C’était Leila Mezian-Benjelloun…

Par Hassan Alaoui

Présidente entre autres de la Fondation BMCE-Bank pour l’Education et l’Environnement, femme engagée dans plusieurs combats, Médecin et ophtalmologiste pendant plus de 25 ans, à l’épreuve du feu ensuite pour la réhabilitation d’une école efficiente et « militante » de cette cause dans le monde rural notamment,  défenseure de la culture et du patrimoine national, Leila Mezian-Benjelloun s’est éteinte samedi 13 juillet à Rabat après avoir lutté avec force et un exemplaire courage contre la maladie.

On avait coutume de dire et d’écrire qu’elle était discrète et pudique, la voix si posée, aux accents ibériques, une conviction chevillée au corps, la sagesse socratique qui l’habitait, cette propension apparente – oui apparente – du recul et de la distance, tout le contraire du factice et de l’arrogance… On avait , aussi discrètement que le permettait le vol d’une feuille dans le ciel, appris sa souffrance et ses absences qu’elle assumait avec une grande et incomparable dignité, la douceur de sa voix portée haut et ne laissant jamais personne indifférent, sa détermination imprescriptible, sa force de caractère, ou tout simplement son combat sur des terrains difficiles, devenus l’essentiel de sa vie, cette irascible volonté de s’engager sur le front de l’éducation dans les terreaux inaccessibles des campagnes et des mosaïques sociales bigarrées !

C’était donc Leila, incarnation pro-domo de la lutte contre les formes d’injustice, de l’engagement au sens littéral – et littéraire – du terme, iconique qui n’a jamais sacrifié à quelque triomphalisme que ce soit, tirant sa force et sa conviction de la légitimité de son travail , de son viscéral attachement aux valeurs de l’éducation que ses parents lui ont inculquées : la défunte Fadéla Ammor et Mohamed Mezian, cette figure emblématique du « soldat », militaire décoré de la première heure, connu pour être le seul maréchal de l’armée au Maroc , celui qui fut le premier compagnon de feu le Roi Mohammed V au lendemain de la Libération, qui aux côtés de ce dernier fonda les Forces Armées Royales  (FAR)  et, dans la tourmente à l’aube des années soixante, réussit le coup de maître d’aplanir les graves dissensions ayant opposé l’Armée de libération et les FAR, et sur instructions du Roi Mohammed V, de façonner leur intégration.

Une formation de haut niveau

Du haut des ses vingt-deux ans, Leila vécut ces circonstances à l’ombre d’un père que le Roi hissait alors au rang d’un connétable et fédérateur. Elle entreprit des études de médecine à l’Université de Madrid et, le diplôme acquis non sans mérite, se spécialisa dans la chirurgie ophtalmologique à l’autre Université de Barcelone, célébrée à travers le monde pour le savoir-faire et les technologies en la matière. Il convient de souligner que l’époque se caractérisait par une sorte de « désert ophtalmologique » cruel, alors que le Maroc était confronté à des besoins impératifs et le monde rural à de chroniques vagues de trachome, de maladies infectieuses des yeux, véritable fléau de la santé publique nationale. Docteur Leila Mezian en avait d’autant plus pris conscience qu’elle fera de son métier non seulement une mission mais une manière de sacerdoce et, engagée comme assistante par l’éminent professeur Joachim Barraquer,  elle apprendra avec lui le métier avant d’exercer à l’hôpital Manhattan Eye and Ear Hospital de New York, aux côtés de chirurgiens en ophtalmologie de renom  mondial, notamment les docteurs Castro Viejo et Byron Smith.

Elle optera pour la difficile mais vertueuse voie de la médecine au sein des hôpitaux publics marocains, comme aussi dans le cadre de sa propre clinique spécialisée. Les soins et les interventions au service des citoyens livrés avec passion et une conscience aigue, avaient vite fait de susciter l’admiration des Marocains et des cercles divers. Dans la foulée, elle est nommée « Présidente de l’Organisation Alaouite pour la protection des Aveugles ( OAPAM) à Casablanca, ainsi que du Croissant Rouge Marocain ». Plus tard elle sera désignée Vice-Présidente de l’Association des Médecins du Maroc. Ces titres, mérités et assumés à bien des égards, faisaient d’elle une actrice sociale admirée et bien qu’honorifiques aussi, une militante. Le goût de l’action sociale qui sera sa marque, un devoir d’engagement concret sur le terrain, constituent déjà sa raison d’être, un choix comme pour être fidèle à elle-même.

