Au Caire, le plus vieux zoo d’Afrique fait grise mine
Booba sautille de gauche à droite sous les ordres de son gardien qui le nourrit de fruits devant la foule hilare du zoo de Guizeh, au Caire. Mais l’exubérance du chimpanzé cache une réalité accablante: les conditions de vie des animaux dans le plus ancien zoo d’Afrique restent piteuses, malgré des améliorations récentes. Le zoo de Guizeh est né en 1891, d’un projet lancé au moment de l’ouverture du canal de Suez en 1869. Il s’étend sur plus de 34 hectares parsemés d’espèces végétales rares importées de divers endroits du globe.
Au milieu des eucalyptus, des palmiers et de plantes tropicales, un pont suspendu métallique conçu par le Français Gustave Eiffel témoigne encore d’une Egypte alors tournée vers la modernité et les connaissances scientifiques, y compris la zoologie. Quelque 4.500 animaux et 28 espèces différentes vivent dans ce zoo, représentant essentiellement la faune africaine, selon Mohamed Rajai, qui dirige l’Administration centrale des zoos. A l’ombre des grands arbres, des enfants lancent des morceaux de nourriture aux nombreux singes, essayant de provoquer une réaction susceptible de les faire rire.
D’autres s’amassent devant Naïma, une éléphante juchée sur un sol en bois et qui déploie sa trompe à travers la clôture en acier pour des friandises. L’atmosphère est joviale dans les allées, fréquentées par des familles. Pourtant le zoo n’a pas de quoi se réjouir: depuis 2004, il a perdu son accréditation auprès de l’Association mondiale des zoos et aquariums (Waza). « Nous souhaiterions qu’il y ait un environnement plus adapté pour les animaux. Ce n’est pas normal qu’un éléphant vive dans un espace étroit et sur un sol dur« , déplore Mona Khalil, qui préside l’Esma, la société égyptienne de protection des animaux.
Outre les espaces inadaptés non conformes, la présence d’une unité de photographie offrant aux visiteurs des clichés d’eux tenant un vautour ou un lionceau est vigoureusement critiquée. « C’est une violation des normes de traitement des animaux« , dénonce Mme Khalil. Non seulement les visiteurs sont mis en danger, mais ils peuvent aussi transmettre des maladies aux animaux. Quelques améliorations récentes ont certes eu lieu, notamment en terme d’hygiène. Un contrat a été signé avec une société de nettoyage et le site est ainsi devenu un peu plus propre, mais le sol reste toutefois jonché de déchets.
Mme Khalil salue aussi certains progrès pour le bien-être animal et notamment un espace ouvert pour les lions, avec de l’herbe verte qui rappelle leur environnement naturel. Mais il faudrait en faire bien davantage. Or l’argent manque. Selon M. Rajai, le budget annuel du zoo oscille entre 13 et 15 millions de livres (environ 700.000 euros), via la vente de tickets d’entrée. Mais « la plus grande part de ce budget est destinée à l’alimentation des animaux« , précise-t-il. Et le site ne bénéficie d’aucune subvention du ministère de l’Agriculture dont il dépend.
Alors les employés eux-mêmes se cherchent des revenus complémentaires. Leur salaire mensuel oscille entre 350 et 1.000 livres (17 et 48 euros), selon Khaled Oweis, qui y travaille depuis 22 ans. « Je cherche un nouvel emploi« , confie-t-il. Les gardiens du zoo, censés s’assurer du bien-être des animaux, se font des pourboires en autorisant les visiteurs, contrairement à la règlementation, à interagir avec eux. Dans un petit bâtiment abritant des hyènes en cage, un gardien se dispute avec un visiteur. Ce dernier tentait de le filmer alors que l’employé provoquait l’une des bêtes avec un bâton pour la faire grogner. « Tu essaies de prendre une vidéo pour la mettre sur internet et dire que je torture les animaux. Laisse-nous donc gagner notre vie!« , lui lance-t-il.
Pour améliorer la capacité d’accueil du public, le zoo qui emploie environ 150 personnes envisage d’augmenter ses effectifs de personnel, explique M. Rajai. Le public reste malgré tout au rendez-vous: environ 1,5 million d’Egyptiens et 200.000 étrangers visitent chaque année ce zoo, qui peut accueillir au printemps 84.000 personnes par jour, affirme Mohamed Rajai. Se rendre au zoo constitue une sortie peu onéreuse, avec un ticket d’entrée à cinq livres (25 centimes d’euro).
« Il est important que les tickets restent abordables, au regard de la situation économique« , estime Mohamed Khalaf, un visiteur âgé de 30 ans. Environ 28% des 94 millions d’Egyptiens vivent en-deçà du seuil de pauvreté, selon les derniers chiffres officiels de 2016. En quête de revenus supplémentaires, le zoo s’apprête à mettre en place un « véritable plan de reproduction des oiseaux, des mammifères et des reptiles » destinés à la vente, assure M. Rajai.
afp