Climat et survie de l’espèce humaine : sommes nous déjà en sursis existentiel ?
Par Taoufiq Boudchiche (*)
Pensée écologique alarmiste versus pensée climato-sceptique ? Le changement climatique est-il une menace existentielle pour l’humanité ? La pandémie mondiale actuelle le laisserait penser si de nouvelles catastrophes majeures se reproduisaient. Mais La réponse demeure encore « clivante » entre « la pensée écologique alarmiste» et la « pensée climato-sceptique ». Celle-ci met encore en doute la valeur scientifique et idéologique des postulats des premiers. Les seconds restent convaincus que si réchauffement, il y aurait, cela serait lié au cycle naturel de la planète qui se régulerait d’elle-même.
Pour rappel, depuis les premières conférences mondiales sur l’environnement (RIO 1992), la communauté internationale s’est approprié les résultats scientifiques issus des études de météorologues. Ceux-ci sont au départ les premiers scientifiques à s’alarmer auprès des opinions publiques mondiales à la fin des années 70 du réchauffement climatique mais ils en ignoraient encore les véritables causes.
Ronald Reagan et Margareth Tatcher, qui sont parmi les premiers grands dirigeants du monde à exprimer « leur climato-scepticisme », ont alors pris l’heureuse initiative en 1988 au sein du G7 de susciter la création du célèbre GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur le Climat). Mais, selon certaines confidences, c’était dans le but principal de défaire, voire désavouer scientifiquement, les études alarmistes sur le climat.
Malheureusement, chacun des rapports successifs du GIEC, confirmaient, études et modèles à l’appui, la hausse des températures de notre planète terre. Dans chaque rapport, étaient également exposés, des scénarios alarmistes des conséquences possibles du réchauffement climatique.
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Les données successives recueillies par le GIEC, ont en effet fini par mettre en évidence que la cause principale du réchauffement climatique était lié à l’action humaine. Les systèmes de transport, de production et de consommation, la déforestation, les activités agricoles et industrielles, la déviation des fleuves et rivières…, provoquaient un rejet massif de dioxide de carbone (CO2) retenu dans l’atmosphère sous la forme d’« effet de serre ». Les émissions de CO2 ont dés lors été analysés comme étant le principal motif d’une dérégulation du climat. Il a été également mis en évidence, qu’en cas d’inaction les températures, grimperaient jusqu’ à plus de 3° à l’horizon 2050 et à 5° C en 2100. A l’échelle de la planète et des conditions de survie de l’être humain, ces hausses provoqueraient une catastrophe majeure.
« Anthropocène » et « planète serre », des menaces réelles pour la survie de l’humanité
Les conséquences du réchauffement climatique sur la vie humaine sont aussi de mieux en mieux identifiés et analysés : insécurité alimentaire, insécurité sanitaire, migration climatique, remontée des eaux, émergence de nouveaux virus, fonte des glaciers, évènements climatiques et catastrophes naturelles en série fréquents, nombreux et destructeurs (submersions marines, inondations, incendies de forêt, etc.). Cela entraîneraient également des instabilités et violences politiques, l’avènement d’un monde de plus en plus imprévisible et chaotique, comme on a en un aperçu plus ou moins prémonitoire avec la pandémie mondiale actuelle.
Selon le rapport du « Breakthrough National Centre for Climate Restoration » (Australie) « La déstabilisation du jet-stream a considérablement affecté l’intensité et la répartition géographique des moussons asiatiques et ouest-africaines et, avec le ralentissement du Golfe-stream, affecte les systèmes de survie en Europe…l’Amérique du Nord souffre de conditions climatiques extrêmes dévastatrices, notamment des incendies de forêt, des vagues de chaleur, des sécheresses et des inondations. Les moussons d’été en Chine ont chuté, et les flux d’eau dans les grands fleuves d’Asie sont fortement réduits par la perte de plus d’un tiers de toute la calotte glaciaire himalayenne. La perte glaciaire atteint 70 % dans les Andes, et les précipitations au Mexique et en Amérique centrale diminuent de moitié. »
Face aux risques évoqués, le concept « d’anthropocène », une nouvelle ère géologique dans laquelle serait entrée l’humanité, est mis à jour par les géographes et les climatologues. Il préconise l’idée que l’extinction de l’humanité du fait de probables catastrophes naturelles ne serait plus une simple hypothèse. L’action de l’homme est devenue une « force géologique » capable de déréguler la planète. Par exemple, les érosions provoquées par l’action humaine dépasseraient de 10 fois, selon les experts, les mouvements naturels (eau, vents, précipitations) et par endroits auraient plus d’impact que celles intervenues naturellement sur une échelle de plusieurs milliers d’années. Il faut donc agir rapidement pour stopper la tendance à la hausse des températures, au risque de subir de manière frontale et imprévisible les effets négatifs d’une « planète serre .
