Cali: « Je m’excuse… mais je ne m’excuse pas vraiment »
Le « Bic Art » est à l’honneur à la Galerie 38 de Casablanca, du 26 juin au 26 juillet 2018, avec l’exposition « Sorry for the Damage », de la talentueuse artiste française, Caroline Limousin, alias Cali. A l’occasion de ce grand rendez-vous artistique, l’ambassadrice du street art s’est confiée sur son parcours et ses orientations.
Qui est Cali, en quelques mots
Je suis une artiste française née à Nantes. Je suis issue du graphisme à la base. J’ai fait des études d’art appliqué. Le dessin a toujours été ma passion depuis toute petite et je savais que je voulais faire un métier créatif qui s’en rapprochait le plus possible. Après, de là à dire que j’allais devenir artiste ou peintre et en faire mon métier, on ne peut pas parier là-dessus. Parce que c’est quand même un gros pari et on ne peut pas savoir ce que la vie nous réserve. J’ai eu pas mal de chance, je pense. La bonne étoile comme on dit. Mais ce sont aussi des rencontres et des opportunités à prendre.
À quel moment vient le déclic qui vous permet de comprendre que vous pouvez vivre de cet art ?
Le déclic, je ne l’ai pas eu tout de suite. On m’a présenté au galeriste Simo Chaoui de la Galerie 38, alors que j’étais en vacances à Marrakech et tout est parti de là. De plus, le Maroc a été pour moi un tremplin. Artistiquement parlant, tout a commencé au Maroc, même si j’avais commencé à exposer dans le sud de la France, à Saint-Tropez, où j’avais fait quelques événements. Mais ce n’était pas encore mon métier, j’étais graphiste indépendante et je faisais de l’art à côté. J’ai donc signé très rapidement avec la BCK Art Gallery de Marrakech qui m’a proposé un contrat et une résidence artistique pendant un an, le temps de préparer mon exposition.
J’ai pris cette opportunité et je suis partie de Saint-Tropez où je vivais depuis sept ans, et je me suis installée à Marrakech. Mais je ne réalisais pas encore jusqu’à ce que je fasse le vernissage de la BCK Art Gallery un an après. C’est là que j’ai vu l’impact que cela pouvait avoir. Le fait que les gens soient très ouverts au Maroc sur le Street Art. Tout cela commençait vraiment à s’ouvrir et j’ai eu de la chance d’arriver à ce moment-là. Très vite ensuite, j’ai signé pour la Galerie 38 de Casablanca et c’était lancé. Et là, je me suis dit que c’est mon métier, c’est ce que je veux faire.
Dans votre art, vous vous servez de stylo, de colle, de papier journal, etc. D’où vous vient cette technique particulière ?
À la base, je suis une fanatique du Quattrocento Italien, de tout ce qui se rapporte à la renaissance. Donc le dessin, les détails des corps, les mouvements et les perspectives de cette époque sont des choses dont je me suis beaucoup inspirée pour apprendre à dessiner. Parce que pour savoir dessiner, il faut commencer par les choses académiques. Ensuite ce qui est le plus compliqué, c’est de trouver son identité. Tout ce qui est technique, comme l’utilisation du stylo Bic, c’est à l’école qu’on apprend ces choses. On découvre alors des matières, des médias, des supports. On essaie un peu tout, puis après, on se familiarise. Et vu que c’est le dessin ma passion, il me fallait des techniques qui me permettent de rester dans les détails.
Donc comment garder le dessin en passant au grand format ? C’était le gros problème de ma vie à une certaine période. Mais tout a véritablement commencé un jour en 2008, en Suisse, alors que j’étais au téléphone. Je faisais mon premier dessin au stylo Bic sur un journal, un dessin d’Obama, sans vraiment me rendre compte, sur l’instant, de ce que j’étais en train de faire. C’est en raccrochant que j’ai regardé et pris plus de recul. Je me suis dit alors que j’avais peut-être trouvé mon support. Je trouvais que l’effet était très graphique. Et maintenant, comment utiliser le journal ? J’ai décidé que j’allais le coller sur du bois et essayer de trouver quelque chose de présentable au niveau grand format.
L’utilisation de ces outils n’est-elle pas contraignante ?