Un miroir poétique de son mari

Le mariage avec Othman Benjelloun n’aura jamais raison de sa passion ni de sa volonté de servir, autrement de soigner et quand bien même elle lui donnera deux enfants – Dounia et Kamal – elle assumera avec responsabilité et bonheur la double charge de médecin et de maman, d’épouse et de compagne, formant avec lui pendant soixante-quatre ans un couple de ce qu’on appellera à coup sûr exemplaire, qui par son exquise poésie, nous rappellera celui que formèrent un Louis Aragon et Elsa Triolet…Leila est devenue, de toute évidence, le miroir poétique de son mari et inversement celui-ci se reconnaît dans la tendresse de son épouse dont on a vu et mesuré, depuis samedi dernier, jour de son cruel décès et peut-être même des semaines avant, à quel point il lui est viscéralement attaché, veillant patiemment sur elle, à en pleurer. La force d’un homme comme Si Othman, la dimension exceptionnelle de son parcours, les succès réalisés tout un long d’une carrière construite et conduite sous le signe du devoir et du patriotisme, pouvaient ils être un hasard si Leila n’incarnait pas son précieux et incomparable soutien ? Elle a voué sa vie, à la fois à son mari et ses enfants, mais aussi à ce que l’on peut qualifier, faute d’autre mot, à autrui au sens littéral et profond. Témoin et actrice de son temps, elle s’est délibérément déchargée de sa profession de médecin et d’ophtalmologiste pour s’engager – autre versant de ses vocations – dans une autre mission : l’éducation, la formation !

En 1992, bien avant que son mari, Othman Benjelloun, n’acquiert le groupe BMCE en 1995, elle prépare ce qui seront les fondements de sa nouvelle et persistante passion : éduquer, former, instruire. Dans cette nouvelle « aventure », elle est déjà propulsée et portée par une nouvelle vocation qui est une sorte de mission. Elle construit patiemment le projet  de l’Ecole et de la scolarisation avec patience, rigueur et le moins que l’on puisse dire avec enthousiasme. Elle consulte, voyage, affine avec l’imperturbable et tranquille écoute qui la caractérise.

La promotion scolaire du monde rural

De ses propres idées, qui forgeront la conviction, jaillira l’idée suprême : construire les écoles dans le monde rural, rendre accessible la scolarisation et la connaissance à des milliers de filles et de garçons, percer, transgresser l’indifférence et réduire autant que faire se peut l’isolement, rendre justice à ces populations, contribuer aux côtés des efforts des pouvoirs publics à former les élèves, futures pupilles de la nation.

Ce n’est plus un rêve donc, mais une réalité tangible ! Elle met en œuvre et avec la patience qui lui est coutumière, le projet de sa vie : accélérer la concordance d’un défi social majeur avec une volonté humaine déterminée, personnelle donc. Elle prend la présidence de la Fondation BMCE Bank et s’emploie à en faire non pas une sinécure comme on eut pu être tenté de le penser. Elle y met de l’acharnement , elle y met du cœur, le sien en effet, donnant force et corps à cette initiative exemplaire, celle d’une fondation privée qui , par son originalité et ses ambitions affichées, ouvre le « champ des possibles » aux autres opérateurs. Othman Benjelloun, compagnon fidèle, y est naturellement associé avec pour ainsi dire une affectueuse bienveillance, participant aux activités de la Fondation avec un vif intérêt, plus que présent…De 2001, date à laquelle Leila Mezian – Benjelloun prend en mains la Fondation BMCE-Bank pour l’Education et l’Environnement à nos jours , un immense programme de scolarisation a été mis en œuvre, avec l’objectif de construire des écoles rurales, sur la base d’un principe sacro-saint : éduquer, scolariser, former, désenclaver, construire ou reconstruire le lien social par la connaissance et le savoir, offrir une chance aux enfants nécessiteux des villages et des contrées recluses de sortir de l’ornière de l’ignorance et de l’abandon social…

