La chute de Mugabe: Quelles leçons pour l’Afrique du Sud?
La chute mardi du président zimbabwéen Robert Mugabe au terme d’un long processus de décadence politique et économique incite les observateurs à se poser des questions au sujet des enseignements que l’Afrique du Sud doit tirer de l’expérience de son voisin du nord.
De l’avis des analystes, ces interrogations paraissent plausibles et justifiées d’autant plus que le pays de Nelson Mandela traverse, depuis l’arrivée au pouvoir du président Jacob Zuma en 2008, une période difficile marquée notamment par une incertitude politique qui s’accentue sur fond d’un affaiblissement économique hautement périlleux pour un pays considéré parmi les power-houses du continent. Les analystes énumèrent de nombreux points communs entre le Zimbabwe de Mugabe et l’Afrique du Sud de Zuma. Si le Zimbabwe a été dirigé depuis son indépendance en 1980 par le même parti, le Zanu-PF, l’Afrique du Sud a suivi le même chemin emprunté par l’ancienne Rhodésie du Sud avec l’African National Congress (ANC) et ce depuis la fin du régime de l’apartheid en 1994.
Dans les deux pays, le parti s’est substitué à l’Etat dans le cadre d’un système de clientélisme, explique Daniel Silke, analyste politique, soulignant que ce clientélisme s’est ancré en Afrique du Sud sous Zuma. Le président sud-africain est accusé par ses détracteurs d’avoir transformé l’ANC en une structure qui sert les intérêts d’un groupe restreint d’alliés reléguant à un degré moindre le souci de l’intérêt public. Le weekend dernier, l’ancien président sud-africain Thabo Mbeki a évoqué la situation actuelle de ce parti historique, estimant que l’ANC «est pris en otage» par une faction dominante qui ne peut prétendre défendre ou représenter les valeurs de cette formation vielle de 105 ans.
«Nous sommes confrontés à une pourriture qui a infesté le parti dans son ensemble», a déclaré Mbeki, lors d’une conférence des vétérans de l’ANC. Selon Mbeki, qui a dirigé l’ANC et l’Afrique du Sud de 1999 à 2008, l’abus de pouvoir pour l’auto-enrichissement par les politiciens a affecté négativement le parti et le pays à tous les niveaux. Les analystes relèvent, par ailleurs, l’attachement du Zanu-PF et de l’ANC sous Mugabe et Zuma à une rhétorique révolutionnaire révolue fondée sur une interprétation erronée du nationalisme.
Il s’agit, selon l’analyste Silke, d’une approche qui tend à noyer le débat politique dans le populisme pour cacher l’échec de proposer des solutions capables de renforcer la marche de l’économie. «Se sont ces approches qui créent l’environnement propice conduisant à la faillite de l’Etat», souligne l’analyste. Durant ses 37 ans au pouvoir, Mugabe a plongé le Zimbabwe dans une profonde crise économique et sociale avec un chômage affectant 95 pc de la population active et une hyperinflation qui a aggravé la pauvreté, poussant des millions de Zimbabwéens à quitter le pays vers d’autres cieux plus cléments.
L’Afrique du Sud sous Zuma s’est inscrite dans la même trajectoire de déclin économique à tel point que de nombreux analystes commencent à évoquer le scénario zimbabwéen dans le pays arc-en-ciel. Depuis la grande récession de 2008/2009, ayant d’ailleurs coïncidé avec l’arrivée au pouvoir de Zuma, l’économie sud-africaine n’a pas pu retrouver sa croissance d’antan. Les problèmes de gouvernance politique et économique se sont multipliés durant ces huit dernières années, incitant les investisseurs à tourner le dos à un pays qu’ils considéraient jadis comme leur Eldorado africain.
Les analystes ne manquent pas non plus de souligner qu’au même titre que le Zimbabwe, l’Afrique du Sud fait face à des pressions croissantes liées à l’échec de redonner la vitalité nécessaire au modèle économique du pays. Cet échec s’enlise, selon les observateurs, dans un environnement où le renouvellement des élites politiques fait défaut. Les deux pays voisins sont toujours gouvernés par des mouvements de libération, une situation qui rend la question de la succession problématique en particulier avec l’accentuation des pressions économiques et sociales, indique Silke. L’ANC et l’Afrique du Sud vivent, en effet, au rythme d’une polarisation sans précédent en raison de la question de la succession de Zuma à la tête du parti au pouvoir.
Le parti de Mandela devra élire en décembre prochain un nouveau leader dans une une course très mouvementée voire violente entre Nkosazana Dlamini-Zuma, ex-épouse du président Zuma, et Cyril Ramaphosa, actuel vice-président. Cette élection qui devra avoir lieu au lendemain de l’éviction de Mugabe dans le sillage de ses tentatives d’imposer sa femme, Grace Mugabe, comme son successeur, a poussé des responsables de l’ANC à monter au créneau pour appeler à tirer les enseignements nécessaires afin d’éviter à l’Afrique du Sud un scénario similaire à celui du voisin zimbabwéen.
Certains analystes estiment que l’éviction de Mugabe semble avoir l’effet d’un appel à l’éveil pour l’Afrique du Sud, où l’élite au pouvoir doit se garder de toute tentative d’influencer le processus de succession du président Zuma en particulier dans ce climat de risques politiques et économiques aigus que vit le pays actuellement. Dans ce contexte, les analystes estiment que l’élection de Ramaphosa au poste de chef de l’ANC pourrait offrir à l’ANC l’occasion de marquer un nouveau départ pour corriger sa trajectoire et, partant, éviter à l’Afrique du Sud de sombrer dans une instabilité aux conséquences incalculables.