Non, pas pour moi, dans la mesure où ce sont des outils faciles à trouver. Le pari était de faire quelque chose d’un peu extraordinaire avec des objets de la vie de tous les jours, qu’on peut trouver dans le pot à crayon de n’importe qui. De même qu’avec le journal et le bois qui sont très accessibles. Le but étant de montrer qu’avec des éléments très simples, on peut montrer notre vision du monde et faire des choses différentes.
Votre nouvelle exposition est dénommée « Sorry for the Damage », en français « Désolée pour le dommage ». De quoi vous excusez-vous ?
C’est très ironique. Je m’excuse, mais je ne m’excuse pas vraiment. Ma première exposition à Casablanca, c’était « Bic Me, I’m more famous », en réponse à celle de Marrakech « Bic Me, I’m famous ». Donc là, c’est pour moi une transition cette année, dans laquelle je ne suis plus dans les icônes où j’étais auparavant. J’ai beaucoup travaillé sur la starification, tout ce qui tourne autour de la célébrité, de l’identité. En fait, il y a toujours cette notion d’identité que je retrouve dans tout mon travail, où on a tout le temps besoin de se retrouver en quelqu’un, de se comparer. Maintenant, je suis dans une période où j’ai envie de dire ce que je suis, ce que je ressens par rapport à la société dans laquelle on vit, par rapport à tout ce que se passe.
Le monde médiatique nous renvoie des choses tellement négatives tous les jours. On est dans une sorte de gros boom, où on ne sait plus trop où se retrouver, dans un monde un peu ‘‘Fake’’, où tout le monde essaie de se trouver une image et paraître un peu diffèrent de ce qu’on est vraiment. Ce sont beaucoup de choses que j’observe dans la vie de tous les jours, que j’avais envie de retranscrire dans mon travail cette année. Donc « Sorry for the Damage » représente tout simplement le fait que, cette fois-ci, j’ai envie de dire ce que je vois, qui n’est pas forcément très joli. Je pense qu’il faut en parler et dédramatiser, c’est important. On n’est pas obligé de se prendre au sérieux à chaque fois qu’on parle de guerre, même si c’est très grave et qu’il y a des sujets dont il est difficile de parler. Mais j’avais envie d’aborder des sujets un peu plus profonds que mes dernières expositions, et toujours avec ironie et humour parce que c’est ma façon de les traiter.
D’où tirez-vous votre inspiration ?
L’inspiration est partout. Ça peut être les réseaux sociaux, des émissions de télé, les discussions avec les gens que je rencontre, les voyages et tout ce que j’entends, tout ce que je lis, tout ce que je vois. Ça peut être la mode, le design, l’architecture, etc. et même mon ancien métier de graphiste m’aide aujourd’hui dans ma façon de traiter les couleurs. Je pense que c’est cela la vie d’un artiste. On puise dans tout ce qu’on ressent. C’est une occasion pour nous de montrer que l’art est un tout.
Quels messages se cachent derrière vos œuvres ?
Je n’ai pas de messages précis. Ce sont des ressentis. Je pose des questions. De temps en temps, je peux donner l’impression de me positionner sur un sujet, mais ce n’est pas vraiment le cas, parce que n’ai pas forcement les réponses. Je pose des questions aux spectateurs, au public. L’intérêt est de susciter des réactions, qu’elles soient bonnes ou mauvaises. C’est le but du métier qu’on fait. On veut toucher les gens. Si on prend l’exemple d’un tableau comme la Marianne que j’ai reprise, c’est quelque chose qui me touche parce que je suis française et c’est l’époque où Paris a été touchée, mais il y a toujours cette petite notion d’espoir quelque part dans mes tableaux, qui nous dit que tout ira mieux demain.
Vous revenez durant un mois au contact des amateurs d’art casablancais, quelles sont vos attentes ?
C’est un come back to Casa donc pour moi, c’est une pression double dans le sens où je sais que je suis attendue. Et comme je suis partie sur un autre chemin où je propose quelque chose de différent de la dernière fois, évidemment, j’ai une pression différente et j’ai hâte de savoir la réaction des gens et de voir comment cette exposition est attendue. Ce que je peux espérer, c’est bien sûr de bonnes réactions, mais aussi montrer que le Maroc m’a fait grandir parce que c’est aussi grâce à ce pays que j’en suis là aujourd’hui.