Comment aboutir à une souveraineté alimentaire en céréales ?

Par Abdelaziz RHEZALI, Expert Agricole

La guerre en Ukraine a sonné la cloche de l’importance de dresser un plan rigoureux de la souveraineté alimentaire nationale, puisque le Maroc dépend de l’étranger afin de s’alimenter en céréales, en l’occurrence le blé, une denrée de base pour la population marocaine. Les statistiques effectuées entre 2007 et 2017 sur le secteur céréalier au Maroc dévoilent une participation entre 10 et 20% de la filière céréalière au PIBA et que la consommation moyenne en blé par habitant est de 200kg soit trois fois plus que la moyenne mondiale.

Le taux de notre dépendance à l’étranger pour s’approvisionner en céréales est tributaire des conditions climatiques qui sévissent durant la campagne agricole. En effet, la quantité des pluies et leurs répartitions impactent fortement le rendement annuel en céréales.

Entre 2008 et 2017, le Maroc a importé une moyenne annuelle en céréales de 66 millions de quintaux dont 38 millions de quintaux en blé, avec un montant avoisinant 1600 millions de dollars. Malheureusement, la production locale récoltée sur une superficie de 4.3 millions d’hectares arrive à peine à couvrir 55% de nos besoins en céréales.

Le plan Maroc vert (PMV), la stratégie du Maroc en agriculture entre 2008 et 2020, a tissé un objectif d’assurer une production annuelle moyenne de 70 millions de quintaux en céréales, dans un contexte qui estime les besoins du pays de 110 millions de qx en céréales par an. Cet objectif s’est heurté à plusieurs reprises aux aléas climatiques, notamment des années caractérisées par un déficit pluviométrique causant ainsi des chutes substantielles en productivité des céréales. S’ajoute à cela des projections à l’horizon de 2050, qui prévoient une augmentation de la demande en blé à hauteur de 70%, ouvrant ainsi la voie vers une réflexion profonde sur le futur du Maroc quant à l’approvisionnement de son marché en céréales.

Le Maroc est devant une problématique qui pourrait avoir des retombées graves si des actions concrètes ne sont pas entreprises. L’idéal aujourd’hui est de jeter les jalons d’une souveraineté alimentaire et de développer nos capacités stratégiques de stockage afin d’éviter une calamité qui pourrait nuire au futur de notre pays. Les piliers de la souveraineté devraient être axés sur une vraie réforme agraire tout en préservant les ressources naturelles et en voguant vers un droit des peuples à la bonne nutrition.

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Une souveraineté alimentaire passe tout d’abord par l’augmentation du rendement en céréales et un retour aux habitudes culinaires ancestrales

La culture des céréales est présente partout au Maroc mais se concentre principalement dans les zones d’agriculture pluviale, avec des rendements en deçà des attentes à cause d’une irrégularité au niveau de la pluviométrie et d’autres facteurs aggravants qui se matérialisent dans les coûts de production en perpétuel augmentation. Faute d’une rentabilité certaine, les producteurs des céréales ne sont pas encouragés à investir davantage pour booster la productivité conservant ainsi le secteur dans un statut quo sans un progrès considérable.

Malgré les efforts de l’Etat consentis dans la promotion des bonnes pratiques agricoles ; qui se résument dans l’utilisation du semis direct, une rotation céréales et légumineuses, l’utilisation des semences sélectionnées, une intervention au moment opportun pour lutter contre les mauvaises herbes et une utilisation raisonnée des engrais ; les productivités sont toujours influencées par la quantité des pluies, puisque l’eau reste le facteur le plus déterminant du rendement en céréales.

Un investissement en cultures céréalières requiert une mobilisation des eaux souterraines à travers l’installation des pivots pour des irrigations d’appoint. Certes, cette technique ne remplacera pas les eaux pluviales, mais, les apports d’eau d’appoint vont alléger le fardeau du manque de pluies lors des années de sécheresse. Ainsi, au lieu de récolter un maximum de 5 quintaux/ha lors d’une mauvaise année, l’irrigation d’appoint va permettre un rendement de 30 quintaux/ha soit un gain de 25 quintaux/ha.

L’utilisation des pivots est devenue une nécessité dans un contexte marqué par une productivité insatisfaisante. Encore une fois, l’Etat doit intervenir à travers les subventions pour aider les agriculteurs à adopter la technologie du pivot. A vrai dire, un producteur des céréales ne pourra pas rentabiliser l’installation du pivot sans une subvention étatique sachant que le bénéfice net d’un hectare en céréales ne dépasse pas 6000 dirhams lors d’une bonne campagne agricole.

Des protagonistes du monde agricole peuvent juger inadéquat de mobiliser les eaux souterraines pour des cultures jugées de faible valeur ajoutée alors que le PMV s’est orienté davantage à encourager les filières de forte valeur ajoutée. L’idée serait de ne pas supprimer les cultures à forte valeur ajoutée, mais, de monter une politique qui prend en considération l’enjeu d’une souveraineté alimentaire en céréales.

L’enjeu de la souveraineté alimentaire doit prendre aussi en considération la culture culinaire du pays, qui jadis, faisait recours à l’orge pour produire le pain. L’orge est une espèce qui résiste à la salinité et à la sécheresse et peut exceller en rendement avec juste une dose de 220mm/ha bien répartie tout au long du cycle de la plante. Les politiques publiques agricoles doivent s’orienter davantage à encourager la production de l’orge en rotation avec les légumineuses pour garantir au futur une souveraineté alimentaire en céréales.

La stratégie de stockage, une directive royale

L’augmentation de la productivité des céréales est une condition nécessaire mais qui n’est pas suffisante pour assurer une souveraineté alimentaire. Lors de son discours royal devant les représentants de la nation, le souverain a appelé ‘’…à la création d’un dispositif national intégré ayant pour objet la réserve stratégique de produits de première nécessité, notamment alimentaires, sanitaires et énergétiques et à la mise à jour continue des besoins nationaux en la matière’’.

Les méthodes de stockage des céréales varient du traditionnel matérialisé par le stockage en matmora (fosse à grain qui a une profondeur qui tourne entre 3 et 4 m) à des méthodes plus développées qui consistent à stocker le blé dans les entrepôts ou les silos, qui sont des installations de grande capacité composées de structures métalliques destinées à un stockage de quantités importantes de grains.

Au Maroc, la capacité de stockage des céréales est de 4.9 millions de tonnes soit un volume pouvant emmagasiner presque la moitié des besoins du Maroc en céréales pendant une année. D’autre part, l’Etat, à travers le fonds de développement agricole, accorde une subvention de 10% avec un plafond de 3.2 millions de dirhams pour la construction des structures de stockage des céréales.

L’encouragement des investissements relatifs à la création des structures de stockage doit absolument passer à travers l’augmentation des subventions étatiques, qui doivent cibler en premier temps le dédoublement de la capacité du Maroc quant au stockage des céréales. L’intervention de l’Etat dans ce champ stratégique à travers des subventions n’est pas un choix, mais une condition sine qua non pour développer une base de stockage solide afin d’être résilient devant des problèmes pouvant perturber l’approvisionnement du Maroc en céréales.

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