Ce qu’il faut comprendre des nominations auxquelles le Roi Mohammed VI a procédé
Par Hassan Alaoui
Le Roi Mohammed VI a nommé lundi à Fès à des fonctions de haute responsabilité quatre personnalités, deux au niveau de la Justice, notamment Mohamed Abdennabaoui comme premier président de la Cour de cassation et président délégué du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire, Hassan Daki, Procureur général du Roi près de la Cour de Cassation et président du ministère public ; Madame Zineb El Adaoui au poste de Premier président de la Cour des comptes, enfin Ahmed Rahhou président du Conseil de la Concurrence. Ce dernier était jusqu’ici ambassadeur du Royaume du Maroc à Bruxelles, auprès de l’Union européenne.
Par ailleurs, conformément aux dispositions de l’article 115 de la Constitution qui lui attribue les prérogatives dans ce sens, le Souverain a reçu les cinq membres du Conseil supérieur de Pouvoir judiciaire. D’ores et déjà quelques remarques s’imposent ; elles portent sur la nomination de Madame Zineb El Adaoui qui illustre une avancée remarquable dans la vie gouvernementale et politique, puisqu’elle incarne l’une des deux premières femmes qui accèdent à une présidence constitutionnelle dans notre pays jusque-là réservée aux hommes. Ce n’est pas seulement une fonction, mais une mission et un précédent à ce poste.
Les nominations auxquelles le Souverain vient de procéder sont d’autant plus substantielles et significatives qu’elles constituent une sorte de « révolution » en douce. Elles interpellent le gouvernement et la société. Elles constituent, outre la volonté royale de baliser un champ de droit et de justice impérieux à toute efficacité, une série de signaux. Chaque personnalité nommée reflète un souci précis et nous rappelle cette formule anglo-saxonne de «right man in the right place ». Mohamed Abdennabaoui gravit donc l’échelon le plus élevé de la magistrature, sa mission étant désormais inscrite dans une exigence extrême : arbitrer à la tête de la Cour de cassation et faciliter l’accès de celle-ci aux citoyens. Nous savons déjà que la mission et la finalité de cette institution sera différente, ne sera plus la même. Ne serait-ce que parce que le Maroc moderne évolue, avance vite et le champ des affaires comme aussi des contentieux judiciaires forcément.
L’intégrité et la rigueur de Mohamed Abdennabaoui le devancent pour ne pas nous convaincre que sa nomination exprime la volonté de Sa Majesté le Roi de mettre la loi au service de la justice et celle-ci au service du peuple. Son successeur à la tête du Ministère public, Hassan Daki mettra pour sa part en œuvre la vision d’une justice efficace que le Souverain souhaite de tous ses vœux et dont il a lancé les axes de réforme profonde – on a tendance à l’oublier – déjà projetée en 2012.
La Cour de cassation sera donc, à coup sûr, appelée à trancher dans un environnement où la loi devrait être adaptée constamment à la vie économique notamment mais articulée une fois pour toutes sur le principe sacro-saint de justice. L’article 134 concerne l’inconstitutionnalité et sera de ce fait appliqué stricto sensu. Le président de la Cour de cassation et les membres de son équipe auront là aussi à redorer le blason d’une institution majeure, reine des tribunaux, dans la vie judiciaire nationale mais ternie quelque peu et surtout objet de sollicitations judiciaires fréquentes. Comme l’on dit, la justice n’est pas chargée de dire le vrai, mais le droit.
Une femme Première présidente de la Cour des comptes ? Voilà qui nous réjouit et nous interpelle. Wali et figure emblématique de l’Administration de l’Intérieur. De surcroît dans le sillage d’un Driss Jettou, qui n’a eu de cesse de mener un travail de pointage, appuyé sur des rapports éclairants dont la qualité première est la discrétion. Mme El Adaoui a donné les preuves de sa fermeté, une sorte de « main de fer dans un gant de velours», rigoureuse et volontariste. On en vient à Ahmed Rahhou, un polytechnicien de la première heure et lauréat de l’Ecole nationale supérieure des télécommunications de Paris qui, le sourire à peine détaché, a mené un travail colossal pendant ces dernières années. Il a dirigé de 2003 à 2009 le groupe Lesieur Cristal, et nommé ensuite par le Roi, il a redressé le CIH (Crédit immobilier et hôtelier) qui était naufragé, il a rempli sa mission à Bruxelles auprès de l’Union européenne, celle de soustraire le Royaume du Maroc de la sinistre « Liste grise », en somme il s’est acquitté avec panache de tâches qui lui ont été confiées.
Economiste et financier, Ahmed Rahhou aura à prendre en charge en particulier le lourd dossier du secteur des carburants, véritable serpent de mer dont un rapport a été étrangement soumis à l’arbitrage du Souverain. A tort ou à raison, la tâche du gouvernement n’était-elle pas de prendre en charge ce dossier et de le régler sui generis ? Quelqu’un nous a dit que le gouvernement à dominance islamique ne « se mouille pas », il préfère laisser la patate chaude aux autres… Or, les islamistes sont devenus les maîtres de l’art à couper les cheveux en quatre… Le Roi responsabilise donc, place chacun devant sa conscience et instaure une morale publique.