L’empreinte écologique de l’humanité, un drame pour la planète
la notion d’empreinte écologique, développée conceptuellement par le World Wide Fund for Nature (WWF), ONG internationale, vient également étayer sur une base chiffrée les dégâts causés à la planète par l’action humaine. Elle permet de mesurer la pression des activités humaines sur les ressources de la planète sur une année. En 2020, selon le WWF, l’être humain aurait déjà consommé l’équivalent en ressources d’une planète dés juillet 2020, le reste de l’année nous vivions à crédit. En 2030, à ce rythme, l’humanité aura besoin de l’équivalent de deux planètes pour subvenir à ses besoins au cours d’une année.
La société civile à l’avant-garde des luttes pour le climat réclame de nouveaux modèles sociétaux
Le rôle de la société civile comme moteur des avancées en matière de lutte contre les effets négatifs du changement climatique a toujours été d’une importance primordiale. Depuis les années 80, plusieurs alliances à enjeu climatique ont été nouées entre acteurs non étatiques de la société civile à travers le monde. De véritables communautés scientifiques et réseaux d’ONG, Associations,… s’emparent à chaque occasion opportune de la crise climatique pour faire pression sur les acteurs étatiques et sensibiliser l’opinion publique. Actuellement, renforcée par le sentiment que la crise sanitaire actuelle, comme en étant l’une des conséquences probables, on note au sein des sociétés civiles la multiplication d’appels à de nouveaux modèles de société. Marches pour le climat, actions en justice, pressions sur les politiques au niveau national et local …impriment de nouvelles dynamiques en la matière. C’est grâce à l’action de la société civile que les organismes internationaux se sont mobilisés progressivement sur la question climatique jusqu’à une première étape importante qu’aura été la signature de l’Accord de Paris sur le climat.
Par exemple, il y a l’image de Greta Thunberg, la jeune suédoise activiste du climat, devenue icône mondial des médias qui à chaque rassemblement « harangue » les gouvernements pour des actions plus vigoureuses contre le réchauffement climatique. Mais la crise sanitaire a un peu fragilisé la mobilisation de l’opinion publique mondiale préoccupée en priorité par la sortie de la crise sanitaire. Or, celle-ci pourrait être liée à la crise climatique. Les études sur l’origine du virus pourraient nous éclairer à ce sujet.
Une société « décarbonnée » en 2050 ? Un objectif fixé depuis l’Accord de Paris de 2015 (COP21)
Grâce aux travaux scientifiques, la « pensée alarmiste » a peu pris le dessus sur la « pensée climato-sceptique ». Aussi, les 197 pays réunis à Paris en décembre 2015 pour signer l’Accord de Paris, ont-ils convenu d’agir ensemble. Cet accord, véritable prouesse diplomatique, a couronné des décennies de négociations sur l’environnement et le climat entre les Etats et les Gouvernements (voir encadré ci-après). Il a introduit des mécanismes et outils de gestion de la crise climatique sur la base d’engagements multilatéraux, quoique non contraignants, comme réponses à apporter au réchauffement climatique.
L’objectif fixé est d’atteindre une société humaine « décarbonnée » à l’horizon 2050 (neutralité carbone) en réduisant la hausse des températures de 2 à 1,5 par rapport au niveau de l’ère préindustrielle à cet horizon. Des mesures fortes ont été préconisées en termes « d’adaptation et/ou d’atténuation » aux effets négatifs du changement climatique; concepts eux-mêmes consacrés dans l’Accord de Paris. Du point de vue des pays du Sud, en particulier pour l’Afrique, la COP 22 qui a suivi celle de Paris, organisée à Marrakech, a également apporté des réponses substantielles en convenant des solutions spécifiques aux pays du Sud comme l’initiative « Triple AAA » (Agriculture Africaine Adaptée). Mais le retrait des Etats-Unis de l’accord de Paris, intervenu ensuite, avait donné un sérieux coup d’arrêt aux engagements en la matière, les COP 23, 24 et 25 sont passés quasi-inaperçus dans le monde.
Avec le retour des USA à l’accord de Paris, la COP 26 prévue à Glasgow (Ecosse) du 9 au 19 novembre 2021, ré-ambitionne une mise en œuvre accéléré de l’accord de Paris. Il est prévu, notamment, à travers le cadre fourni par la COP 26, des objectifs importants de base tels que : la fin de la dépendance au charbon, l’élimination progressive des combustibles fossiles, la fin des investissements dans l’économie du pétrole et du charbon, l’orientation des marchés vers un système mondial de taxe sur le carbone.
Face à une méta-crise, la nécessité d’une méta-gouvernance pour des sociétés résilientes
La société politique quoique en retard avec la société civile sur la question climatique, vu les intérêts corporatistes en jeu, s’engage néanmoins de plus en plus selon les pays. Convention citoyenne pour le climat en France, Code de l’environnement au Maroc, conversion à l’électricité de l’industrie automobile aux Etats-Unis, énergie solaire en Chine, etc. Chaque pays réagit selon ses spécificités sociales et politiques et engagent des actions plus ou moins significatives. Le secteur privé n’est pas en reste et l’investissement dans les technologies vertes est devenu une réalité. La fiscalité carbone progresse également. Les partis écologistes gagnent du terrain sur la scène politique mondiale.