Si l’ambition de départ paraissait relever de ce qu’on appellera le défi du siècle, Leila, l’assumera grandement, avec panache et l’audacieuse détermination. Elle lance alors le fameux projet de medersat.com, entreprise pédagogique de haute portée, par ses ambitions structurelles et pédagogiques, sa finalité humaine et l’incommensurable originalité qui le caractérise.  En vingt ans, en effet, pas moins de 100 écoles communautaires rurales ont été construites, bâties, équipées de matériel ultra-moderne , investies avec mission d’offrir aux élèves – filles et garçons – les meilleures technologies, l’encadrement professoral idoine, le savoir le plus précieux, en somme tout ce qu’il faut pour créer les conditions d’insertion des enfants du Maroc, où ils qu’ils se trouvent. A l’étranger, en Afrique notamment, la Fondation qu’elle présidait a réussi le pari de construire et d’offrir des écoles – soit 6 en tout – au Sénégal, au Mali, au Congo-Brazzaville, au Rwanda et à Djibouti, illustrant par le biais de l’école et de l’école, le beau principe de « diplomatie parallèle » menée par un groupe privé en Afrique subsaharienne.

L’avocat des arts et de la culture

On ne peut pas ne pas mettre en exergue l’autre dimension affirmée chez le Dr. Leila Mezian-Benjelloun, celle de la défense de la culture, des arts, la restauration des monuments nationaux, celle notamment de la Kasbah Aït Hammou ou Saïd à Zagora, où l’une des plus belles écoles medsersat.com a été construite, la réhabilitation de la madrassa Bouânania à Fès et d’autres monuments – autrefois figés dans le silence de l’oubli – désormais revivifiés grâce à la Présidente de la Fondation qu’elle préside. En 2006, sous le haut patronage de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, en commémoration du 50ème anniversaire de la création des FAR, elle a présidé l’ouverture du Musée Maréchal Mezian à Beni Ansar, dans la province de Nador, en mémoire de son illustre père, Mohammed Ben Kacem Zahraoui de son vrai nom, co-fondateur on a dit des Forces Armées Royales. Il convient de souligner, dans la foulée, qu’en 2015, Dr. Leila Mezian Benjelloun a été désignée Présidente de la Fondation Docteur Leila Mezian pour l’Art et la Culture marocains, institution qui procède de la même volonté chez elle de promouvoir, concrètement et avec la même ardeur, l’art et la culture de notre pays.

La construction dans ce cadre et le même esprit du Musée Dr Mezian-Benjelloun au croisement du Boulevard Moulay Youssef et celui du Rouadni, dont les travaux ont été lancés il y a seulement quelques mois, participait de cette irréductible volonté de hisser haut l’emblème du patrimoine culturel marocain, adossée sur la sauvegarde et la valorisation des produits nationaux ainsi que sur le besoin de partage et leur mise à disposition au grand public. Là aussi Dr. Leila Mezian-Benjelloun  a tracé le sillon et mené un travail en profondeur, y mettant de ses moyens, de son énergie, de sa force et de sa pertinente attention.

Force nous est de souligner que notre pays a perdu une grande et noble dame, et qu’en nous quittant, elle nous laisse orphelins de sa grâce, de son incommensurable mansuétude, de l’exemplarité de son combat de femme de science, d’intellectuelle, de pédagogue, d’artiste invétérée, animée d’un seul et unique souci qui la hantait : faire du bien…Elle est partie comme elle était venue, sur la pointe des pieds discrète  et baignant dans la plénitude de son art de vivre, sobre et lumineux à la fois, et chez nous, plongés dans l’immense chagrin, elle prend toute sa place et nous contemple, avec le même regard pudique, les non-dits qui sont à sa personnalité ce que les mots forts sont à sa retenue légendaire. Elle nous adoubera par son extrême gentillesse. Nous la pleurons, nous l’aimerons toujours…

Nous présentons nos condoléances très attristées à son mari, notre cher Président Othman Benjelloun, à Dounia Benjelloun, à Kamal Benjelloun et à tous leurs proches.

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