Comment le gouvernement d’Akhannouch compte-t-il pallier les défaillances du système de santé ?
Offre Riaya, médecine de famille, secteur privé, … une batterie de mesures du gouvernement qui vient d’apporter sa pierre à l’édifice pour le système national de santé, mais sont-elles suffisantes ?
Le système de santé au Maroc s’est montré défaillant depuis plusieurs années. Dans ce cadre, le Chef du gouvernement, Aziz Akhannouch a présenté son plan pour réformer le secteur. Ce nouveau plan consiste à améliorer la situation du personnel médical, en augmentant l’effectif, renforçant le rôle du médecin de famille et des infrastructures et développant les consultations à distance. MAROC DIPLOMATIQUE a contacté le médecin et chercheur dans les systèmes de santé, M. Tayeb Hamdi, pour analyser ce nouveau plan santé et décortiquer les grandes lignes du programme gouvernemental.
Nouvelle politique-santé : Dans l’attente des détails
Le gouvernement d’Akhannouch promet de renforcer le système national de santé, mais sans donner davantage de détails ou de chiffres sur le financement de son programme. « Il n’y a pas assez de chiffres dans le plan de santé, ni sur le budget alloué ou le nombre d’effectif prévu pour le recrutement des professionnels de santé » a indiqué M. Hamdi. « On espère avoir plus de détails sur la politique de santé du gouvernement. », a-t-il souligné préconisant un plan « sur le long terme et non pas seulement une vision sur un mandant de 5 ans ».
Le chercheur a fait, également remarquer que le budget du ministère de la Santé n’est pas encore dévoilé. « Il sera peut être publié dans le nouveau projet de loi de finances 2022 », a-t-il noté signalant l’importance de consacrer un bon budget pour ce secteur. Il a mentionné également le manque d’informations sur la politique RH du nouveau gouvernement pour la santé. « Il y avait une proposition de former 3.000 médecins par an. Cela était un objectif de 2006 qui n’a jamais été atteint depuis le gouvernement de Jettou. 14 ans après, on n’a que 2.000 à 2.200 médecins formés maximum et 600 à 700 émigrent vers l’étranger », a-t-il rappelé.
« On a 23.000 médecins au Maroc, alors qu’on a besoin d’un minimum de 60.000 médecins selon les normes de l’OMS, ainsi que de 65.000 professionnels de santé, à part les médecins », a noté le chercheur, expliquant qu’ « On ne peut pas préparer une vision stratégique sans faire attention au fossé qu’il y a entre le besoin en matière de RH et ce qu’on a réellement ».
Besoin de refonte : Le constat n’est pas nouveau
La situation actuelle des hôpitaux et les différents services de soins au Maroc illustrent les défaillances du système national de santé. Depuis les débuts du 21ème siècle, tous les gouvernements qui se sont succédé n’ont pas pu mettre en place un système de santé capable de couvrir tous les besoins médicaux des Marocains. Ce dossier occupe, depuis toujours, une place primordiale dans la vision royale. Ce constat a été confirmé par SM le Roi Mohammed VI, avant même la Covid-19 dans son discours adressé à la Nation à l’occasion de la fête du Trône en 2018 qui revenait sur la nécessité d’une refonte radical du système de santé national. Il a indiqué que« en effet, Il est insensé que plus de cent programmes de soutien et de protection sociale, de différents formats et se voyant affecter des dizaines de milliards de dirhams, soient éparpillés entre plusieurs départements ministériels et de multiples intervenants publics. En fait, ces programmes empiètent les uns sur les autres, pèchent par manque de cohérence et ne parviennent pas à cibler les catégories effectivement éligibles. Comment peut-on, donc, espérer que ces programmes répondent efficacement aux besoins des citoyens et impactent réellement leur quotidien ? ».
Dans cette optique, M. Hamdi a souligné que la santé n’est pas seulement un secteur social mais plutôt « la dynamo de l’économie, de la vie sociale et de l’école ». Et d’ajouter que : « la richesse du Maroc est la santé d’abord, tant au niveau individuel qu’au niveau collectif. Les études ont montré que les pays qui ont donné plus de place à la Santé très tôt ont pu réussir leur décollage et on doit faire la même chose au Maroc ».
La crise sanitaire a démontré la nécessité de revoir la politique nationale de santé
Il y avait beaucoup de leçons à tirer de la Covid-19, a précisé le chercheur notant que le système de santé a été très fragile face à la crise. « C’est vrai que tous les systèmes de santé dans le monde ont été handicapés face à cette crise sanitaire, mais c’est à des degrés différents », ajoute-t-il. De ce fait, le gouvernement est appelé à réaliser un programme bénéfique et efficace pour les générations à venir, pour ne pas tomber dans les même problèmes passés qui ont affecté les Marocains. Pour le chercheur, le gouvernement doit non seulement préparer sa stratégie pour les 5 années à venir, qui change après chaque gouvernement, mais de lancer parallèlement les bases d’une vision stratégique « long-termiste » de la santé au Maroc. Il a recommandé, dans ce sens, la création d’un conseil supérieur de la santé qui doit, selon lui, lancer un débat sociétal regroupant tous les acteurs pour sortir avec des visons stratégiques et adapter le système de santé aux différents changements.
Offre Riaya, une bonne idée ?
L’une des offres importantes présentées par le nouveau gouvernement d’Akhannouch est celle de la carte électronique Riaya. Cette dernière permettra aux citoyens marocains d’accéder aux soins et de profiter des réductions de dépenses liées aux services de santé. Pour le chercheur, cette nouvelle carte est une bonne idée pour informatiser le système national de santé. « C’est une bonne chose d’avoir un dossier médical informatisé pour tous les Marocains. Ça permet d’informatiser le système de santé, de rationnaliser et optimiser les services, les politiques et les offres de soins. » .
Cette nouvelle carte, selon M. Tayeb, doit permettre aux patients de « voir un médecin ou une pharmacie et ne payer que la différence ». Il a donnée l’exemple d’un scanner de 1500 DH, le patient doit payer 150 DH et le reste doit être versé par la caisse chez le radiologue. Avec cette manière, le Marocain pourrait se faire soigner et accéder facilement aux soins médicaux et mettre fin aux « renoncements aux soins », affirme le médecin.
Et pourquoi un médecin de famille ?
Privilégier les soins de santé de base et la médecine de première ligne est un nouveau pas pour le Maroc vers la réforme de son système de santé. Le gouvernement a introduit, dans ce sens, le médecin de famille, une nouvelle mesure qui permettra d’améliorer le système de travail des professionnels de santé. Le chercheur définit ce nouveau type de médecine comme une mesure qui consiste en la répartition des services de santé non seulement sur les hôpitaux mais également sur des médecins de famille ou « de proximité ». Cette nouvelle notion est, selon M. Tayeb, le pivot du système national de santé et la porte d’entrée du citoyen aux différents services du système de santé (politiques de santé, remboursement des soins, les infrastructures, ….).
« Le parcours de soins coordonné », est un autre avantage de la médecine de famille, indique Tayeb, notant que pour réussir ce type de médecine, il faut avoir « une vision de médecine de première ligne ». Pour expliquer l’importance de ce type de médecine, le chercheur a donné l’exemple d’un patient qui a mal au ventre, qui grâce à la médecine de famille, il pourrait « voir son médecin qui va l’orienter, le traiter, et en même temps coordonner son parcours dans le système de santé » au lieu de « le laisser se débrouiller avec 6 ou 7 médecins et perdre son temps et son argent ».