Seront-elles suffisantes ? Rien n’est moins sûr à moins d’une redynamisation globale et planétaire sur le sujet, assorti d’actions fortes en matière de justice climatique entre pays riches et pays pauvres. Les premiers étant, les principaux responsables de la pollution et d’émissions de CO2. Aussi, la question climatique et les crises conséquentes interrogent-elles en profondeur nos modèles de développement productivistes et générateurs d’injustices et d’inégalités multidimensionnelles ainsi que ceux de la coopération Nord-Sud.
Faisons de sorte par conséquent, dés maintenant que la préparation de la COP 26, évènement planétaire soit-il, puisse être une opportunité supplémentaire de repenser nos modèles éco-sociétaux et nos modèles de gouvernance. Selon certains scientifiques, face aux méta-crises, il y a en effet nécessité de développer une méta-gouvernance. L’agenda des Nations-Unies a fixé des Objectifs de Développement Durable (ODD), 2015-2030, pour réduire la fracture Nord-Sud en matière d’accès à la santé, l’éducation et les équipements de base. S’ils sont atteints à cet horizon ce serait un premier pas dans ce sens. La crise sanitaire actuelle aura au moins servi à faire prendre conscience à l’humanité de sa vulnérabilité intrinsèque qui nécessite un dépassement des solutions classiques pour voir émerger des sociétés résilientes aux crises à venir.
Diplomatie climatique La lente prise de conscience historique des effets du changement climatique (CC) Au départ un enjeu de connaissance «météorologique» 1979 : première conférence mondiale sur le climat sous l’égide de l’Organisation Mondiale de la Météorologie (OMM) suivent les conférences de Villach (Autriche) (1983, 1985 et 1987) organisées par l’OMM. C’est la filière météorologique qui produit en premier les connaissances climatiques sur les modifications du climat et les premières alertes. Ensuite un enjeu environnemental 1987 ; avec la commission «Bruntland» (1987) lors de la conférence de Montréal, émergence du concept de « développement durable » et de « solidarité intergénérationnelle » dans le rapport «Our Common Future» : «penser global et agir local» slogan de l’époque. 1988 : Création du GIEC (groupe d’experts intergouvernemental sur le climat) par le G 7 et début du consensus scientifique sur le réchauffement climatique (levée partielle du scepticisme scientifique sur le réchauffement climatique). 1990 : 1° rapport du GIEC entraîne la convocation de l’Assemblée Générale des Nations-Unies de la conférence de RIO. L’imputabilité du réchauffement climatique aux activités humaines est de moins en moins contestée. Puis un enjeu géopolitique 1992 : A RIO, mise en place de la Convention Cadre des Nations-Unies sur le Changement Climatique (CNUCC) fondée sur trois principes : le principe de précaution, celui des responsabilités communes mais différenciées, le principe du droit au développement. Le climat devient un enjeu géopolitique majeur 1994 : Entrée en vigueur de la CNUCC avec pour mandat de stabiliser les émissions de CO2 dans l’atmosphère.. Début de prise en charge des effets du changement climatique et de ses solutions par la communauté internationale Enfin un accord global universel avec l’Accord de Paris signé par 197 pays représentés 2015 : il a fallu attendre la 21° conférence des parties (l’organe suprême de la convention), pour aboutir à un accord global sur le climat (Accord de Paris en décembre 2015). Le climat devient un enjeu socio-économique global avec pour objectif de ramener la hausse des températures à moins de 2 degrès par rapport à l’ère industrielles. De nouvelles perspectives sont ouvertes en matière de financement pour les Pays du Sud (promesse de leur verser 100 milliards de dollars par an à partir de 2020) à la faveur d’un re-équilibrage mieux assumé entre stratégie d’atténuation (défendue par les pays industrialisés) et stratégie d’adaptation au CC (défendue par les pays du Sud). En 2018, selon Oxfam on est encore loin du compte entre 16 et 24 milliards ds de dollars ont été versés au fonds vert destiné aux pays du Sud. L’OCDE avance le chiffre de 64 milliards. La guerre des chiffres a commencé. 2016 : COP 22 à Marrakech. Des initiatives sont convenues pour l’Afrique telles que le triple A « Adapatation de l’Agriculture Africaine » 2017 à 2020 : COP 23, COP 24 et COP 25 ont tenté de préserver la mobilisation internationale et les acquis en termes d’engagements. Le bilan reste faible, le clivage Nord-Sud sur le financement non résolu et en 2017 les émissions de CO 2 sont repartis à la hausse. 2021 : COP 26 du 9 au 19 novembre à Glascow en Ecosse |
(*) Taoufiq Boudchiche est économiste