour dirigeants d’entreprises multinationales, plus intéressés par les bilans économiques flatteurs que par les drames du quotidien des Marocains. Aussi incarne-t-il une gouvernance technocratique qui peine à convaincre. Souvent critiqué pour son style distant et son manque d’aisance dans les débats publics, -pourtant beaucoup plus en assurance dans les réunions internes de son parti-, le chef du gouvernement subit les attaques de Benkirane sans véritablement les contrer. Ce qui alimente les critiques et les soupçons autour de son implication dans des projets économiques d’envergure, où il est jugé partie prenante par ceux qui le pointent du doigt. Cette ambiguïté, soulignée avec vigueur par Benkirane, fragilise son image et nourrit la méfiance populaire.
Toutefois Aziz Akhannouch, lui, ne se sent pas vraiment concerné. Avec son parti, ils continuent de s’auto-féliciter dans un concert d’autosatisfaction, même face aux soupirs d’une classe moyenne en voie de disparition. Les inégalités se creusent, le pouvoir d’achat s’érode, mais, paradoxalement, c’est un autre refrain qui domine : celui de l’autoglorification. D’ailleurs les chiffres flatteurs et les promesses réchauffées peinent à masquer le vide d’un véritable projet politique. Et loin d’apaiser le mécontentement social, cette stratégie contribue à exacerber la perception d’un parti déconnecté des réalités quotidiennes. Ses initiatives, bien qu’ambitieuses sur le papier, manquent souvent de résonance auprès de l’opinion publique, laissant le terrain libre à son rival populiste pour occuper l’espace médiatique. Les grands discours sur le développement économique se heurtent à une réalité marquée par un pouvoir d’achat en chute libre et une frustration sociale croissante.
Un débat stérile : Le triomphe du vide
La rivalité entre Benkirane et Akhannouch, que tout oppose, a engendré une polarisation inutile, où le débat se limite à des querelles idéologiques et des accusations mutuelles. Et le véritable perdant ici, ce n’est ni Benkirane ni Akhannouch. C’est notre pays, pris en otage par un duel stérile où le bruit des slogans remplace le souffle des idées. Les défis stratégiques disparaissent derrière le vacarme de ces affrontements. Bien entendu, à l’approche des élections, ce duel monopolise l’espace médiatique, éclipsant les partis historiques, réduits au silence ou à l’insignifiance. Et pendant ce temps, les vrais défis – inflation galopante, éducation à la dérive, ressources hydriques en danger – attendent désespérément leur moment sur la scène. Ainsi la rivalité qui oppose Abdelilah Benkirane et Aziz Akhannouch, bien que bruyante, n’est qu’un écran de fumée masquant une réalité bien plus alarmante : l’effondrement du paysage politique marocain dans un vide abyssal. Cette confrontation réduit la pluralité démocratique à une simple opposition binaire.
Les partis historiques, naguère porteurs de visions et de projets ambitieux, sont réduits au silence, laissant le champ libre à ces deux forces. Leur silence face à des enjeux cruciaux est une abdication qui menace la pluralité démocratique. Or une démocratie saine repose sur une pluralité d’opinions, une confrontation d’idées, et une représentation équilibrée des aspirations populaires. Inutile de dire que si les partis continuent de céder leur rôle aux deux protagonistes actuels, ils trahiront non seulement leurs électeurs, mais également les principes fondamentaux du système démocratique. Dans ce contexte, la campagne du PJD a pris de l’avance sur ses concurrents. Revigoré par un discours centré sur l’approche participative, le parti tente de remobiliser ses militants en mettant en avant des thématiques clés, comme la réforme de la moudawana, qui promet d’être au cœur de leurs batailles électorales.
Or le Maroc traverse une période charnière. Et non, ce n’est pas avec des joutes oratoires arides ou des promesses économiques vides qu’on bâtira un avenir solide. Ce duel, aussi bruyant soit-il, masque une vérité plus sombre : un système politique à bout de souffle, incapable de se renouveler. Si les acteurs politiques ne se réveillent pas, nous risquons de troquer notre pluralité démocratique pour une comédie où les électeurs n’auront d’autre choix que de choisir entre deux maux.
Conclusion ? Il est impératif de réanimer la scène politique, de redonner voix à des propositions novatrices et de replacer les citoyens au centre des débats. Il faut que les acteurs politiques se réveillent. Le Maroc traverse une période critique où la pluralité des idées et des projets est essentielle pour répondre aux attentes légitimes des citoyens. La démocratie ne peut se résumer à un duel stérile entre un populisme séduisant mais vide et une technocratie froide et distante. Le temps presse pour bâtir un avenir digne des ambitions du pays, ce pays qui mérite mieux.
Face au vide politique actuel, seuls ceux qui savent occuper l’espace public tirent leur épingle du jeu, mais cet activisme de façade ne construit pas l’avenir. Le Maroc ne mérite pas seulement mieux en slogan, mais mieux en actes.
Parce que oui, le Maroc mérite bien plus qu’un théâtre de postures.