Chargeur universel : Une Loi plus symbolique qu’efficace ?
La proposition est restée en instance depuis 2009. Après une grande résistance de la part d’Apple et un long combat, l’Union européenne a adopté le chargeur unique pour tous au début du mois. Cette solution serait-elle suffisante pour faire face au fléau des déchets électroniques qui noient l’Europe ?
A partir de l’automne 2024, tous les appareils électroniques de petite et moyenne taille « devront être équipés d’un port USB Type-C, quel que soit leur fabricant », selon l’accord adopté le 7 juin 2022 par l’Union européenne (UE). Une décision qui marque l’aboutissement d’un projet lancé en 2009 par la Commission européenne mais freiné par le bras de fer avec Apple qui refusait de remplacer son propre chargeur par un modèle universel.
Le géant technologique américain est allé à même dire qu’une telle décision « freine l’innovation ». Dans un communiqué, Apple a contesté « qu’une réglementation qui oblige à se conformer au type de connecteur intégré à tous les smartphones étouffe l’innovation au lieu de l’encourager, et nuirait aux consommateurs européens et à l’économie dans son ensemble ».
Qu’en est-il alors ? Pourquoi les législateurs européens se sont tant battus pour une législation sur les chargeurs ? La Loi apporte-t-elle une véritable solution au flux des déchets électroniques ?
Les détails de la loi sur le chargeur universel
La Loi sur les équipements radioélectriques élaborée par la Commission européenne du marché intérieur et de la protection des consommateurs fait partie d’une initiative européenne plus étendue visant à rendre les produits plus durables, à réduire les déchets électroniques et à faciliter la vie aux consommateurs, lit-on sur le site officiel du Parlement européen.
En vertu de la nouvelle loi, les consommateurs n’auront plus besoin d’un chargeur et d’un câble différents à chaque fois qu’ils achètent un nouvel appareil, et pourront utiliser un seul chargeur pour tous leurs appareils électroniques portables de petite et moyenne taille. Les téléphones portables, tablettes, liseuses, écouteurs, appareils photo numériques, écouteurs et casques, consoles de jeux vidéo portables et enceintes portables rechargeables via un câble filaire devront être équipés d’un port USB Type-C, quel que soit leur fabricant, afin de pouvoir être vendus sur le marché européen.
La vitesse de charge est également harmonisée pour les appareils prenant en charge la charge rapide, permettant aux utilisateurs de charger leurs appareils à la même vitesse avec n’importe quel chargeur compatible. Les ordinateurs portables devront également être adaptés aux exigences dans les 40 mois suivant l’entrée en vigueur.
Faciliter la vie aux consommateurs
« Les consommateurs européens ont longtemps été frustrés par l’accumulation de plusieurs chargeurs à chaque nouvel appareil », affirment les législateurs européens, et la nouvelle loi semble apporter une solution à cela. D’autant plus, qu’elle inclut les ordinateurs portables, les liseuses, les écouteurs, les claviers, les souris d’ordinateur et les appareils de navigation portables, en plus des smartphones, des tablettes, des appareils photo numériques, des écouteurs et des casques, des consoles de jeux vidéo portables et des haut-parleurs portables.
La loi permettra aux consommateur en outre d’accéder plus facilement aux informations relatives aux chargeurs : « Nous avons également ajouté des dispositions sur la recharge sans fil, qui constitue la prochaine évolution de la technologie de recharge, ainsi que des informations et un étiquetage améliorés pour les consommateurs », soulignent les membres du Parlement Européen.
Par ailleurs, le passage à l’USB-C aidera à terme les consommateurs à économiser jusqu’à 250 millions d’euros par an sur des achats de chargeurs « inutiles ».
Réduire les déchets électroniques
La réduction des déchets électroniques a été l’un des principaux moteurs de la proposition des législateurs de l’UE. Empilés ensemble, les chargeurs inutilisés et mis au rebut représentent plus 11 000 tonnes de déchets électroniques en Europe chaque année.
Ainsi, avec un demi-milliard de chargeurs pour appareils portables expédiés en Europe chaque année, générant 11 000 à 13 000 tonnes de déchets électroniques, il semble qu’un seul chargeur pour téléphones portables et autres petits et moyens appareils électroniques profiteraient à tout le monde. « Ce changement de politique vraiment complet s’appuie sur la proposition de la Commission en appelant à l’interopérabilité des technologies de recharge sans fil d’ici 2026 et en améliorant les informations fournies aux consommateurs avec des étiquettes claires. Nous élargissons également la portée de la proposition en ajoutant davantage de produits, tels que les ordinateurs portables, qui devront se conformer aux nouvelles règles », avait indiqué à la presse l’eurodéputé Alex Agius Saliba.
Une Loi plus symbolique qu’efficace ?
Les Européens espèrent donc réduire cette pile en éliminant le besoin de différents chargeurs pour différents appareils. Mais il y a encore beaucoup d’autres facteurs qui doivent être réunis pour que la mesure fasse une différence significative dans le problème mondial des déchets électroniques.
Le total des déchets générés dans l’UE par l’ensemble des activités économiques et des ménages s’élevait à 2 337 millions de tonnes en 2018, selon les données de Eurostat. En 2020, chaque habitant du territoire européen a produit 505 kg de déchets municipaux. Représentants le flux de déchets qui connaît la croissance la plus rapide dans l’UE, moins de 40 % des déchets électroniques sont recyclés.
A l’échelle planétaire, 50 millions de tonnes de déchets électroniques sont produits chaque année. Cela équivaut à 1000 ordinateurs portables jetés chaque seconde. Dans certaines régions du monde, la quantité de déchets électroniques devrait augmenter de 500 % dans les années à venir, indiquent des estimations de l’ONU. Les déchets électroniques produits chaque année valent plus de 62,5 milliards de dollars, soit plus que le PIB de la plupart des pays.
Ces données poussent les experts européens à se demander si un chargeur unique serait véritablement efficace pour réduire l’intensité du fléau des déchets électroniques. « On ne s’attend pas à ce que cette décision fasse une énorme brèche dans la quantité massive de déchets électroniques qui s’accumulent dans le monde », estiment plusieurs experts dont les propos ont été rapportés par The Verge.
Pour que cette loi ait un réel impact, plusieurs facteurs doivent se réunir. Selon ces experts, seule une partie du problème réside dans l’ampleur même des appareils qui finissent par devenir des déchets électroniques, dont les chargeurs ne représentent qu’une petite fraction. Pour Josh Lepawsky, professeur à l’Université Memorial de Terre-Neuve « le fait que cela soit présenté comme une solution – même une solution partielle aux déchets électroniques – je pense que c’est exagéré ».
Pourtant, la décision pourrait avoir une signification plus symbolique. Cela donne un exemple de la façon dont des réglementations plus strictes peuvent forcer les Big Tech à changer leurs habitudes de gaspillage.
« C’est une étape importante, mais cela ne résout certainement pas le problème des déchets électroniques », estime Ruediger Kuehr, chef du bureau de l’Institut des Nations Unies pour la formation et la recherche à Bonn, en Allemagne, et responsable du programme Cycles durables (SCYCLE).