Changer de paradigmes ?

 

Par Mostafa Melgou (Consultant en Finance)

 

Notre démocratie, si elle répond aux formalités électorales accuse de lourds déficits au niveau social dès lors qu’elle n’est pas parvenue à améliorer le niveau de vie des plus vulnérables. Pour ce qui a trait aux inégalités sociales, on constate que le fossé entre les plus riches et les plus pauvres s’est élargi dès l’instant que l’écart des revenus entre les 13% (les plus riches accaparent 38% du PIB) et le cinquième des plus pauvres de la population est de 100. Cela démontre que les politiques adoptées jusqu’ici n’ont pas réussi à réduire les inégalités économiques, et partant ne peuvent promouvoir une citoyenneté sociale pleine et entière. Cela a accentué le sentiment de méfiance envers les dirigeants et les mécanismes de la démocratie.Démocratie qui s’est révélée incapable de satisfaire aux besoins élémentaires d’un large panel de Marocains, en matière d’emploi, d’accès aux soins et à l’habitat, en somme à l’inclusion sociale.

Tant que nos partis, aussi bien ceux de la majorité gouvernementale que ceux de l’opposition, n’auront pas fait de nouvelles propositions et impulsé de nouveaux programmes à même de redonner du crédit à l’acte politique, ils finiront par ne représenter qu’eux-mêmes et s’éloigneront davantage des aspirations du peuple. Cette absence de paradigmes politiques rénovés conjuguée au vide idéologique qui prévaut actuellement a favorisé les pratiques élitistes et le leadership vertical, qui n’ont permis dans le meilleur des scénarios que des alternances de circonstance électorale et un partage de pouvoir qui n’avaient d’autre objectif que de favoriser l’enrichissement de la minorité des privilégiés grâce à un pattern politique fonctionnel. Last but not least, nos partis ont perdu la confiance des Marocains et ont cessé d’être des leviers de l’agrégation sociale. Ainsi naquit le Mouvement 20 Février pour supplanter les partis par la politique dans la rue.

Et la solution à cette démocratie qui fait l’impasse sur la dimension sociale ?

La solution commencerait par une démocratisation des partis eux-mêmes couplée à une intégration et une reconnaissance des autres formes d’organisations de la société et en particulier les différents réseaux sociaux. Cela ne peut aboutir sans l’implication de tous, gouvernants et gouvernés, sans exclusive ni exclusion où tous contribuent à la réhabilitation de la politique avec les citoyens. Les schémas obsolètes des majorités numériques contingentes qui revendiquent le monopole de la représentation politique ne feront que reproduire les mêmes travers et les mêmes tensions sociales qui bloquent et ne permettent pas de générer l’énergie requise à l’émergence de nouveaux espaces publics et partant à l’édification d’un État appartenant à tous ses citoyens  et garant de la cohésion sociale.

La solution consisterait aussi à faire œuvre utile de notre monarchie exécutive. Pourquoi ? Les Suédois, les Norvégiens, les Britanniques, les Belges, les Néerlandais, etc. ont leur reine et roi. Nous en avons le nôtre. Je n’ai pas l’intention de dresser un quelconque parallèle entre les différentes monarchies qui restent chacune le produit de données historiques objectives spécifiques. Ce qui m’interpelle en revanche, c’est que je n’ai jamais lu ou entendu parler que les classes politiques suédoise, norvégienne ou belge consacrent leur tempo à gloser sur l’équilibre des pouvoirs, sur l’État de droit ou encore de façonner leurs monarchies. Au Maroc, notre classe politique, au lieu de faire œuvre utile de notre monarchie, nous a fait perdre un demi-siècle par des bavardages sur la différence entre légitimité «populaire» et légitimité «historique» au détriment des préoccupations des Marocains. Aujourd’hui encore, d’aucuns ne jurent que par la monarchie parlementaire et font de ce credo une quasi-idéologie du salut. Les mêmes parient sur la monarchie parlementaire, tel un « sésame » pour ouvrir la grotte de la modernité en vue de réaliser le bond magique du développement, sans efforts, sans coûts et hors histoire. Ils semblent oublier que contrairement à la logique du miracle qui sous-tend toute idéologie de salut, la monarchie parlementaire – tout comme la démocratie – est le couronnement d’un développement organique, une dynamique historique dont on ne peut dissocier la cause de l’effet; un aboutissement des évolutions économiques et sociales enregistrées et des progrès capitalisés par une société donnée.

La réalité politique de notre pays aujourd’hui est qu’il existe deux pouvoirs: le pouvoir de l’Etat et le pouvoir du gouvernement. Le pouvoir de l’État est incarné par le Roi du Maroc, seul garant de la pérennité de l’État. Quant au pouvoir du gouvernement (l’exécutif), il est bicéphale dès l’instant qu’il implique le Roi tout autant que le chef du gouvernement. Dans ce schéma, nous avons une grande opportunité – une monarchie exécutive – qui ne s’offre pas aux régimes politiques où le chef de l’État est soumis au suffrage universel qui est limité par des mandats, donc astreint au court-termisme – le temps d’un mandat.

Tirons profit de cette opportunité dans une cohabitation en bonne intelligence entre l’Institution royale d’un côté et le gouvernement de l’autre. Le Roi fixera le cap à long terme par la mise en œuvre de grands travaux, de chantiers structurants et de projets sociétaux – l’enfant, la femme, la solidarité… C’est-à-dire ce que sera le Maroc dans quinze, vingt, trente ans. Notre monarchie est outillée pour ce faire, grâce à une constellation  de conseillers et non des moindres. Quant au gouvernement issu des urnes, il vaquera aux tâches quotidiennes de gestion de la chose publique que dictent la conjoncture et les contingences du court terme, outre l’application du planning de réalisation des projets à terme fixés par le Roi, projets que se relaieront les gouvernements qui se succéderont, les entrants capitalisant sur les réalisations des sortants.

Je préfère être naïf, mais constructif, qu’incrédule, mais nihiliste faisant dans la revendication politique intempestive et partant contre-productif. Bien sûr, le schéma que je propose présuppose un gouvernement avec des ministres qui ont le courage de leurs idées pour appeler un «chat un chat» au lieu de se cacher derrière des aphorismes tels «poches de résistance» ou des «3afarite» pour justifier leur impuissance. Si un ministre est empêché de faire son travail, il doit le faire savoir, prendre l’opinion publique à témoin et se démettre, au lieu de chercher des prétextes, pour la bonne conscience tout en s’agrippant à son portefeuille !

 

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