Comment la COVID-19 exacerbe les mécanismes des violences faites aux femmes
On n’est pas sans savoir que la pandémie de la COVID-19 a exacerbé les facteurs de discrimination, accentué la vulnérabilité des femmes et a eu un impact sur les violences faites aux femmes. De l’aveu même du dernier rapport d’ONU Femmes au sujet des « violences faites aux femmes et aux filles en temps de crise – l’expérience du confinement au Maroc », auquel ont contribué une vingtaine d’organisations de la société civile (OSC) et de réseaux de centre d’écoute pour les victimes de violence. Il s’agit d’une analyse qualitative des appels reçus par ces cellules d’écoute.
A l’instar du reste du monde, le Maroc manque de données quantitatives nationales sur les violences durant le confinement. Ce rapport se veut donc un éclairage qualitatif du point de vue de 19 centres d’écoute associatifs s’étant mobilisés pour assurer une assistance aux victimes, en dépit des contraintes et de moyens limités. Le document explique comment l’enfermement des femmes avec leurs agresseurs a engendré certaines des formes de violences qui sont une conséquence directe de la proximité physique prolongée.
Quand la Covid accentue la vulnérabilité des femmes
Il s’agit notamment de violences physiques, cachant parfois d’autres violences. En effet, elles s’accompagnent parfois de violences sexuelles, moins rapportées en proportion en raison du caractère intime de ces actes. À ces violences s’ajoutent, de manière quasi-systématique, les violences psychologiques qui renforcent l’état de stress et d’anxiété généralisé. Ce type de violences renforce l’emprise de l’agresseur et rendent le processus de sortie de la situation de violence encore plus complexe.
Dans ce contexte de crise économique déclenchée par la pandémie, les violences économiques auxquelles les femmes ont été exposées ont été particulièrement manifestes. Pour les femmes subissant des violences physiques, psychologiques et/ou sexuelles, la dépendance économique constitue une arme de plus s’ajoutant à l’arsenal de l’agresseur. La menace d’expulsion du domicile, sans moyens de subsistance, est vécue comme une peur justifiant l’« acceptation des violences » par les femmes concernées.
Par ailleurs, la crise a également entraîné une recrudescence des violences dans l’espace numérique. La viralité des violences numériques, le large public auxquelles elles exposent les femmes concernées, et la difficulté de supprimer les traces de ces attaques en font une violence d’un genre unique. Enfin, à ces formes intimes de vécu de la violence, s’ajoutent d’une part les violences institutionnelles relatées par certaines femmes dans leurs rapports avec certains agents d’autorités et liées à l’application de la loi et au rejet social et familial, et d’autre part, celles exercées dans l’environnement professionnel.
La société ou le deuxième bourreau
Cela dit, plusieurs obstacles se posent pour une femme en situation de violence et qui est déterminée à demander de l’aide, à commencer par le regard de la société. Le document pointe du doigt la « normalisation de cette violence – par sa banalisation, légitimation, minimisation », ce qui rend la société elle-même complice. En effet, selon le HCP, dans sa dernière enquête sur les violences faites aux femmes au Maroc, ces violences sont considérées comme le prix à payer pour maintenir la cohésion familiale mais aussi comme une affaire d’ordre privé qu’il vaut mieux garder secrète.
Ainsi, pendant la période du confinement, plusieurs femmes parmi celles, qui ont essayé de trouver de l’aide auprès de leurs proches, ont été encouragées par ces derniers à rester ou retourner dans leur foyer. A en croire l’Association Al Basma, qui a rapporté le cas d’une ouvrière agricole mariée à un homme toxicomane dont la violence physique et sexuelle s’est intensifiée, dès le début du confinement. Cette femme a déposé plusieurs plaintes contre son mari, et les a toutes retirées du fait de la pression exercée par sa famille. Par conséquent, la victime a, par la suite, été contrainte de retourner vivre au domicile conjugal.
Donc, que ce soit pour des raisons matérielles, par peur des représailles, par crainte de la Covid-19 ou bien parce qu’ils adhèrent à des valeurs légitimant les violences à l’encontre des femmes, les familles et les voisins peuvent refuser d’accueillir la femme en situation de violence et/ou ses enfants, l’encourageant à rester avec un époux violent, lui refusant la possibilité de quitter le foyer violent ou en la culpabilisant de faire incarcérer son agresseur.
La réponse des pouvoirs publics aux violences faites aux femmes
Cependant, les dispositifs juridiques et institutionnels se sont, petit à petit, adaptés aux mesures de l’état d’urgence, donnant lieu à une amélioration progressive des services, du 20 mars au 30 mai 2020, à savoir :
- Au niveau du Ministère public, 95 numéros téléphoniques et adresses électroniques ont été mis à disposition des femmes en situation de violence, pendant le confinement, pour porter plainte. Le compte de la Présidence du Ministère public ainsi que les comptes électroniques des parquets des différentes juridictions du Royaume ont été communiqués sur le site officiel de la Présidence du Ministère public.
- En complément, certains parquets généraux ont mis en place une plateforme spéciale de prise en charge des femmes en situation de violence.
- L’animation de la plateforme « Kolona Maak » par des écoutantes et organisation d’une vaste campagne de communication médiatique, s’appuyant sur des spots publicitaires, relayés par des personnalités publiques, des influenceurs, des acteurs et des journalistes. Cette plateforme, lancée en partenariat avec des institutions publiques, fonctionne comme interface de coordination en informant les services compétents des cas de violences contre les femmes qui lui sont rapportés.
- Le Ministère de la Solidarité, du Développement social, de l’Egalité et de la Famille a fait part de la création de 63 centres d’hébergement et de prise en charge des femmes victimes de violence, et mis en place des lignes d’écoute tenues par des assistantes sociales et des professionnels en psychologie et médiation familiale.
Toutefois, la propagation de la nouvelle des fermetures de tribunaux et de la réduction des services d’accueil des institutions publiques (hôpitaux, commissariats, gendarmerie) a fortement inquiété les femmes en situation de violence, en raison de l’impunité potentielle de leurs agresseurs, liée à l’impossibilité de constituer des preuves (obtention de certificats médicaux, possibilité de porter plainte, absence de témoins, etc.).
Notons que l’enquête nationale sur les violences faites aux femmes réalisées par le HCP en 2019 a révélé qu’au Maroc, 57% des femmes ont fait face à au moins une forme de violence au cours de l’année précédente.